Paradise Hills

Un texte signé Sophie Schweitzer

Espagne - 2019 - Alice Waddington
Interprètes : Emma Roberts, Eiza Gonzalez, Milla Jovovich

PARADISE HILLS commence par une cérémonie dans un palais richement décoré où une jeune femme chante en tenue de mariage, puis elle est invitée à rejoindre son mari pour la nuit de noces. Mais lorsque son mari la rejoint, il la plaque sur le lit et se réjouit qu’elle soit devenue plus douce, vantant les bénéfices d’un lieu que nous découvrons par la suite.

La même jeune fille, Uma, se réveille dans une chambre complètement vide décorée de roses dotées d’épines. La jeune fille panique, hurle, parvient à s’enfuir à la première occasion et, nous découvrons avec elle une sorte de jardin d’Eden très étrange, assez semblable à celui de la reine rouge dans Alice au pays des merveilles. Elle finit par tomber sur une autre jeune fille qui fume, cachée dans des grottes près de la mer. Uma tente de la convaincre de l’aider à fuir, mais au lieu de cela, la jeune fille la dénonce, lui rétorquant qu’il est de toute façon impossible de fuir.

Dès lors, Uma comprend qu’elle doit se méfier de tout le monde dans ce lieu où les jeunes filles les plus récalcitrantes sont conditionnées à la vie que la bonne société désire pour elles. : que l’on souhaite svelte, anxieuse murée dans le silence ou encore chanteuse célèbre plus attirée par les femmes que par les garçons.

Première réalisation de d’Alice Waddington, PARADISE HILLS est un film de science-fiction espagnol. La réalisatrice, bien qu’encore jeune, met en avant un univers très poussé qui emprunte de beaucoup à Lewis Carol. Sans doute son prénom l’aura-t-il inspiré. Au casting, on retrouve Emma Roberts dans le rôle de l’héroïne, assez éloigné de ses rôles de garce dans la série AMERICAN HORROR STORY. Face à elle, Milla Jovovich, connue par la saga RESIDENT EVIL, tient le rôle de la Duchesse qui oscille entre celui de la marâtre et la méchante sorcière d’un conte de fée. Enfin on retrouve également Eiza Gonzàlez dans le rôle de la camarade un peu garce sur les bords, actrice mexicaine qu’on a déjà vu dans BIENVENUE A MARWEN.

Le film se situe dans un futur dont on ignore la proximité avec notre époque. Tout ce qu’on en connaît est ce que perçoivent les jeunes filles enfermées dans l’institution. La technologie est cependant présente partout, mais le film arrive à nous faire douter : ne serait-ce pas en fait de la magie ? Le fantastique se dispute avec la science-fiction dans cette œuvre en forme de rêverie cauchemardesque. Cet aspect est souligné par les multiples références aux contes de fées et à Alice au pays des merveilles, mais aussi par l’aspect très sucré, doux et acidulé de la photo et des décors pour le coup très soignés. Les costumes sont des uniformes élaborés. Les jeunes filles portent des corsets qui rappellent le fait qu’elles n’ont d’autre choix que de suivre les règles imposées par la société. Et celle qui tient les lieux paraît avoir tous les aspects de la mauvaise fée, y compris un pouvoir de convaincre presque vénéneux.

Le film est comparé au film INNOCENCE de Lucile Hadzihalilovic, et il est vrai qu’on retrouve la même atmosphère de confinement, de mystère, où l’on finit par se demander s’il y a un caractère fantastique à l’affaire. Cependant, Innocence prenait la forme d’une rêverie pour aborder les problématiques de l’adolescence et à quel point la transformation du corps peut être effrayante. PARADISE HILLS s’attaque plutôt au statut de la femme et à ce qu’on exige des filles, d’être parfaites, d’être des poupées, dociles, serviables, et surtout remplaçables, des automates en somme. Le propos du film est loin d’être subtil, c’est le principal reproche qu’on lui fera. Beaucoup d’éléments et de thématiques abordés par le film sont attaqués de manière frontale. Et la résolution manque clairement de fluidité tant le film veut marquer son propos, quitte à sacrifier sa narration et la logique de son univers.

L’autre point négatif est justement la narration. Le film plante d’abord une atmosphère anxiogène de pensionnat de jeunes filles où la trahison pourrait survenir à tout instant, évoquant l’excellent LA RÉSIDENCE de Narciso Ibáñez Serrador qui, lui, parvenait à distiller un parfum vénéneux jusqu’au bout. Mais PARADISE HILLS bascule, assez rapidement, dans l’uchronie, le film d’anticipation où la femme n’est vouée qu’à avoir un statut d’objet, une sorte de futur où l’on serait revenu en arrière sur les droits des femmes, qui n’est pas sans rappeler la série LA SERVANTE ÉCARLATE, mais avec bien moins de mordant. Enfin, dans son dernier tiers, le film laisse place au thriller attenant. Tous ces genres abordés sont intéressants, et l’univers déployé est filmé de manière magistrale, l’ennui étant la gestion de toutes ces pistes que veut suivre le film qui mettent à mal sa fluidité et lui donne parfois l’air d’un patchwork.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà


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