Piercing

Un texte signé Sophie Schweitzer

Américain - 2018 - Nicolas Pesce
Interprètes : Christopher Abbott, Mia Wasikowska, Laia Costa

Reed, époux et père, a le plus grand mal à contenir ses penchants meurtriers. De peur de s’en prendre à son bébé ou à sa femme, il décide de trouver une victime. Pour cela, il prend une chambre d’hôtel et appelle une prostituée afin d’assouvir ses envies de meurtre. Reed répète encore et encore son plan pour tuer et découper le corps ignorant que la victime qu’il s’est affectée est loin d’être une oie blanche. La jeune prostituée va s’avérer plus tordue encore que lui.

PIERCING est l’adaptation du roman éponyme de Ryu Murakami. L’auteur japonais a été plusieurs fois porté à l’écran et l’adaptation la plus proche de l’univers de PERCING est indéniablement AUDITION de Takashi Miike sorti en 1999. Second long métrage de Nicolas Pesce, PERCING mêle différentes inspirations, comme les jeux de domination et la lutte des classes qu’on retrouve dans LA SERVANTE de Kim Ki-Young. La musique est empruntée aux giallos de Dario Argento (LES FRISSONS DE L’ANGOISSE, TÉNÈBRES) . Et on y trouve une atmosphère à la David Lynch (BLUE VELVET, MULHOLLAND DRIVE) avec ses décors rétro et une musique jazzy suave. Ajoutez au cocktail du voyeurisme à la Brian de Palma (BODY DOUBLE), et des visions hallucinées digne d’une saison de American Horror Story et vous avez un cocktail détonnant.

Toutefois, il y a une différence entre ses références et le rendu du film. Nicolas Pesce s’attache plus à dépeindre une atmosphère et des jeux de pouvoir entre deux personnages qu’à reproduire un giallo ou un thriller palmesque. Le film est dépouillé à son maximum en nombre de personnages se résumant au héros, à sa famille et à la prostituée. Ce dépouillement veut mettre en avant le personnage principal et surtout la différence entre ses fantasmes et la réalité. Mais il peine à masquer un petit budget et manque de moyen conséquent à ce dernier.

Heureusement, l’humour très présent donne tout son sel au film. Le héros s’imagine en Dexter, tueur psychopathe sûr de lui, planifiant tout à l’extrême, alors qu’il s’avère d’une maladresse et d’une candeur presque fatale. À l’inverse, la prostituée est une jeune femme pleine de surprise et bien plus sombre que ne l’est le héros en fin de compte. Le réalisateur n’hésite pas à jouer avec les attentes du spectateur afin de faire naître un humour à la limite de l’absurde, nageant toujours dans les eaux troubles du malsain. Le risque encouru est cependant de frustrer le spectateur en lui vendant quelque chose qu’il n’aura tout simplement pas.

Le héros est campé par Christopher Abbott qui a une curieuse ressemblance avec Kit Harington (interprête de John Snow dans GAME OF THRONE) ce qui lui donne un petit air innocent loin des clichés qui veulent que le psychopathe soit un nerd à lunette. La prostituée tordue est jouée par Mia Wasikowska qui incarne un rôle assez proche de celui qu’elle avait déjà occupé dans MAPS TO THE STARS de David Cronemberg. Enfin l’épouse est incarnée par Laia Costa repérée dans VICTORIA où elle avait le rôle-titre. C’est un casting assez ramassé, mais qui tient dans l’ensemble, grâce à un jeu d’acteur talentueux et un script assez solide pour tenir le spectateur en haleine.

Ce qui est intéressant c’est bien sûr le production design. Les séquences sont entrecoupées de longs panoramiques sur une cité en maquette qui jette un trouble tant elle paraît réaliste donnant le sentiment de se promener dans une cité déconstruite et infinie à la fois. À cela s’ajoutent des décors soignés avec un délicieux petit côté rétro qui n’est pas sans rappeler l’univers de David Lynch, d’autant que la musique jazzy renforce cette impression.

Ce qui fonctionne moins en revanche, c’est les flashbacks sur le passé du héros, qui surviennent sous la forme de fantasmes hallucinés. Le problème étant qu’ils viennent expliquer quelque chose qu’on aurait pu simplement se deviner par l’échange entre les deux personnages. Le film tient quasiment de la pièce de théâtre depuis le début, avec des échanges verbeux entre les personnages et des comportements étonnants qui ne font qu’éveiller la curiosité du spectateur. Le fait d’en révéler au fur et à mesure pour détricoter l’image du tueur implacable est intéressant, ce qui l’est moins, est ce trip trop imagé et trop explicatif.

Enfin, dernier point sombre du film, c’est sa fin trop frustrante. Le problème étant qu’il est rapproché d’Audition, alors que les scènes gores ne sont pas vraiment au programme. Le film est essentiellement un duel entre deux personnages pour savoir lequel est le plus tordu, lequel mérite le plus de souffrir, et qui infligera lesdites souffrances. Ce n’est en rien un « torture porn » (genre cinématographique constitué pour l’essentiel de scènes de tortures) contrairement à ce qu’on aurait pu attendre. Il faudra donc revoir la manière de vendre le film afin d’éviter les déceptions de la part des spectateurs.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà


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