retrospective

Osen La Maudite

Le terme de roman porno est une trouvaille marketing de la société de production Nikkatsu, tout près de la faillite à la fin des sixties, c’est sous cette appellation qu’elle désigne les nombreux films érotiques qu’elle va produire à partir de 1971. Les pornophiles occidentaux amateurs de chair désincarnée seront déçus par l’érotisme soft du genre imposé par une censure très présente, par contre les cinéphiles sauront apprécier une grande qualité plastique doublée d’une réflexion passionnante sur la condition féminine japonaise. La grande force du roman porno vient du fait que les films produits par la Nikkatsu font appel à des équipes techniques chevronnées, des réalisateurs de talents et bénéficient de moyens plutôt considérables pour du cinéma érotique. Certains réalisateurs sont considérés comme des maîtres du genre tel Noboru Tanaka qui, en 1975, livre un chef d’œuvre ultime : LA VÉRITABLE HISTOIRE D’ABE SADA, il abordait le roman porno dès 1973 avec OSEN LA MAUDITE.
Osen, qui fut autrefois une grande geisha, n’est plus désormais qu’une simple prostituée. Malgré ses dons d’amante exceptionnelle, elle ne suscite que peu d’intérêt dans la gente masculine, en effet, on dit qu’elle est maudite : tous ceux qui tombent amoureux d’elle trouvent la mort…
Loin des contingences habituelles du roman porno, OSEN LA MAUDITE est une pellicule atypique car plutôt avare en érotisme. Ce film est un tour de force esthétique, impression renforcée par un superbe générique qui voit s’écrire le titre en lettres de sang sur les pavés d’une rue riche en fleurs de bitume. C’est au son d’une bien triste chanson que nous découvrons le sordide quotidien d’Osen. Sa beauté et son teint de porcelaine contrastent singulièrement avec des intérieurs nauséabonds superbement photographiés et la vilénie des différents protagonistes. Ainsi les prostituées sont des femmes de courage prisonnières d’une société hautement phallocratique, la seule représentante du sexe dit « faible » qui ne vends pas son corps s’avère être une aveugle suicidaire d’une dignité exemplaire. Par contre, les hommes apparaissent veules et particulièrement machiavéliques, à l’image d’un marionnettiste ambigu qui représente la synthèse de tous les mâles du film. Il profite des autres (comme le souteneur et son acolyte ainsi que le mari d’Osen) et manipule son prochain avec aisance (à l’image de l’artiste peintre qui organise le viol de son propre modèle : Osen). L’esthétisme singulier de cette œuvre qui mélange avec une facilité déconcertante le classicisme au baroque atteint son apogée lors d’une scène d’amour entre Osen et le marionnettiste, cette dernière apparaît comme un pantin à taille humaine manipulé par celui dont elle tombe « réellement » amoureuse. L’autre grande scène de ce long métrage est une scène de viol dans un cimetière, moment clé du film puisqu’il scelle à jamais le destin d’Osen lorsqu’elle découvre que celui qu’elle « croyait » aimer a lui-même organisé cette agression contre quelques sous. Cette confrontation entre destrudo et libido n’aura pas échappé aux cinéphiles freudiens. La symbolique liée à ce lieu funeste entraîne, bien entendu, l’enterrement du mariage d’Osen.
Son refus de toute soumission atteint son paroxysme lorsqu’elle coupe le doigt de son mari et s’en sert comme instrument de plaisir. Cette scène rejoint celle, dérangeante car sensuelle, de la séance de pose chez le peintre durant laquelle Osen fait l’amour avec un poisson. D’ailleurs cela lui semble beaucoup plus jouissif qu’avec tous les mâles, la plupart du temps alcoolisés, qu’elle croise habituellement. Des mâles qui, en dehors du montreur de marionnettes, apparaissent comme des zombies que ce soit à travers le port de masques théâtraux ou lors d’une scène durant laquelle le mari d’Osen, revenu d’entre les morts, traverse les murs des différentes chambres des filles de joie en plein turbin. Ce féminisme revendiqué par le refus d’Osen à se soumettre aux hommes est absolument unique pour un film de ce genre. En effet, dans la plupart des romans pornos des femmes dominées découvrent le bonheur d’être suppliciées par l’homme et acceptent leur condition. Là, même si Osen accepte sa malédiction, elle refuse tout assujettissement, une constante dans l’œuvre de Tanaka. Le personnage de l’aveugle suicidaire renforce cette impression. Ainsi, OSEN LA MAUDITE s’affranchit du genre, en dépasse les codes, les bouscule!
Le film est servi par une interprétation de qualité. Rie Nakagawa, qui tourne encore aujourd’hui pour la télé japonaise, est la révélation d’OSEN LA MAUDITE. Son visage particulier dont les traits mélangent noblesse et folie, classicisme et modernité, sied parfaitement à ce rôle de courtisane déchue.
Bénéficiant d’un certain faste, très différent du reste de la production liée au roman porno, assez éloigné du travail du génial Kôji Wakamatsu (VIERGE VIOLEE CHERCHE ETUDIANT REVOLTE-1969) souvent handicapé par des budgets anémiques, le travail de Tanaka est à rapprocher de celui de Nagisa Oshima (L’EMPIRE DES SENS-1976). Ses personnages prônent l’insoumission, la rébellion et rejettent le modèle libéral japonais, raison de plus pour visionner cet excellent film autrement plus excitant que le premier gonzo venu!

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