Odyssey

Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1977 - Gerard Damiano
Titres alternatifs : The Ultimate Trip
Interprètes : Susan McBain, Nancy Dare, Sharon Mitchell, Vanessa Del Rio, Crystal Sync, Celia Dargent, Sandra Blast

C’est en 1972 qu’un certain Gerard Damiano (1928-2008) va révolutionner l’industrie cinématographique. Il rencontre, presque par hasard (même si ce dernier a ici particulièrement bien œuvré), une certaine Linda Lovelace dont les capacités buccales le stupéfie. Le puritain Gerard assiste ébahi, pour la première fois, au spectacle d’une pratique sexuelle nommée gorge profonde qui donnera le titre de son film. Fasciné par les talents de la demoiselle, il décide de broder un script drolatique dont la trouvaille est de situer le clitoris de la belle Linda dans les tréfonds de sa gorge. S’ensuit une série de saynètes humoristiques qui voient l’héroïne tenter de résoudre son problème (car pour Damiano c’en est un, et de taille) en recourant à diverses pratiques parfois médicales mais surtout douteuses. Là où va se poser un gros problème pour l’équipe de DEEP THROAT, c’est lorsque le film tombe dans l’œil d’un cyclone politico-judiciaire particulièrement violent. En effet, attaqué de toute part par ce que les USA comptent de réactionnaires, le réalisateur et les acteurs courent vers la prison… pendant ce temps les spectateurs affluent en salle et le long métrage se trouve des soutiens de poids avec, entre autre, Warren Beatty et Jack Nicholson (cf. le passionnant documentaire INSIDE DEEP THROAT de Fenton Bailey et Randy Barbato-2005). La carrière sulfureuse de Gerard Damiano est lancée, il enchaîne avec des films de bien meilleure qualité comme le célèbre DEVIL IN MISS JONES (1973) que l’on peut aisément qualifier de sommet intellectuel du genre. Il poursuit alors une longue filmographie qui apparaît comme une étude sociologique des mœurs sexuelles étasuniennes et plus particulièrement du plaisir féminin à travers les décennies 70 à 2000. En 1977 il scénarise et réalise l’ambitieux ODYSSEY qu’il souhaite comme un pendant pornographique au 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE (1968) de Stanley Kubrick. Le long métrage débute par le texte suivant : « Au commencement est la naissance. A la fin, la mort. Entre les deux, nous l’appelons la vie »…
On y suit, à travers trois sketchs, le cheminement sexuel de protagonistes appartenant à diverses classes de la société US. Tout d’abord, un couple lambda est en pleine phase de doute. Celle-ci fait suite à une perte du désir physique peu à peu remplacé par une routine inhérente au tryptique métro/boulot/dodo. Des amis leur conseillent un bordel singulier dont la finalité vise à recoller les morceaux du plaisir fragmenté.
Ensuite, le spectateur assiste aux nombreuses confessions de femmes de la « middle-class » chez une psychanalyste. Toutes expriment une sexualité triste qu’elles rêvent plus ambitieuse, un appétit qu’elles ne peuvent satisfaire. En effet, la société ne leur permet pas l’épanouissement sexuel qui pourrait être le leur, elles choisissent alors comme soupape la confession sur un divan chaste.
Le dernier sketch présente le quotidien désincarné d’une escort-girl qui, bien que très jeune, est épuisée par une vie de dépravations.
Gerard Damiano frappe, une fois de plus, très fort avec ODYSSEY. Le sketch inaugural (avec la première scène de sexe au bout d’une vingtaine de minutes) offre le spectacle d’une sexualité triste. Même la partouze proposée à nos deux tourtereaux pour ranimer la flamme s’avère nourrie d’une banale imagerie d’Epinal, masques et loups en constituant les seuls ingrédients épicés. Puis tout bascule lorsque l’homme sent le désir revenir et assiste excité à un spectacle transformiste qui le déboussole. La cristalline Sharon Mitchell (à l’époque les actrices ne ressemblaient décidément pas à des bimbos), grimée en homme, administre une fellation dantesque à son partenaire. Gerard Damiano prouve, une fois de plus, son art du contre-pied, prenant sans cesse le désir de la spectatrice et du spectateur à revers. Le mari grisé décide alors de renouer avec le corps de sa femme dans une scène emprunté au BELLE DE JOUR de Luis Bunuel (1967).
Le retour à la sexualité plan-plan constitue, une fois de plus chez ce metteur en scène puritain (un grand paradoxe pour un pornographe, mais c’est aussi ce qui alimente la richesse thématique de son œuvre) la seule solution acceptable. Un point de vue renforcé par l’opposition évidente entre les deux derniers sketchs. Ces ménagères attentionnées perdues entre la maman et la putain vivent une sexualité terne mais… elles vivent !
Contrairement à l’escort-girl du troisième sketch, Nicole, qui n’est plus qu’un bout de chair vide de contenu (cf. les scènes du casting et du shooting) étant allé jusqu’au bout de ses désirs. Là où Damiano se révèle une nouvelle fois paradoxal c’est lors de la scène de partouze que vit cette beauté au visage glacé proche de Susan Sarandon-Susan McBain, qui livre ici sa plus belle performance dramatique. En effet, cette orgie est beaucoup plus relevée que celle, tristounette, du premier segment. On y voit un nombre incalculable de fellations monstrueuses (certainement ce que préfère filmer Damiano) effectuées, entre autre, par la légendaire Vanessa Del Rio. Néanmoins le metteur en scène choisit, une fois de plus de troubler le pornophile. Nicole se rase le sexe pour le destiner à une fin inattendue qui donne tout son sens à l’expression « petite mort ».
Techniquement, le travail du maître est indéniable (plans séquences de toute beauté, couleurs psychédéliques chatoyantes, musique au diapason), quant à sa direction d’acteurs elle laisse pantois, tant sa capacité à faire jouer juste des scènes dramatiques à des acteurs non réputés comme tels est impressionnante. Le casting réunit d’ailleurs la crème du porno 70’s avec Samantha Fox, Susan McBain, Vanessa Del Rio et quelques mâles dominants dont Robert Kerkman et le gigantissime Mousiendi.
Le final, grandiose, achève de rendre cette pelloche passionnante mais aussi, comme à l’accoutumée chez Damiano, particulièrement moraliste. On imagine d’ailleurs bien le cinéaste visiter la psy du film pour savoir s’il est un grand malade, éminente interrogation de sa longue filmographie analytique dont les cinéphiles n’ont pas fini de découvrir toutes les perles qui la composent.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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