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R100

Takafumi, terne vendeur, vit seul avec son fils alors que sa femme est depuis trois ans dans le coma. Pour pimenter son existence, il devient secrètement membre d’un club SM. Les conditions précisent l’impossibilité de résilier l’abonnement avant un an. Durant cette période, on promet des visites inopinées de dominatrices expérimentées et vêtues de cuir. Mais bientôt, celles-ci apparaissent aussi sur son lieu de travail et dans la rue, chacune ayant une spécialité bien particulière. Le harcèlement s’annonce corsé.

Hitoshi Matsumoto reste lui-même, soit l’auteur de films frappadingues qui font les délices des festivals, mais dont les chances de sortie en salles françaises restent limitées.

Rappelons que Matsumoto est l’auteur de BIG MAN JAPAN (DAI-NIHONJIN, 2007) qui nous détaille le quotidien d’un super-héros japonais, nettement moins émaillé de combats avec Godzilla qu’avec la population locale, las de se retrouver à chaque fois avec une ville à moitié détruite par les prouesses des combattants. Ces dernières années ont vu plusieurs films démythifiant les super héros (au hasard, HANCOCK, SUPER, KICK ASS…) mais c’est clairement BIG MAN JAPAN qui décroche la timbale du film le plus bizarre. En France, le film a d’ailleurs jadis été programmé sur ARTE. En 2009, il livre le bien nommé SYMBOL (SHINBORU), film drolatique, non sensique ou très sensé (selon les points de vue), véritable ovni comparable à rien d’autre et qui réussit pourtant la gageure de se voir attribué le prix du public du BIFFF. Il enchaine avec SAYA ZAMOURAÏ qui, étonnamment, est sorti en France. En sera-t-il de même de R100 ?

Rien n’est moins sûr… mais ce serait bien dommage.

L’incertitude repose que le thème du fétichisme, toujours pris avec des pincettes par la distribution française, même si on trouve des contre-exemples dans les sorties de ces dernières années. Mais surtout par le biais d’une scène qui passerait sans doute difficilement la censure par chez nous. Le film ouvre (plutôt que se clôture, c’est un signe) par un carton signalant qu’aucun animal ou enfant n’a été maltraité durant le tournage. On se demande un peu pourquoi quand, au beau milieu d’une séquence, on découvrira un enfant ligoté et suspendu dans la plus pure tradition du shibari.

A ce sujet, mettons les choses au point : premièrement, cette scène est très drôle. Elle est en outre parfaitement raccord avec le thème et l’esprit du film. Enfin, on ne peut à notre sens pas traiter le bondage sur le même plan que d’autres pratiques sexuelles. Il n’y pas viol ou attouchement et on gage que le môme a dû s’amuser à tourner ces plans. Bref, en ce qui nous concerne, il n’y a pas de problème. Mais soyons sûr qu’elle indisposera certains spectateurs, comme elle a du faire se poser certains questions à la production comme semble en témoigner le carton placé en ouverture.

Ceci posé, que nous raconte R100 ?

Eh bien, il s’agit d’un film-système, à l’instar de chacun des autres métrages du réalisateur. Matsumoto pose une situation dans un cadre loufoque, et explore toutes les possibilités de celle-ci. Cette constante de son cinéma permet d’en dégager les enjeux : Matsumoto propose un voyage initiatique à travers l’absurdité de la vie. En dépit de cette absurdité, la vie à un sens qu’il convient de chercher : quel est le rôle d’un super-héros devenu quasi inutile et rejeté de tous (BIG MAN JAPAN), comment sortir d’une pièce sans issue où des sexes d’angelots déversent des objets incongrus (SYMBOL), quel est le sens de la vie lorsque votre condamnation à mort ne tient qu’à votre capacité à faire rire un enfant (SAYA ZAMOURAÏ), ou lorsque votre quotidien morne ne peut plus s’égailler qu’à travers une expérience SM ? Le héros doit affronter les situations, aussi absurdes soient-elles, pour trouver ce sens et se trouver lui-même.

