Un texte signé Sophie Schweitzer

retrospective

Parents

Bob Balaban est un acteur et réalisateur américain touche à tout. Il s’est illustré dans Moonrise Kingdom, The Grand Budapest Hotel, Monuments Men en tant qu’acteur, et dans beaucoup de séries comme Oz, la Quatrième dimension, un Agent très secret en tant que réalisateur. Salué par 11 nominations il n’a cependant touché que de très rare fois à l’horreur et au fantastique, même s’il a signé quelques épisodes pour des séries tels que la QUATRIEME DIMENSION ou TALES FROM THE DARKSIDE, et mit en scène un jeune homme qui est si épris d’une jeune femme qu’il revient à la vie pour l’emmener au bal de promo dans MY BOYFRIEND’S BACK, c’est véritablement avec PARENTS qu’il touche à l’horreur.

Méconnu du public PARENTS est sorti en France directement en DVD. Il a bénéficié d’un bon accueil au festival d’Avoriaz, recevoir le prix du meilleur acteur pour Randy Quaid et Brian Madorsky au Fantafestival, être nomminé pour l’indépendant Spirit Awards et Saturn Award pour respectivement meilleur acteur et meilleur jeune acteur, avant d’être soudainement et fatalement oublié. Pourtant, avec son imagerie froide de la famille typique des années 50, sa thématique d’observer ce qu’il se passe derrière le décor de la parfaite famille américaine, PARENTS est un film d’avant-garde, précurseur de la thématique qu’on retrouvera dans Tim Burton EDWARD AUX MAINS D’ARGENT ou chez David Lynch BLUE VELVET.

Michael Laemle est un petit garçon étrange. Le teint blême, malingre, il a pourtant, en apparence, tout pour être heureux : une famille parfaite, des parents en apparence aimant, une grande maison dans une banlieue américaine typique. Assailli par d’affreux cauchemar, hanté par le sentiment troublant que ses parents cachent quelque chose d’absolument terrible, il essaie cependant de garder ce terrible secret pour lui, convaincu que les grands ne le prendront pas au sérieux. Pourtant sa conseillère d’éducation jouant les psy pour enfant désire l’aider à aller mieux quitte à risquer de percer un secret lourd et sans nul doute dangereux.

C’est avec un humour mordant, voire cynique, que Bob Balaban s’attaque à l’imagerie de fantasmée des heures de gloire de l’Amérique et du rêve américain. En décrivant cette famille parfaite en tout point qui s’adonne au cannibalisme aux nez et à la barbe de leurs voisins, amis et de la société sans que qui que ce soit les soupçonne de quoi que ce soit, Bob Balaban semble s’attaquer au rêve américain et à cette nostalgie des années 50 avec un humour aussi noir qu’acide. Avec sa mise en scène Hitchcockienne et ses couleurs froides, PARENTS observe cette famille avec un cynisme froid et noir, même les professeurs et amis paraissent monstrueux et décadents. En quelque sorte, PARENTS est aux années 80 ce qu’est la série AMERICANS de nos jours, un regard critique sur l’utopie sucrée des années 50, l’âge d’or de la société américaine encore aujourd’hui fantasmée.

La rêverie se dissipe dans ce film qui est le pendant finalement enrobé d’un sucre glacé assez malsain d’un CANNIBAL HAULOCAUST ou de LA COLINE A LES YEUX puisque c’est une famille pratiquant le cannibalisme qui s’attaque évidemment aux bonnes gens qui sont trop naïf pour se douter de quoi que ce soit. Prédateurs parmi les innocents, véritables loups cachés au sein même de la bergerie, les parents du jeune Michael sont finalement des prédateurs plus évolués puisque contrairement à la famille de mutants cachés dans les collines désertiques, eux ont réussit à s’intégrer parfaitement à la société, l’époque leur permettant d’ailleurs de se cacher plus facilement, leur sourire froid passant inaperçus.

