Phase IV

Un texte signé Alexandre Thevenot

Dans le désert de l’Arizona, un scientifique observe une espèce inconnue de fourmis noires qui parvient à éliminer ses prédateurs. Voulant comprendre ce phénomène inexplicable, aidé d’un assistant, il installe un laboratoire dans un vaste champ appartenant à des fermiers. Après avoir demandé à ces derniers de déménager pour éviter tout risque, secondé par d’autres scientifique, le groupe s’enferme dans la base expérimentale et se met à observer les différentes phases d’évolution de cette espèce, qui, à terme, pourrait devenir un danger pour l’humanité.

Très célèbre pour avoir réalisé un certain nombre de génériques et d’affiches de films (SUEURS FROIDES, PSYCHOSE, L’HOMME AU BRAS D’OR ou plus tard SHINING, c’est lui), Saul Bass a aussi occupé différents postes pendant le tournage de certains films, ce qui créa d’ailleurs quelque controverse quant à la paternité de la séquence de la douche du PSYCHOSE d’Alfred Hitchcock. En 1964, il commence à réaliser des courts métrages qui oscillent entre le documentaire, les expérimentations graphiques et des réflexions plus ou moins développées sur l’Homme. PHASE IV, sorti en 1974, sera son seul long-métrage. Si le monsieur se destinait à la réalisation, le film n’ayant pas eu de succès, il ne persévéra pas dans cette branche et se contentera de poursuivre des expérimentations sur des courts métrages, affiches ou autres génériques.

Si l’affiche de PHASE IV présente une main qui sort de terre attaquée par des fourmis, le tout dessiné avec le trait caractéristique d’une publicité pour le cinéma de genre et doublé d’une spectaculaire phrase d’accroche « Le jour où la terre devint un cimetière ! », force est de constater que le film est bien différent. Il s’agit d’un film de science-fiction non conventionnel qui s’ancre particulièrement bien dans les réflexions que Saul Bass a pu mener dans ses autres films. Le prétexte de l’expérience scientifique sert à bâtir une réflexion métaphysique où la place de l’Homme et son interaction avec le monde sont remises en question. Ainsi ce n’est pas tant la transformation animale présentée comme objet d’attraction qui prend le dessus dans le film comme l’affiche semble le faire croire ou comme ça a pu l’être dans l’univers de Jack Arnold (TARANTULA). La présence d’un rôle féminin permet néanmoins de rendre le récit moins âpre et d’introduire des scènes qui relèvent plus de la fiction.

Ce qui fait peur dans ce film, ce qui est « monstrueux », c’est ce qui est observé et qu’on ne peut pas voir à l’œil nu. Cela aurait pu paraître ridicule mais Saul Bass parvient à maintenir une tension par ce biais qui est vraiment très efficace. En ce sens, il prend le contrepied du film de monstre basique (le monstre est gros, laid et possède une force décuplée) et joue sur le moment à venir d’une prise de conscience. La minutie avec laquelle les expériences sont décrites et le point de vue interne font qu’on attend toujours d’en découvrir plus et que cette seule attente donne la tenace impression qu’on avance vers l’inconnu. En même temps, cela se fait au détriment d’une narration classique et on a parfois le sentiment de s’ennuyer un peu. Pas trop, heureusement, parce que si la tension est efficace, Saul Bass sait à merveille instaurer une dimension contemplative à son film. C’est le constat que l’homme et la fourmis sont peut-être bien plus proches qu’ils n’y paraissent et en filigrane l’influence du cosmos sur la terre qui font se rejoindre science-fiction, métaphysique et ésotérisme dans ce qui pourrait être une ébauche du court-métrage QUEST. Saul Bass manifeste déjà son goût pour les monuments taillés d’un seul bloc et l’absence d’explication les concernant permet de formuler des hypothèses sur l’aspiration ou le devenir de l’homme. A ceci près, néanmoins, que la finalité n’est plus la même. Dans PHASE IV, il s’agit de prévenir un danger alors que dans QUEST l’homme est initialement condamné et il ne lui reste plus qu’à partir en quête pour se délivrer.

Unique long-métrage d’un réalisateur qui aurait peut-être pu figurer parmi les grands, PHASE IV est un film qui vaut vraiment le détour. Il montre en plus qu’il ne faut pas nécessairement tout montrer pour faire peur, en témoigne le sujet du film que sont les fourmis, et la portée réflexive de l’histoire.


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- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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