Paura

Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 2012 - Antonio et Marco Manetti
Titres alternatifs : Paura 3D, La stanza dell'orco
Interprètes : Francesca Cuttica, Peppe Servillo, Lorenzo Pedrotti, Domenico Diele, Claudio Di Biagio

Le jeune mécanicien Ale et ses deux amis Simone et Marco profitent de l’absence un week-end durant du marquis Lanzi, un riche romain pour s’introduire dans sa somptueuse propriété. Ils comptent bien y faire la fiesta, projet écourté par le retour inopiné du propriétaire, surpris par une panne de voiture. Se dissimulant tant bien que mal dans la cave, ils découvrent alors une jeune femme emprisonnée, enchainée nue et apeurée, qui semble servir d’esclave et de victime au proprio sadique.

On a parlé de néo-giallo pour toute une série de métrages sortis ces dernières années, d’AMER à BERBERIAN SOUND SYSTEM. On entend çà et là parler de giallo à propos de PAURA. Peut-être parce qu’une scène durant, un protagoniste suit un cours de cinéma où un docte professeur vante les mérites du père fondateur du giallo, Mario Bava. On se doute que la référence n’est pas neutre pour un titre référant si explicitement à la peur. Mais cela suffit-il à asseoir son intention ? Non bien entendu. C’est le contenu et le traitement de PAURA qui nous le fera rattacher éventuellement à un genre et qui in fine, nous dira s’il a atteint son but, s’il mérite son titre.

Entendons-nous donc sur les termes. Si le giallo se limite à définir tout thriller en provenance d’Italie, alors Paura en fait partie. Cependant, dans l’acception la plus répandue du terme, le giallo fédère une série de caractéristiques qui définissent les films en un genre particulier, développant une esthétique, des thèmes et des récurrences (l’arme blanche, le plan subjectif, les gants de cuir noir…) auquel il est difficile de raccrocher PAURA. Celui-ci se rapproche au contraire d’une tradition plus américaine du thriller de genre, notamment par les personnages à peine sortis de l’adolescence. On se trouve dès lors plus dans l’univers du slasher, dont on sait qu’il est lui-même l’héritier américain du giallo.

Certains ont pu également parler de torture porn. Ce sous-genre du gore ne cerne pas vraiment PAURA, ce dernier ne s’attarde en effet pas outrancièrement sur l’étalage des tortures et de la douleur. Ici, et comme dans THE WOMEN, autre métrage d’asservissement et qui a choqué certains un an plus tôt, la torture est essentiellement sous-jacente. Ici, on voit la contrainte et la violence, mais on ne fait que deviner les outrages subis auparavant par la victime. Le torture porn aurait au contraire fait de ceux-ci le cœur de son propos.

Sans doute ce rattachement tient-il à la scène à caractère SM du film, à savoir le rasage du pubis de l’esclave attachée nue, enchainée bras levés au plafond par des chaines. Le caractère choc de la scène vient des plans frontaux du pubis et du rasage, rares pour un long métrage non pornographique et filmés ici dans des plans plus longs que ceux auxquels le cinéma traditionnel nous a habitués. Il semblerait d’ailleurs que pour les gros plans, les réalisateurs aient fait appel à une doublure issue du porno. Avec ce rasage, Paura est donc “un poil” pornographique. La nudité frontale n’est plus rare au cinéma, elle le reste cependant dans un contexte de violence SM. Mais cette scène est la seule de ce type du film, ce qui en fait par ailleurs sa force. Elle dénote. Pour le reste, l’actrice restera nue une bonne partie de son rôle. En cela, le métrage s’éloigne des standards américains du slasher pour retrouver le cinéma sleaze européen des ’70.

PAURA offre un spectacle satisfaisant mais non dénué de quelques scories. La plus importante d’entre elle reste le rythme de la première partie du métrage. Les réalisateurs prennent leur temps pour poser les personnages et nous faire découvrir le décor. Cette intention est certes louable, on sent la volonté de livrer un produit « à l’ancienne » où on prendrait son temps avant de débuter la boucherie. Mais l’ensemble se traine un peu, on reste trop longtemps avec ces glandeurs occupés à squatter la villa. Ce n’est qu’ensuite, une fois le proprio de retour, que le film s’emballe et nous divertit pleinement. La bande joue au chat et à la souris pour sortir dans être vu, hésite à sauver ou à abandonner la jeune fille, sont capturés par le Marquis, s’échappent, s’éparpillent, commettent les inévitables erreurs inhérentes au genre. A partir de ce moment, PAURA remplit sa mission, même si on eut préféré un climax un peu plus travaillé.

A noter qu’aux effets, on retrouve l’incontournable Sergio Stivaletti, signataire des effets spéciaux de presque tout le cinéma de genre italien des 25 dernières années. Le marquis est joué par Pepe Servillo, chanteur italien… et frère de l’acteur Toni Servillo.

PAURA a été tourné pour une exploitation en 3D. C’est cette version qu’a choisi de programmer le 31ème Brussel International Fantastic Film Festival. Au tout début, la 3D fourmille et pique un peu aux yeux, par la suite, elle se révèle assez agréable et très correctement exploitée. Elle se révèle supérieure à bien des films américains artificiellement gonflés en 3D.

A noter que le BIFFF suit le travail des réalisateurs. Un an auparavant, on y découvrait THE ARRIVAL OF WANG qui, bien qu’imparfait et déforcé par un budget insuffisant eu égard au projet, témoignait d’une volonté de produire un film singulier (l’interrogatoire par les services secrets italiens d’un extra-terrestre s’exprimant… en chinois). De cette courte filmographie semble émerger l’esquisse d’une thématique : des personnages emprisonnés qui ne sont pas ce qu’ils semblent être au premier abord. Auparavant, les réalisateurs auront livré un autre film d’horreur, CAVIE (2009), un thriller, PIANO 17 (2005) et une comédie vampirique, ZORA LA VAMPIRA (2000). Enfin, DEGENERAZIONE (1995) aura signé leur début. Il s’agit d’une anthologie d’horreur dans laquelle ils ont signé le sketch « Consegna a domicilio ». Un indéniable attachement au cinéma de genre donc.

PAURA reste un film imparfait, mais ne constitue pas non plus un plantage en règle. Il bénéficie de quelques atouts, au rang desquels sa scène choc et l’utilisation de la 3D. On le conseillera donc à l’amateur pas trop exigeant.

Retrouvez notre couverture du 31ème Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF).


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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