Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 1982 - Koji Wakamatsu
Titres alternatifs : A Pool Without Water, Mizu no nai puuru, Mizunonai Pool
Interprètes : Yûya Uchida

L'Etrange Festival 2011retrospective

Piscine sans eau

Uchida, un petit employé du métro, assiste à l’agression sexuelle de Jun. D’abord placide, hésitant à passer son chemin en se désintéressant du calvaire de la jeune femme, il finit par lui porter aide, met en fuite les pervers et la raccompagne chez elle. Terne, la vie d’Uchida oscille entre un boulot répétitif et peu valorisé et une famille envers qui il n’éprouve plus grand-chose. A l’occasion d’une excursion familiale en campagne, il surprend cependant un couple en plein ébat. De retour, son fils, qui a commencé une collection, lui montre que le chloroforme endort les insectes sans les tuer. Se procurant le somnifère en droguisterie, Uchida va s’introduire nuitamment chez Jun puis chez d’autres jeunes femmes esseulées, prenant de plus en plus d’assurance, tandis que sa vie familiale et professionnelle s’en va à … vau l’eau.

PISCINE SANS EAU, le titre réfèrerait aux dire de Wakamatsu au vide existentiel qui creuse les protagonistes, Uchida en tête, certes, mais aussi la jeune serveuse Nerika, laquelle finit par attendre ces visites nocturnes. La piscine en question, représentée dans le film devient un espace métaphorique pour les déambulations d’Uchida.

Lui-même coquille vide, Uchida retrouve un semblant d’existence en pénétrant le domicile, l’intimité et les corps. Si l’acte est criminel, l’intention est moins de violer que d’exister à nouveau, de trouver sens dans les sens.

Mais Uchida est un être complexé, aliéné par son travail ou son rapport à la société, dégoutté par le rapport à ses semblables (il confie à un entretien d’embauche de veilleur de nuit être motivé par le fait que les rondes ne l’obligeront plus à croiser ou entretenir des contacts sociaux) et qui résout son problème par la bande, en recréant un rapport ou l’autre est quasi absent, réduit à sa chair. Aussi désabusé que le personnage gainsbourien, notre poinçonneur cherche rédemption auprès d’autre lilas, de celles incarnées en seins, jambes et fesses.

C’est en ça que PISCINE SANS EAU retient notre attention : les viols d’Uchida se font sans violence, sa prise des corps endormis ne traduit pas une volonté de domination, mais plutôt une stratégie d’évitement, ou du moins une approche par petite touche : au début, il se contente de reluquer une belle endormie, il passera ensuite à une relation sexuelle, il prendra ensuite plus de risques en laissant des témoignages de son passage, préparant un petit déjeuner, nettoyant l’appartement ou les vêtements de sa victime, abandonnant le chloroforme…, comme pour renouer doucement le contact avec l’humanité.

C’est tout le contraire des films de viols initiés par la Nikkatsu dans la seconde moitié des années ’70 (LE VIOLEUR À LA ROSE en 1977 ou évidemment, YARU en 1978, tous deux de Hasebe), et dont le sous-genre fera florès, qui, eux, montre au contraire et dans une pure démarche d’exploitation, le viol comme objet fantasmatique de domination mâle. Fantasmatique car les femmes finissent souvent par y prendre plaisir.
Si c’est également le cas pour Neriko dans PISCINE SANS EAU, exprimé cependant avec nuance et ambiguïté, Uchida n’est pas dépeint comme sous les traits du pervers dominateur classiques. C’est au contraire un type un peu paumé, situé en bas de la classe moyenne (et sans doute identifiable au public masculin moyen du pinku de ces années-là), dont les rouages psychologiques, plus réalistes que ceux des pinkus, sont au centre de la narration, ce qui le distingue de nombre d’érotiques… Quoique le jeu qu’il entretient avec ses victimes, les photographiant sans pudeur, les fardant, jouant de leur corps comme d’une poupée (auparavant, on l’aura vu caresser négligemment l’entrejambe d’une poupée de chiffon) en fait quand même un quasi démiurge jouant avec sa création, dans égard pour elle et avec un sentiment d’impunité dont il testera de plus en plus les limites. Ambiguïté d’un personnage plus complexe que d’habitude.

Avec PISCINE SANS EAU, Wakamatsu, autrefois spécialisé dans le pinku à micro budget (avec de surcroit une connotation politique marquée), ouvre son œuvre, si pas encore à d’autres sujets, du moins à d’autres perspectives.

Dès lors, les généreuses et nombreuses nudités féminines de la seconde moitié du métrage ne confèrent pour autant pas au spectacle une vocation à exciter. Ce qui n’entame en rien notre intérêt pour ce qui reste comme un des films majeur du prolifique cinéaste.

Le film a été scénarisé par Eiichi Uchida, qui signa plusieurs scripts pour Toshiya Fujita (réalisateur de LADY SNOWBLOOD.. sur lequel ne travailla cependant pas Eiichi Uchida). Au casting, on retrouve dans le rôle d’Uchida… Yûya Uchida (vu dans BLACK RAIN, FURYO, le ZATOÏCHI de 1989… ou un EROTICNA KANKEI tourné par Yasuharu Hasebe la même année que son roman porno de viol YARU que nous évoquions plus haut). On peut comprendre que Wakamatsu ait gardé le nom d’Uchida pour son protagoniste, Yûya Uchida étant alors déjà une star locale.

Inédit en salle en France à l’époque, PISCINE SANS EAU a par contre été programmé à l’Etrange Festival 2011.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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