Ce qui est assez fantastique dans PARENTS est qu’on reste quasiment tout le temps du point de vue du gamin. Ce petit bout d’homme maigrichon aux immenses cernes qui observe les adultes comme s’ils étaient des monstres grotesques jette sur sa famille et la société américaine un regard acide et clinique. Au final, on juge aussi bien la maîtresse et les amis qui ne se doutent de rien, que les parents qui manipulent aisément tout ce petit monde, cachant leur secret dans une cave qui est pourtant facile d’accès. Ces deux adultes qui brisent toutes les lois et les règles de la société dans laquelle ils se cachent ne semblent rien craindre du monde extérieur dont ils se jouent si facilement. La société semble dès lors aussi coupable que les deux mauvais parents.

L’autre personnage intéressant est bien évidemment la gamine qui dit venir de la lune, seule amie du héros, c’est un petit bout de femme trop grande pour la classe où elle est, rousse, impertinente, menteuse qui ressemble un peu à Fifi Brindacier, et semble être la seule avec l’assistante sociale à sortir un peu des étiquettes. Les deux enfants sont de vrais ovnis qui perçoivent la vérité travestie derrière l’image de perfection affichée par les parents. Malheureusement ceux qui perçoivent la vérité ne sont pas écoutés et finissent forcément par devenir des proies facile pour le couple cannibale qui fait disparaître les gens sans que personne ne s’interroge ou se questionne.

Bryan Madorsky a reçu le prix du meilleur acteur pour son rôle de l’enfant sombrant dans la paranoïa. En effet jamais on ne quitte le point de vue de l’enfant tant est si bien qu’on peut aussi le croire fou à lier. Il a après tout le comportement d’un enfant différent, marginal, qui n’aime pas son père pour une raison pouvant sans doute être expliqué en psychologie. Randy Quaid a également été primé pour le rôle du père, un rôle magistral pour cet acteur à la longue carrière. Aussi terrifiant qu’inquiétant, il interprète avec talent ce père qui ne supporte pas de voir son autorité remise en question, loin de jouer juste un grand méchant, il distille des nuances dans ce personnage. Ainsi on comprend sa détresse de père bafoué, détesté par son enfant, et cette nuance là est celle qui donne de la crédibilité à la théorie de la paranoïa de l’enfant, et au fait qu’il soit peut-être tout simplement en train de délirer.

Comme le fera Dexter plus tard dans son générique, PARENTS donne la part belle aux gros plans de viande découpée, saignante, manipulée, tassée, malaxée que ça soit par la mère qui la cuisine ou par le père qui la découpe avec une fierté non dissimulée. Ces gros plans sont avec la musique la principale voix de l’horreur distillée dans ces images d’une famille parfaite. Bien sûr les cauchemars viennent ajouter un point d’orgue, et quand le gamin flippe, sa vue se brouille, des visions sanglantes de ses parents arrivent. Il y a aussi le placement de la caméra, le choix de focale courte sur les gros plans sur le visage du père furieux devant l’insolence de son fils, ou le choix de faire tourner la table dans une scène de climax assez bien rôdée où la tension est alors à son paroxysme.

Malsain, horrifique par moment, il distille une ambiance de thriller hitchockien comme dans les scènes de début où le gamin observe son père de loin, en gardant une horreur palpable mais toujours en hors champs. Ainsi il n’y a jamais un seul plan explicite de meurtre. Après tout, nous restons dans la tête du gosse. Ce n’est que les paroles des parents qui viendront vérifier ou au contraire exclure le doute distiller dans la tête du spectateur. Subtile, PARENTS joue clairement sur le champs et le hors champs, sur les indices laissés, et davantage sur le jeux justement de cette famille, ses sourires crispés. Bénéficiant d’une mise en scène intelligente qui conserve toujours de l’humour cynique et noir jusqu’au plan final laissant à penser que le doute subsiste toujours, PARENTS créer une horreur qui demeure à jamais tapie, cachée, voilée, mais belle et bien présente néanmoins pour ceux capables de la percevoir.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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