Panic sur Florida Beach

Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A. - 1993 - Joe Dante
Titres alternatifs : Matinée
Interprètes : John Goodman, Cathy Moriarty, Simon Fenton

On pourrait qualifier Joe Dante de marginal oeuvrant au sein du système des studios tant ses films, derrière leur aspect lisse et familial, développent en creux un discours souvent corrosif sur les mœurs et les institutions américaines. Le réalisateur fait ses débuts comme tant d’autres futures « pointures » (de Francis Ford Coppola à James Cameron) auprès du mogul de la série B bricolée et toujours efficace, le célèbre Roger Corman. Son premier essai en solo se nomme PIRANHAS (1978), hommage « bis » au « blockbuster » de Steven Spielberg, LES DENTS DE LA MER (1975). Après un excellent film de loup-garou, HURLEMENTS (1981), Joe Dante se lie d’amitié avec le réalisateur de E.T. (1982) qui lui propose un segment de LA QUATRIEME DIMENSION (1983) puis le scénario de ce qui deviendra LES GREMLINS (1984), gros succès qui résume bien l’univers à venir de Joe Dante, entre humour cartoonesque, nostalgie de l’enfance et verve satirique. Mais le franc-tireur gentiment irrespectueux devra faire face ensuite à une série d’échecs publics cuisants (EXPLORERS, 1985, L’AVENTURE INTERIEURE, 1987, le « dantesque » GREMLINS 2, 1990) qui lui fermeront progressivement les portes des studios. Après le « flop » du film qui nous intéresse, le réalisateur devra se tourner vers la télévision et ne signera plus que quelques rares longs métrages pour le cinéma : SMALL SOLDIERS (1998), LES LOONEY TUNES (2003). Il est revenu au genre horrifique avec THE HOLE (2009),à ce jour encore inédit en France.

Octobre 1962, dans la petite ville balnéaire de Key West (Floride). Nous faisons la connaissance de Gene, un adolescent un peu rêveur, et de son frère Dennis, qui vivent sur la base militaire de la ville ; leur père, qui est dans la Marine, est en mission d’urgence à bord d’un sous-marin. Le pays est en émoi depuis l’annonce télévisée du Président Kennedy expliquant que des missiles soviétiques ont été repérés à Cuba et qu’une offensive de l’ennemi communiste est plus que probable. C’est dans ce climat de terreur que le réalisateur et « showman » Lawrence Woolsey vient présenter son dernier film/attraction, « Mant », histoire de mutation d’un homme en fourmi géante à la suite d’un accident atomique ! Gene fait la connaissance de Woolsey qu’il admire, le seconde dans la préparation de ses effets spectaculaires dans la salle de cinéma alors qu’autour d’eux, la menace nucléaire va s’amplifiant…La fin du Monde serait-elle proche… ?

