Plaisir à 3

Un texte signé Éric Peretti

France - 1973 - Jesús Franco sous le pseudo Clifford Brown
Interprètes : Alice Arno, Robert Woods, Tania Busselier, Lina Romay, Howard Vernon, Alfred Baillou

Cinéaste apatride, tournant des films là où il trouve de l’argent, Jesús Franco, avec PLAISIR À 3, répond à une commande du producteur Robert de Nesle. Ce dernier, distributeur français du très rentable LES INASSOUVIES (1970), demande au cinéaste de réaliser une variation sur le même thème, à savoir l’initiation d’une jeune innocente aux délices du vice, telle que l’a décrite le Marquis de Sade avec La Philosophie dans le boudoir. C’est à ce moment que Franco, déjà absorbé par d’autres projets, rencontre Alain Petit, critique et défenseur farouche de son cinéma, et lui propose d’écrire le scénario du film en se basant sur un premier traitement qu’il lui fait remettre.
Martine de Bressac quitte la clinique psychiatrique où elle a séjourné une longue période après avoir émasculé l’un de ses amants. À peine de retour dans sa résidence du bord de mer, après de brèves retrouvailles avec son mari Charles, elle se rend au sous-sol de la demeure pour contempler son musée des suppliciées : des jeunes filles mortes, figées pour l’éternité dans la douleur et la peur. Durant son absence, Charles a repéré un nouvelle proie idéale, Cécile, la fille de leur voisins, qui attise fortement leur désir alors qu’ils l’épient en train de se masturber. Invitée à passer le week-end chez les de Bressac, la jeune femme, encore bien innocente, devient l’objet de tous les jeux érotiques du couple…
Grand amateur de cinéma horrifique emprunt d’ambiance gothique, Alain Petit rajoute, à l’obligatoire et classique récit d’initiation, l’idée folle de ces corps féminins momifiés que Martine de Bressac chérie tant. Les plus belles images du film sont d’ailleurs celles qui gravitent autour du sous-sol, nous détaillant cette morbide collection. Si Franco semble avoir été particulièrement inspiré sur ce point, il ne s’est pas autant appliqué sur le reste du film, se contenant de filmer à nouveau au kilomètre ses scènes érotiques, usant et abusant du zoom. À ce titre, la séquence de masturbation de Cécile devient une véritable épreuve d’endurance d’une quinzaine de minutes durant lesquelles le couple de voyeurs fait l’amour, déversant un incessant flot de vulgarités. Cette logorrhée incongrue, la scène avait été écrite sans dialogues à l’origine, n’est pas la seule modification apportée par le cinéaste au scénario d’Alain Petit. Alors que ce dernier avait proposé un final horrifique qui voyait les corps entreposés dans la cave s’animer le temps d’une ultime vengeance, Franco préfère s’en tenir à un retournement de situation moins fantastique mais plus ironique.
Lina Romay, qui n’avait jusqu’alors été qu’aperçue furtivement dans les précédents films du cinéaste, trouve dans PLAISIR À 3 son premier rôle majeur en interprétant Adèle, la complice un peu simplette, mais toujours éveillée lorsqu’il s’agit de prodiguer quelques plaisirs saphiques, du couple. À l’aube de la vingtaine, d’une beauté renversante et capable de jouer la comédie, elle est prête à remplacer, dans le cœur et sur l’écran, Soledad Miranda, ancienne muse du réalisateur disparue trop tôt dans un accident de la circulation en 1970.
Parti tourner le film en Espagne durant l’été 1973, Franco demande une rallonge à son producteur en lui promettant un second film dans le même délai. C’est donc avec la même équipe qu’il improvise LA COMTESSE PERVERSE, qui sera au final bien plus réussi que le film pour lequel il a été mandaté. Si PLAISIR À 3 comporte quelques bons moments, il est loin d’être inoubliable et ne compte ni parmi les franches réussites de Franco, ni parmi les transpositions intéressantes des textes du divin Marquis. Sauvé de la banalité par son atmosphère parfois inquiétante et ménageant quelques surprises, le film est une bonne démonstration de la capacité de Jesús Franco à boucler un tournage éclair avec un minimum de savoir-faire pour livrer un produit conforme aux attentes. Si le film ravira les inconditionnels du réalisateur, ces derniers ne pourront en revanche s’en servir pour rallier les sceptiques à leur cause.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Éric Peretti

- Ses films préférés :


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link