ReGOREgitated Sacrifice

Un texte signé Clément X. Da Gama

USA - 2008 - Lucifer Valentine
Interprètes : Ameara Lavey,The Black Angels of Hell,Isabelle Styles

Dans la sphère du cinéma underground, la trilogie « Vomit Gore » tient une place presque unique puisqu’elle est autant connue que décriée. Œuvre de l’étrangement nommé Lucifer Valentine, la trilogie se compose de SLAUGHTERED VOMIT DOLLS (2006), REGOREGITATED SACRIFICE (2008) et SLOW TORTURE PUKE CHAMBER (2010). Ces films expérimentaux, qui oscillent entre la fiction et la performance, tentent par tous les moyens de choquer le spectateur en privilégiant le déferlement de faux sang et de vrai vomi. Penchons-nous sur le meilleur (ou le moins pire) de ces films, REGOREGITATED SACRIFICE.

A l’image des deux autres volets de la trilogie, REGOREGITATED SACRIFICE offre un récit totalement décousu devant lequel le spectateur se trouve quelque peu circonspect. A en croire les différents résumés que l’on trouve en ligne, REGOREGITATED SACRIFICE nous conte l’histoire de deux sœurs jumelles envoyées sur Terre par le Diable afin de tuer en son nom différentes femmes ; dans le même temps, l’actrice porno Angela fait état de son malaise existentiel tandis qu’elle meurt suicidée le même jour que Kurt Cobain… Vous ne comprenez rien ? Pas de souci. REGOREGITATED SACRIFICE ne doit pas être regardé comme une fiction classique et linéaire, sous peine de s’ennuyer fermement et de rejoindre celles et ceux pour qui Lucifer Valentine est l’un des pires tâcherons de l’univers. Non, ce film est avant tout une succession de saynètes outrancières et répugnantes, une expérience audiovisuelle de l’excès. Envisagé ainsi, REGOREGITATED SACRIFICE est clairement à la hauteur de sa réputation.

Le film enchaîne les séquences toutes plus infâmes les unes que les autres. Une femme, soumise sexuellement par les jumelles démoniaques, se fait éviscérer dans un bain de sang avant que ses entrailles ne servent à la faire vomir encore et encore sur son ventre ouvert ; un homme viendra ensuite vomir sur son cadavre. Dans une autre scène, ce sont deux femmes qui se vomissent l’une sur l’autre jusqu’à ce que les jumelles leur fassent subir diverses tortures. Pendant un peu plus d’une heure, Valentine accumule ce type de séquences porno-dégueux où s’entremêlent le vomi, la pisse, les larmes, la bave, le sang et ce, jusqu’à écœurement. Cet extrémisme punk, doublé au caractère totalement décousu de l’enchaînement des saynètes, explique le mépris de la critique à l’encontre du film. Mais derrière la bile nauséabonde et les humiliations sexuelles se cache une beauté esthétique vénéneuse.

Loin de se reposer sur l’abjection de son « scénario », Valentine offre un travail de mise en scène et de montage très original. Les mouvements de caméra ultra rapides au ras du sol qui nous propulsent sur les corps inertes, l’enchainement quasi stroboscopique des plans qui nous vrillent la rétine et réduit notre cerveau en bouillie, l’utilisation de lumières aveuglantes qui créent un univers éthéré bientôt souillé par les liquides puants des victimes : les choix visuels de Valentine, souvent renversants, participent activement à l’élaboration d’un monde fictionnel brutal et gerbant. La bande-son est en parfaite adéquation avec l’ignominie visuelle : saturée de hurlements et de bruits gutturaux, elle évoque régulièrement la noirceur noise de Merzbow et de Throbbing Gristle, plongeant le spectateur dans un bain sonore fangeux. