Peuple lointain et traditions séculaires : les documentaires de Richard Stanley

Un texte signé Éric Peretti

Royaume-Uni - 1990/2002 - Richard Stanley
Titres alternatifs : Voice of the Moon (1990), The White Darkness (2002)

Profitant de la présence de Richard Stanley en tant que membre du jury lors de sa onzième édition, le LUFF organisait parallèlement à la compétition officielle une rétrospective des œuvres du cinéaste. Regroupés sous le titre judicieux OcCult Movies, les titres de cette programmation comprenaient aussi les précieux documentaires du réalisateur, trop rarement diffusés. Réunis logiquement en un double programme, VOICE OF THE MOON et THE WHITE DARKNESS partagent l’intérêt de Stanley pour les civilisations marginales, le mysticisme et les belles images.
VOICE OF THE MOON est le fruit d’une frustration. Établi en Angleterre, Richard Stanley en a assez de tourner des vidéo-clips pour survivre. En 1988, n’arrivant pas à trouver de financement pour monter son premier long métrage, il décide de s’embarquer pour l’Afghanistan avec un convoi des Nations Unis, accompagné de son cameraman Immo Horn. Une fois sur place, ils se rendent vite compte qu’en restant avec l’organisation officielle, ils ne verraient pas vraiment le pays et décident de s’aventurer à l’intérieur des terres avec les moudjahidin. Les images qu’ils vont ramener seront exceptionnelles à plus d’un titre. À l’époque, le pays est toujours en guerre contre l’URSS et les quelques reportages tournés sur place sont réalisés en vidéo. Les batteries des caméras n’ayant qu’une autonomie très limitée, et l’électricité ne drainant que les grands axes, les journalistes ne peuvent s’aventurer au-delà d’une demi-heure de route. Stanley et Horn sont équipés de petites caméras 16mm à ressort qui leur permettent de filmer discrètement, sans avoir besoin de d’être rechargées. Le seul inconvénient de ce matériel est l’absence d’enregistrement sonore. Mais cela ne pose guère de problèmes aux deux hommes qui ignorent encore ce qu’ils vont filmer et ce qu’ils feront des images.
Se fondant parmi les autochtones, les deux hommes enregistrent leur quotidien alors qu’ils se déplacent dans le pays, attendant que quelque chose se passe. Les premières images de VOICE OF THE MOON donnent à penser à un documentaire touristique, on y voit des gens pêcher, manger, s’occuper des bêtes et surtout sourire. À mesure que le temps passe, que l’équipe s’enfonce plus profondément dans cette immense pays montagneux et désertique, les traces de la guerre commencent à apparaître. D’une façon presque anodine au départ, lors d’une cérémonie sportive pour fêter la fuite d’une unité russe, puis ce sont les armes qui entrent dans le champ de la caméra. Les fiers combattants afghans, dont des enfants à peine aussi grand que la kalashnikov qu’ils arborent, prennent la pose durant un moment de répit, ou paradent avec un char rouillé pris à l’ennemi. Les dernières images du film montrent le groupe pris dans les explosions de roquettes russes lors de la bataille de Jalalabad. Pourtant, on ne verra pas grand-chose de l’attaque, Immo Horn est sérieusement blessé par un éclat d’obus à la jambe et Richard Stanley arrête de filmer pour venir à son aide. Le tournage est terminé, commence alors pour les deux hommes un périple long et très compliqué pour quitter le pays et ramener le blessé en Angleterre afin qu’il puisse être correctement soigné.
Ce n’est que plus tard, que Stanley remonte les images ayant survécu, de nombreuses bobines ont été détruites par les autorités lors de la fuite du pays, et les organise en carnet de voyage, ajoutant pour unique narration un poème soufi entre les notes subtiles et envoûtantes d’une musique composée par Simon Boswell. VOICE OF THE MOON est, avec DUST DEVIL, le plus beau film de Richard Stanley, et les aventures vécues dans les déserts afghans lors du tournage lui inspireront de nombreux éléments de son premier long métrage HARDWARE.
Toujours avec son fidèle cameraman Immo Horn, Richard Stanley se rend à Haïti, à la demande de la BBC pour enquêter sur le Vaudou et les nombreuses autres légendes et superstitions qui forment le noyau dur des croyances religieuses de l’île. Ils y passeront trois mois. Conforme à ses habitudes, Stanley explore autant l’histoire sanglante du pays, les esclaves se sont retournés contre leurs maîtres, les exactions commissent par les Duvalier, que la naissance et la signification du Vaudou. THE WHITE DARKNESS donne la parole à de nombreuses personnalités impliquées dans les rites sacrés et nous offre même la possibilité d’assister à des cérémonies troublantes. Pour accompagner les images, superbes en ce qui concerne les plans de paysages mais très sombres et granuleuses pour les séquences peu éclairées, Stanley utilise des pistes musicales de Simon Boswell non retenues lors du montage de DUST DEVIL.
Si le sujet est plus qu’intéressant, ainsi que sa présentation formelle, il faut bien reconnaître que THE WHITE DARKNESS n’a rien d’inoubliable. Si le film apporte quelques clarifications quant au mythe du Vaudou, nous laisse à penser qu’il y a aussi une bonne part de charlatanisme autour de cette religion, il est loin d’être un documentaire définitif sur le sujet. En fait, les images les plus fortes du film sont presque le fruit du hasard. Durant le tournage l’armée américaine occupe l’île, toujours agitée par des remous politiques sévères, et s’empresse de savoir ce que Stanley et son équipe y font. Celui-ci répond qu’ils tournent un documentaire sur la religion dans le monde. Assimilant le mot religion au christianisme, le responsable des opérations sur place, le colonel Walton Walker, non seulement les autorise à poursuivre leur travail, mais y va de son commentaire quant à la mission dont il est chargé. Selon lui, les habitants de l’île sont des sauvages qui se compromettent avec Satan, il ne peut y avoir de bonnes bases pour la démocratie sans christianisme ! Une fois que les militaires se sont rendus compte que le sujet du film était principalement le Vaudou, les choses ont commencé à se compliquer pour l’équipe de tournage et celui-ci a dû s’interrompre.
Un carton explicatif à la fin du film nous explique que le colonel Walker a été relevé de ses fonctions à Haïti peu de temps après ses déclarations. Le plus glaçant dans cette histoire ne sont pas tant les propos de Walker, que le fait qu’il les applique probablement dans une autre partie du globe, sous couvert d’humanisme. Du coup, THE WHITE DARKNESS cesse d’être un documentaire sur les croyances haïtiennes pour se transformer en une œuvre bien plus politique.

Texte basé sur de longues conversations avec Richard Stanley.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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