Pontypool

Un texte signé Philippe Delvaux

Canada - 2008 - Bruce Mc Donald
Interprètes : Stephen McHattie, Lisa Houle, Georgina Reilly, Hrant Alianak

Par un neigeux matin d’hiver à Pontypool, petite bourgade perdue et d’ordinaire paisible du Canada, le DJ Grant Mazzy s’apprête à débuter sa matinale de la radio locale. Sa voix chaude et ronde met en onde les nouvelles insignifiantes qui bercent le quotidien de cette ville sans histoire. Filtrées par sa productrice Sidney Briar, et son ingénieur du son, Laurel-Ann Drummond, les nouvelles sont récoltées par divers biais : leur correspondant Ken Looney censé survoler la région en hélico, les appels des auditeurs, la captation des fréquences de police et les news postées sur le net. Mais voici que petit à petit, notre fine équipe reçoit des bribes d’informations selon lesquelles une émeute se serait produite devant le domicile du médecin Mendez. Une émeute à Pontypool ? Voilà qui serait une première. Mazzy veut sauter sur l’opportunité d’un scoop tandis que sa productrice, plus respectueuse de la déontologie journalistique… et ne cherchant pas à heurter trop le calme de ses concitoyens, veut d’abord des recoupements. Mais au fur et à mesure de ceux-ci, il semble que l’émeute provienne de citoyens qu’une étrange et très contagieuse maladie réduit en zombis agressifs. Paniqués, reclus dans leur studio de radio, nos trois héros vont devoir chercher par quels moyens se propage cette mystérieuse infection pour ne pas être à leur tour contaminés.

Un huis-clos avec trois personnages statiques qui ne font que parler… et pourtant, le résultat éblouissant est à hauteur du difficile défi à relever. Pour preuve, l’attention silencieuse d’un public captivé au 28e Festival du film fantastique de Bruxelles (BIFFF), cette même audience se révélant parfois bruyamment blagueuse à l’encontre de films imparfaits, trop bavards ou même trop contemplatifs. Il faut donc une histoire particulièrement solide et rondement menée pour captiver ce public traditionnellement avide d’œuvre de zombis (ou d’infectés) qui ici déploie aussi peu d’actions et une grande retenue à montrer lesdits monstres. En septembre 2010, PONTYPOOL était présenté à l’Etrange Festival.

Le scénariste a dû penser à la célèbre dramatique radiophonique d’Orson Welles en 1938 lorsque, adaptant La guerre des mondes, il commentait sur les ondes l’arrivée d’une invasion d’aliens qui provoqua la panique d’une partie des auditeurs. Le pouvoir du média radio reste puissant et après nombre de films commentant celui de la télévision, et plus récemment d’Internet, il est bon qu’une œuvre réflexive contemporaine se penche sur le cas radiophonique. En ce sens, PONTYPOOL prolonge intelligemment, avec ses propres thèmes, un discours amenés dans le genre « zombis » par le très bon DIARY OF THE DEAD, CHRONIQUES DES MORTS-VIVANTS (2005) de Georges Romero.

A creuser plus loin, PONTYPOOL traite d’ailleurs moins de la radio que de la parole et réussit l’exploit de rendre divertissant des concepts de sémiologie ou d’économie culturelle : on y disserte sur le sens de la parole et sur la domination toujours plus prégnante d’une langue sur les autres. Ne fuyez pas, il n’y a ici aucun passage lourdement lardé de discours scientifiques destinés aux philologues, tout est intégré dans une narration particulièrement fluide et si vous désirez passez à côté du thème de PONTYPOOL, il vous restera quand même un bon divertissement. En d’autres termes, PONTYPOOL a des prétentions mais ne se montre jamais prétentieux.

Et pour une œuvre qui traite notamment de la domination culturelle de l’anglais, on ne saurait trop vous conseiller de voir ce film dans sa version originale. Tout d’abord pour la voix enrobante de l’acteur Stephan Mc Hattie (vu par exemple dans KAW ou THE FOUNTAIN), qu’un doublage aura du mal à recréer, aussi parce que les protagonistes passeront à un moment au français… idiome qu’ils ne maitrisent visiblement pas, effet humoristique garanti, mais enfin et surtout parce que la résolution tient dans la quasi homonymie entre deux mots du vocabulaire usuel en anglais et que la traduction ne parviendra pas à rendre. Au BIFFF, le sous-titrage – effectué par le Festival lui-même – a opté pour une traduction littérale, là où une autre homonymie, assez proche aurait pu fonctionner (« l’amour », « la mort »). Si nous nous étendons sur ces détails, c’est que justement ceux-ci sont au cœur du film : qu’est-ce que nous transmettent les mots ?

Pas étonnant donc qu’à la source se trouve un roman, « Pontypool changes everything », dû à la plume de Tony Burgess qui l’a lui-même adapté pour le grand écran. La réalisation a été confiée à Bruce Mc Donald, peu connu au cinéma, mais qui a déjà une belle carrière sur nombre d’épisodes de séries télé. L’homme de la situation pour ce type de script, donc.

D’autant plus qu’à la tension du script se mêlent des éléments d’humour à la fois judicieusement intégrés et parfaitement politiquement incorrects, comme on en rencontre heureusement de plus en plus dans les séries.

Richesse des thèmes, justesse du traitement, efficacité du résultat, PONTYPOOL mérite vraiment votre attention.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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