Ici, la donne se complique par l’imbrication d’un film dans le film : les aventures de Takafumi sont en réalité le nouveau long métrage d’un vétéran du cinéma, que l’équipe de production découvre lors d’une projection-test. Et ce film les laisse plus que désemparés. Le spectateur n’est donc pas seul, même les protagonistes du film restent dubitatifs. A l’instar des chœurs antiques, ils commentent à intervalles réguliers l’action… pour en souligner la bizarrerie. L’effet comique en ressort renforcé. C’est d’ailleurs à ce moment qu’on nous explique le sens du titre : R100 signifiant l’interdiction aux moins de 100 ans (à l’instar des films enfants non admis). Le réalisateur (celui à l’intérieur du film, vous suivez ?) explique que son métrage ne peut être compris que par les plus de 100 ans… ce qui aura le don d’énerver les producteurs face à une œuvre inexploitable commercialement. Reporté à la thématique du film, le sens de la vie ne se comprend qu’en vivant et l’illumination ne se trouve, sans doute, qu’au terme du voyage. De surcroît, on se demande si Matsumoto ne met pas en scène les tracas qu’il doit rencontrer quand il lui faut monter financièrement ses films ?

On en a suffisamment dit pour faire le rapprochement avec les Monty Python du SENS DE LA VIE (ce qui nous permet à cette occasion de rappeler que leur SACRE GRAAL se terminait aussi sur une pirouette signalant qu’on se trouvait face à une captation de caméra et l’ouverture se gaussait du générique, prémisses d’un film dans le film, comme dans R100).

Enfin, Hitoshi Matsumoto n’endosse pas le rôle du vieux cinéaste, mais bien la défroque d’un flic, d’une logique butée face à la détresse de Takafumi. L’absurde qui se brise sur la logique, autre générateur de comique et, par cette friction, de sens.

Le film joue de l’imagerie SM fétichiste, imagerie à la fois très cinématographique et nettement mieux intégrée à la culture japonaise que sous nos latitudes, mais ne se veut jamais érotique. On est clairement dans une comédie. Pour le spectacle émoustillant ou graveleux, on ira voir ailleurs. Cependant, on note que le club SM avec son carrousel n’est pas sans évoquer l’ambiance foraine du remake SM – et, lui, explicitement érotique – de FLOWER AND SNAKE. Dans les deux cas, les codes su SM sont vu à travers un prisme grotesque. Le mélange d’érotisme et de grotesque est d’ailleurs une constante du cinéma japonais, qui a inventé le genre ero-goru depuis bien longtemps déjà.

Formellement, on se trouve donc devant une comédie à la japonaise, c’est-à-dire un peu foutraque. Heureusement, loin des désastres auxquels nous abonnent trop souvent des studios du type Sushi Typhoon, R100 est ici suffisamment maitrisé pour faire rire et traiter son sujet. Cependant, on doit bien constater que le scénario aurait gagné à plus de maitrise. Ainsi d’un personnage de sauveur, sorti de nulle part et qui disparait aussi vite. Un deus ex machina un peu vain. De même, le devenir de la femme et du beau-père de Takafumi sont bien trop vite expédiés. Le tout manque de rigueur et les scènes d’action sont trop molles. Mais rien de bien grave cependant.

Au casting, on retrouve l’acteur principal d’ICHI THE KILLER, dont tout le monde se souvient des très marquantes scènes de sadisme, et qui passe ici à un rôle de personnage falot.

Pour souligner la grisaille de la vie de son héros, Matsumoto filme un univers terne, aux couleurs grises et beiges, sans joie. Les dominatrices sont toutes de cuir vêtues. Amateur de tenues, vous serez aux anges ! Quant aux pratiques, on passe de celles qui, traditionnelles, filent une bonne tatane, aux spécialistes en bizarrerie comme la « reine de la salive » (pratique ceci dit en pleine essor dans les niches du net, avec tout ce qui ressort d’ailleurs des fluides corporels). On en arrive aux incongruités impossibles (l’impossible est une donnée des fantasmes), comme la « reine du gobage ». On ne vous détaille pas tout, mais c’est croquignolet. Et pour ceux que les sexualités alternatives intéressent, on renvoie à l’excellent ouvrage « Le sexe bizarre » d’Agnès Giard qui fera un parfait prolongement du film.

Bref, vous l’avez compris, R100 ne sera jamais programmé sur TF1. Mais pour tous les amateurs de cinéma totalement « autre », c’est un must see.

R100 a été programmé au festival Offscreen 2014.

Retrouvez notre couverture du festival Offscreen 2014.

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