Un texte signé Patryck Ficini

chroniques-infernales

Pont-Saint-Esprit, les cercles de l’enfer

La Clef d’Argent est assurément un grand éditeur fantastique. Peut-être pas par la taille de sa structure ou par ses tirages, mais en tout cas il l’est bel et bien par la qualité globale de ses productions. Si l’on peut s’avérer séduit davantage par certains choix éditoriaux que par d’autres, il n’en reste pas moins que la Clef d’Argent aime passionnément le fantastique et parvient presque toujours à transmettre cette passion au lecteur, qu’il soit déjà converti ou pas. En partie par la beauté de ses ouvrages, à l’esthétique toujours soignée, en partie par l’implication et le talent d’auteurs qui méritent d’être découverts et essayés.
Second « petit roman », après LE FANTOME DU MUR de Jean-Pierre Favard, de la collection Lokhale, PONT-SAINt-ESPRIT LES CERCLES DE L’ENFER ne fait pas exception à ce qui est devenu une règle. Principalement connu pour des recueils fantastiques chez l’éditeur Malpertuis, Laurent Mantese s’attaque ici à un sujet très fort, certainement encore douloureux pour ceux qui en souffrirent, directement ou indirectement, en 1951 dans la petite ville du Gard de Pont-Saint-Esprit.
Hystérie, hallucinations terrifiantes et autres crises délirantes secouèrent bien trois cent personnes de cette commune comme si elle avait été en proie à une mystérieuse contagion à l’origine méconnue. Des forces maléfiques furent-elles à l’oeuvre ? Sans doute pas. En fin d’ouvrage, à travers un dossier très complet, c’est Jean-Pierre Favard, le directeur de collection, qui liste les différentes hypothèses qui furent émises pour expliquer l’inexplicable et l’horrible. De l’intoxication à l’ergot de seigle à la contamination volontaire au LSD par la CIA – à titre expérimental-, tout a été envisagé pour cela. Du plus raisonnable au plus étonnant.
Un sujet comme celui-ci, encore vibrant dans la mémoire collective des français de l’époque, aurait pu donner un roman de contamination un peu trash, en extrapolant sur une réalité déjà terrible et sur des souffrances qui furent bien réelles. Il n’en est rien, plus subtilement, et avec un infini respect pour les victimes, Laurent Mantese reconstitue avec beaucoup de talent toute l’affaire sans jamais verser dans le sordide et le voyeurisme – ce que l’on peut toujours redouter avec une histoire « tirée de faits bien réels ».
Au contraire, l’auteur mêle savamment personnes réelles et fictives (le narrateur notamment) pour peindre la chronique d’un quotidien paisible qui dérape et bascule dans l’angoisse la plus pure.
L’angoisse… on pense d’ailleurs aux romans de B. R. Bruss pour la célèbre collection du Fleuve Noir, des œuvres puissantes comme LE BOURG ENVOUTE, NOUS AVONS TOUS PEUR ou LE MORT QU’IL FAUT TUER, qui eux aussi se déroulaient souvent dans des villages ou des petites villes bien françaises.
La Clef d’Argent retrouve ainsi les plaisirs d’un fantastique au charme suranné, celui des années 50. L’éditeur prouve que l’on peut encore, en 2015, évoquer des faits passés et dessiner l’atmosphère d’une époque sans jamais que le plaisir de lecture éprouvé paraisse, lui, daté.
PONT-SAINT-ESPRIT LES CERCLES DE L’ENFER est un roman, inquiétant mais surtout émouvant, qui délivre une petite musique triste. Celle d’un « fantastique réel ». Et donc, comme bien souvent, tragique.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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