Un texte signé Angélique Boloré

chroniques-infernales

Points chauds

Pendant des millénaires, l’Homme a contemplé la voûte céleste et s’est demandé s’il était seul dans l’univers ou s’il y avait quelqu’un là-haut. D’autres mondes sont-ils habités et si oui, par qui ? Quel aspect peuvent avoir les extraterrestres ? Sont-ils intelligents ?

Toutes ces questions ont de tout temps taraudé l’humanité… Hé bien Laurent Genefort, un nom fort connu de la science-fiction française contemporaine, s’y attelle et met en perspective ces questions dans son roman Points chauds.

Le point de départ de son histoire et des réflexions qui s’ensuivent réside dans ce que nous faisons depuis l’apparition des dénommées « bouches ». Ces ouvertures dimensionnelles, des portes, laissent passer les corps. La Terre devient alors une sorte de hall de gare intergalactique pour Aliens en transit.
L’histoire commence en 2019 quand un, puis deux, puis cent portails s’ouvrent pour livrer passage à des êtres venus d’un ailleurs-A et à destination d’un ailleurs-B.
Là, c’est le premier choc. L’humanité découvre avec émerveillement et en même temps effarement qu’elle n’est pas seule, que les Aliens sont… diablement nombreux !
Et la révélation ne s’arrête pas si en bon chemin. Le deuxième choc pour l’humanité dans son ensemble réside dans le fait que ces Aliens… n’ont que faire des hommes. Invisibles, accessoires, négligeables… voilà les synonymes qu’on peut appliquer aux hommes auxquels on ne demande rien d’autre que de laisser passer les convois de créatures variées et extraordinaires.
Ainsi, nous, les Hommes, à partir de cet instant, sommes comme les vaches qui regardent passer les trains !

Laurent Genefort explore une situation extrêmement intéressante et originale. Pour ce faire, il utilise une méthode dynamique : la parole donnée à quelques personnages principaux, un scientifique, un militaire, un citoyen lambda, un médecin oeuvrant dans l’alien-itaire. Ils racontent ce qui leur arrive, leur expérience avec les extra-terrestres, leur vision du phénomène. Ces moments personnels sont entrecoupés de courts passages plus « globaux » parlant de résolutions de l’ONU sur tel ou tel sujet, de lois votées par le pays x ou y, d’actions correctives ou en faveur des extra-terrestres mises en œuvre par machin ou bidule… Cette manière de faire donne un effet de multiplicité des points de vue, de profondeur, de profusion qui sied à l’affaire. Les Aliens sont très nombreux à passer sur Terre, avec des physiques, des langages, des mœurs tellement différents qu’il était logique et pertinent d’adopter ce style de narration.
A travers tout ceci, ce qui transparaît, c’est l’impuissance de certains hommes à accepter, à s’adapter, à comprendre. La réticence, la méfiance sont-elles des remparts ou des prisons ? Et ceux qui sont ouverts et accueillants, ont-ils raison ? Il y a là une multitude de comportements qu’il est compliqué de faire cohabiter. A titre d’exemple, l’auteur présente divers comportements antagonistes. En effet, certaines personnes cachent des extra-terrestres chez eux que les militaires sont chargés par le gouvernement de débusquer et éradiquer. Mais au nom de quoi ? De la sûreté de l’humanité ? D’accord mais alors comment expliquer que le pays d’à côté les accepte ? Qui a tort, qui a raison ? Où se situe la juste voie ?

Dans ce contexte introspectif, le roman de Laurent Genefort est fort peu divertissant en réalité. Loin de situations amusantes ou trépidantes, il explore les possibilités de la révélation pour nous de l’existence de ces centaines d’espèces d’extra-terrestres, évoluées, intelligentes, artistiques. Réduits au rôle de spectateurs, comment le vivrions-nous ? Il s’agit cependant là de réflexions très humanistes de l’humanité. Si on occulte l’écrin futuriste du propos, le lecteur pourrait tout aussi bien s’attacher à explorer les remarques sous-jacentes mais très prosaïques de Laurent Genefort concernant notre comportement face à l’étranger, à l’autre, à celui qui n’est pas nous… comme le Nord-Africain en Europe, le Latinos aux États-Unis, le Sud-Coréen en Corée du Nord, voire le buveur de vin quand chez soi on mange du fromage qui coule… En vérité, au fil des pages, on ne retrouve pas autre chose que les comportements que nous avons déjà aujourd’hui, malheureusement, et sans l’extraordinaire excentricité extra-terrestre.

Points chauds est un court roman, moins de deux cents pages, ce qui peut sembler peu pour le lecteur avide. Dans la chronologie de la production de Laurent Genefort, le livre reprendrait apparemment l’idée de la force spéciale baptisée Rempart qui aurait été initiée dans une nouvelle précédente. Et hormis ceci, l’édition de chez Le Bélial’ propose un glossaire et des illustrations des extra-terrestres évoqués dans les pages précédentes. Ces charmants dessins, de Manchu, apparaissent sous forme de croquis « vitement » croqués. Ils apportent indéniablement de la valeur à l’ensemble.

Peut-être que le bémol qu’on pourrait faire remonter de ce Points chauds de Laurent Genefort réside dans le fait que le potentiel de l’histoire semblait sans commune mesure avec l’implication du lecteur. En effet, il est peut-être difficile de s’identifier totalement, de s’immerger dans l’histoire. C’est peut-être dû à la construction relativement étrange des récits. On passe de 2019 à 2024, pour aller à 2031 et finalement revenir à 2025 pour repartir en 2027… sans que l’intérêt du procédé saute au visage du lecteur un peu dérouté. Et puis les narrateurs n’émeuvent pas franchement, malgré parfois la dureté de ce qu’ils vivent. A titre d’exemple, il y a quelques injustices, situations angoissantes et même un génocide assez platement racontés finalement.
Ainsi, Points chauds est d’un indéniable intérêt intellectuellement, mais l’émotion ne submerge pas les pages, Genefort serait apparemment un écrivain de l’intellect, pas de l’affect.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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