PANIC SUR FLORIDA BEACH est, comme la plupart des bandes de Joe Dante, un vibrant hommage à toute la culture populaire des années 50-65 qui l’a nourri et qui a forgé son identité cinéphilique. On peut citer pêle-mêle les bandes dessinées macabres du style « Les contes de la crypte », les séries fantastiques (LA QUATRIEME DIMENSION, AU-DELA DU REEL), les film de monstres, de sf et d’horreur de série B. Mais l’hommage revêt ici une forme plus radicale et post-moderne que le simple clin d’œil ou l’emprunt puisqu’il s’agit de (re)donner vie à un personnage mi-fictif, mi-réel (Lawrence Woolsey est clairement inspiré du réalisateur William Castle, le roi des « gimmicks » interactifs avec le public) et de recréer un film (le « Mant » de Woolsey) dans l’esprit de ceux qui terrorisèrent les amateurs de frissons des années 50. On retrouve ainsi dans le délicieux pseudo-long métrage, des éléments issus d’œuvres fondatrices du genre comme DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE (Gordon Douglas, 1954), GODZILLA (Ishiro Honda,1954) ou LA MOUCHE NOIRE (Kurt Neumann, 1958). Cette volonté de la part de Joe Dante de ne plus simplement citer ses références filmiques mais de les « ressusciter » visuellement, illustre bien la dimension nostalgique (celle de la fin d’une époque heureuse, les années 50) qui fonde PANIC SUR FLORIDA BEACH et qui se double d’un apport autobiographique. Le récit de la « crise des missiles » et de la paranoïa contagieuse qui s’ensuivit est pris en charge par Gene, un jeune garçon féru de culture « bis » auquel Joe Dante a injecté sa passion dévorante et ses propres souvenirs (il avait sensiblement le même âge que Gene en 1962) de cette époque charnière pour les Etats-Unis. Le film propose alors, de façon subtile, un double point de vue sur la période évoquée : celui de Gene, retranscrit à travers le prisme de l’adolescence, et celui du réalisateur, forcément rétrospectif et – c’est une marque de fabrique ! , plutôt satirique. Le premier, un peu naïf et manichéen, offre une vision à la fois déréalisée et schématique de la ville de Key West où chaque personnage est un archétype ultra-codifié (la mère anxieuse, le petit frère collant, le copain timide, la « cheerleader », la gamine rebelle dont on est amoureux…) et où l’intrigue sentimentale doit aboutir sur une « happy end » après quelques péripéties héroïques. Ce point de vue qui semble « parasité » par l’imaginaire cinéphile de Gene se superpose à celui du réalisateur qui, s’il ne cache pas sa nostalgie d’une époque calme et prospère, n’en évoque pas moins ses tares : la ségrégation raciale, le Mac Carthysme, la politique du surarmement, la manipulation des masses…

Mais PANIC SUR FLORIDA BEACH n’est cependant pas un pamphlet, Joe Dante préférant souligner avec un humour caustique le ridicule de certains événements et réactions dont il a probablement été le témoin ou l’acteur. Les séquences les plus drôles nous décrivent l’absurdité des exercices effectués lors d’une simulation d’attaque atomique (les collégiens sont sommés de s’agenouiller mains derrière la tête pour se protéger !), les réflexes dérisoires de citoyens dévalisant le supermarché du coin et prêts à se battre pour leur marque de céréales préférées ! On rira surtout du comportement, probablement pas si atypique à l’époque, du directeur du cinéma qui, s’étant fait construire un abri anti-atomique dans son sous-sol, est prêt à s’y enfermer à la moindre fausse alerte. Le film progresse ainsi, nourri par un comique de situation, émaillé de petits gags savoureux et rythmé par les touches mi-ironiques, mi-bienveillantes que le réalisateur américain adresse à l’égard de ses compatriotes. Mais la véritable raison d’être de PANIC SUR FLORIDA BEACH réside au sein même de son dispositif qui est celui d’une déclaration d’amour au cinéma. Celle-ci prend à la fois une forme ludique (la figuration des « gimmicks » de Woolsey, le jeu sur la mise en abyme : le récit du film épouse le déroulement du « monster movie » du réalisateur/homme de spectacle) et une dimension purement cathartique, la projection de « Mant » avec son thème catastrophiste agissant comme une véritable thérapie collective. Lawrence Woolsey est, à ce titre, décrit comme une sorte de guérisseur, à la fois un peu bonimenteur mais doté d’un pouvoir presque magique ; l’acteur « bigger than life » John Goodman (aussi inquiétant dans BARTON FINK des frères Coen, 1991, qu’hilarant dans THE BIG LEBOWSKI du même duo, 1998) incarne à la perfection ce personnage emblématique du cinéma de Joe Dante. Au final, et sans dévoiler le nœud de l’intrigue qui se déroule bien évidemment dans une salle de cinéma, PANIC SUR FLORIDA BEACH s’achève sur l’effondrement symbolique de la période qu’il décrit et son plan terminal préfigure l’ère de violence auto-destructrice qu’allait connaître le pays l’année suivante avec l’assassinat du Président Kennedy et le début du bourbier vietnamien. Le film est un régal de tout instant et constitue certainement une des plus belles réussites de son auteur ; une œuvre-somme à revoir régulièrement…


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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