Recontre avec Joyce A. Nashawati, réalisatrice du film Blind Sun

Un texte signé Paul Siry

À l’occasion de son premier film présenté aux Hallucinations Collectices 2016, la réalisatrice Joyce A.Nashawati nous a reçu pour parler de BLIND SUN, premier long-métrage au cœur d’une Grèce pré-apocalyptique écrasée sous la chaleur et entre diverses tensions sociales.

Sueurs Froides : Quelle est l’origine du projet ?

Joyce A.Nashawati : C’est la question la plus difficile en général. Comme ça s’écrit sur du long terme, on a souvent de nombreuses influences différentes qui se mélangent. Le projet vient d’un moment plus de l’ordre du vécu. J’étais en vacances en Grèce sur une plage. Les étés sont très très chauds, secs et souvent les forêts brûlent. On est entouré d’une ambiance de forêts en flammes et les gens s’y habituent, trouvent ça normal et continuent simplement d’être à la plage. Ça crée une ambiance qui transforme les vacances en quelque chose d’inquiétant. C’était un mélange entre un lieu que l’on associe au plaisir et un ciel qui change de couleur. Ce changement est très fantastique, comme si une catastrophe surnaturelle survenait. Cette idée d’atmosphère était au tout départ du projet, avec le parti pris de choisir des décors beaux ou luxueux pour y mettre de l’inquiétude.

Vos deux premiers courts-métrages étaient auto-produits, pas le troisième. Comment s’est fait le passage au long-métrage en termes de production ?

Le plus long et le plus fastidieux pour ce type de cinéma dit singulier est de trouver la personne qui aura envie de se lancer dans l’aventure, parce qu’elle sait la difficulté que représentera le financement. Pour moi particulièrement l’aventure de production était complexe parce que le film était au tout début grec. Petit à petit les financements français étaient plus importants, il est alors devenu français en quelque sorte. J’ai eu plein d’interlocuteurs pour un tout petit film ce qui est un peu paradoxal, il y eut beaucoup de choses à gérer alors que le film est modeste en terme de budget.

C’est un parti pris de ne rien savoir sur le personnage principal et qu’il soit si peu expressif ?

Oui, je voulais qu’il soit tellement étranger qu’il le soit aussi au spectateur. Ça assoit quelque chose du rapport à l’autre. Moins il donne, plus il est isolé. C’est un peu risqué au cinéma car d’habitude on s’identifie au personnage le plus important, mais je trouvais ça intéressant par rapport à son identité d’étranger. On ne le connaît pas et on ne le connaîtra pas, et moi non plus.

Du coup comment avez-vous travaillé avec Ziad Bakri qui le joue ?

Oui, c’est venu aussi du fait que c’était l’acteur avec le moins d’expérience. Il n’était jamais venu en Grèce et ne connaissait pas très bien l’Europe. Je l’ai un peu isolé, il a travaillé seul, souvent il rencontrait les autres acteurs au moment de la scène. Ça rajoutait de la gêne, ce dont il fallait. Du coup son jeu est différent aussi. Les autres sont à l’aise, font un peu leur show, surtout la grecque qui est jouée par une actrice du théâtre populaire, elle est plus dans le surjeu.

Comment avez-vous cherché à filmer la villa ?

Le plus difficile était entre l’intérieur et l’extérieur car le portail et le monde désertique viennent d’une autre maison. Celle que l’on voit vient d’un endroit plus habité et vert avec des maisons autour, la Grèce n’est pas du tout aussi sec que dans le film. J’ai dû assembler tout ça. Je voulais beaucoup qu’elle soit vitrée parce que la menace devait être le soleil et ça la rendait vulnérable, du coup on pouvait jouer avec les rideaux pour laisser entrer ou non cette menace, ça c’était important. Je voulais voir aussi ce que donnerait une ambiance inquiétante dans un endroit moderne et froid comme un aquarium au lieu d’habituelles maisons anciennes ou gothiques.

Quel a été le travail avec le chef- opérateur pour ce film très solaire ? On ressent vraiment la chaleur visuellement.

Il fallait vraiment juste le prendre en compte pour chaque plan, le penser pour que chacun ait un rapport au soleil. Même quand on en est protégé car isolé, il fallait que ce soit très fort. Dès qu’il sort, il fallait que ça aveugle, dès qu’il ouvre une porte que le soleil entre en trombe, ce qui n’est pas du tout le cas en vrai quelle que soit sa puissance.

Et le travail avec le son ?

C’était surtout travaillé en post-production. La consigne était d’utiliser des sons existants comme les insectes, l’eau, le vent, etc. et de les métamorphoser pour qu’ils deviennent délirants. Quand il délire, l’environnement délire avec lui à travers le son. Les insectes deviennent plus pesants. Et il fallait le mélanger aux sons plus typiques d’ambiance de ce genre de films tout en ayant un équilibre entre les deux. C’est plus original que des effets de peur plus classiques, d’ailleurs il n’y en avait pas vraiment la place dans le film qui est plus doux.

Au vu du sujet et de la situation du personnage, le message politique était voulu ou était-ce juste une composante du scénario ?

Le côté politique n’était pas voulu, on me pose souvent cette question et je suis moi-même étonnée de cet aspect du film car c’était un contexte vraiment personnel. Comme le personnage principal, j’ai dû fuir mon pays car c’était la guerre et j’ai vécu dans plein de pays qui n’était pas le mien. Comme le film se veut un cauchemar pour le personnage, je n’allais pas traiter des points positifs d’être à l’étranger -il y en a beaucoup aussi-, j’ai tout concentré sur la peur que ça peut entraîner, mais une peur mentale. Du coup je ne vais pas très loin dans le développement de ce qui est lié au contexte politique. C’est plus une raison pour qu’il délire qu’un commentaire sur cette situation.

De futurs projets ?

J’ai vraiment envie de faire un projet en français et un en anglais qui seront plus du cinéma de genre, c’est tout ce que je peux dire pour le moment.

Photo de François Henry

Propos recueillis à Lyon le 28 mars 2016 en rencontre presse avec Guillaume Gas de Courte focale, Josh Lurienne d’ArtZone Chronicles et Raphaël de DocCine.

Merci à eux, à Joyce et à Leïla Bensadoun.


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- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance

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