Photo interdite d’une bourgeoise

Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1970 - Luciano Ercoli
Titres alternatifs : Le Foto Proibite di Una Signora per Bene, Forbidden photos of a lady above suspicion, Liberté des sens, Les plaisirs de la nuit
Interprètes : Dagmar Lassander, Pier Paolo Capponi, Simón Andreu, Nieves Navarro

Méconnu en France, Luciano Ercoli est pourtant un réalisateur talentueux qui n’aura signé que quatre gialli avant de faire quelques comédies policières puis de se retirer définitivement du cinéma après avoir hérité d’une grosse fortune. Lui qui avait commencé en tant que scénariste sur FANTOMAS, ne connaîtra jamais le succès d’un Dario Argento ou d’un Lucio Fulci, sans doute parce que ses films sont moins axés sur la violence.

En réalité, le gore est totalement absent des films d’Ercoli. Plus axé sur l’érotisme, relativement soft, plus évocateur que démonstratif, il plane sur ses films une atmosphère douce, sucrée, extrêmement présente dans ce premier long-métrage.

PHOTO INTERDITE D’UNE BOURGEOISE, au nom aguicheur, est son premier long-métrage. Sans être exempte de défauts, cette première réalisation présente néanmoins tous les éléments d’un bon giallo, allant du fantasme des femmes sexy en danger à l’ombre inquiétante des hommes, en passant par le doute omniprésent, sans parler d’un retournement de situation quasi obligatoire dans ce genre de film.

Minou est une femme mariée qui a tout pour être heureuse, un époux aimant et une grande maison. Harcelée par un homme mystérieux, elle se met à douter de son époux et cède au chantage qu’exerce cet homme inquiétant sur elle. Elle accepte de coucher avec lui pour préserver son mari. Mais ce faisant, elle se retrouve naturellement encore plus embourbée qu’avant car l’homme peut désormais la faire chanter avec cette tromperie. Son seul recours réside dans son amie, une femme délurée à la sexualité affirmée et qui ne manque pas d’esprit.
Malheureusement pour Minou, l’étau se resserre au point qu’elle finit par douter de tout le monde. S’il n’y a jamais de preuve de l’existence de cet homme, est-ce parce qu’elle est folle ? Parce que son entourage se joue d’elle ? Ou parce qu’elle est le jouet d’un complot ? Quoi qu’il en soit, l’esprit de la jeune femme vacille et sombre peu à peu dans la folie.

On peut reprocher à l’histoire son héroïne peu courageuse et cédant trop facilement à la menace. En revanche, cette atmosphère sensuelle et inquiétante élève le film au statut d’un vrai bijou. Le maître chanteur est à la fois une menace intouchable, qui ne laisse jamais aucune preuve de son passage, tel un fantôme, ou une hallucination. Néanmoins, il représente également le fantasme d’une femme enfermée dans une petite vie bourgeoise ennuyeuse. D’ailleurs, l’aspect érotique imprègne chacune des apparitions du maître chanteur, comme s’il n’était qu’un fantasme issu de l’esprit de Minou.

C’est d’ailleurs ce qui confine à la folie. Comme le personnage incarné par Catherine Deneuve de Séverine Serizy dans BELLE DE JOUR, que ses fantasmes finissent par abuser, Minou ne sait plus que croire. Quoi doit-elle croire ? Son esprit ? Ce qu’elle a vu, vécu ? Ou bien ce que ses proches et la police lui disent ? Est-elle en train de s’aliéner par solitude et à cause du manque de tendresse de son époux ? Ou bien est-elle véritablement l’objet d’un complot ? La menace demeurant toujours obscure, gardant un soupçon d’érotisme quelles que soient les situations, l’atmosphère du film n’en est que plus intéressante.

Même si l’érotisme est très présent, avec une atmosphère secrète et axée sur le sado-maso, on n’aura cependant droit à aucun meurtre ni bain de sang. Échappant à la sacro-sainte règle du giallo où le tueur se doit d’être masqué ou de porter un signe distinctif, comme avoir un chapeau, un manteau noir, un couteau à la lame luisante ou une arme aiguisée et tranchante si possible la plus sadique possible, le film n’offre ainsi aucune scène gore, aucun bain de sang, ni mise à mort aussi lente que sadique. Ce n’est pour autant pas spécialement un défaut, cela constitue quelque part l’originalité du film qui tient finalement plus du thriller érotique que du giallo.

Bien évidemment, il y a aussi cette thématique du féminisme. Le film est éminemment féminin. Pas uniquement à cause de ses couleurs, du filtre doux posé sur l’image, de la manière de filmer la jeune femme, mais parce qu’il oppose deux images de la femme via les deux amies. L’une est totalement affirmée dans sa sexualité alors que l’autre incarne une prude femme au foyer. Le film confronte également l’héroïne à ses fantasmes non avoués et l’oppose à un mari possessif, absent et autoritaire. Il y a d’ailleurs à travers le sado-masochisme une thématique de la domination/soumission abordée par le film. Ainsi, le métrage aborde des thématiques finalement plus profondes qu’il n’y paraît. Minou n’est au fond pas si différente des héroïnes des œuvres gothiques, jeune ingénue innocente et naïve qui doit affronter un homme représentant les menaces pesant sur la vie de n’importe qui. Ici, ce n’est plus une jeune fille, mais une femme qui doit se libérer des chaînes de sa vie bourgeoise qui l’emprisonne.

D’ailleurs, le personnage de l’amie campée par Susan Scott est celui qu’on retrouve dans LA MORT CARESSE A MINUIT, une femme indépendante, insouciante, sensuelle, attirante et séduisante qui profite de chaque instant dans la vie, exigeant de pouvoir faire cela impunément. Il y a quelque part dans ce personnage visiblement une égérie pour Luciano Ercoli, l’image de la femme d’aujourd’hui qui à l’époque commençait tout juste à s’émanciper.

Pas du même niveau que d’autres gialli, PHOTO INTERDITE D’UNE BOURGEOISE demeure cependant un bon film. Avec son atmosphère érotique, la manière dont il aborde le sado-masochiste, qui n’est pas sans rappeler BELLE DE JOUR, on a là un film possédant une très belle image et une thématique intéressante. Plutôt oublié, ce petit film mérite d’être vu, et apprécié.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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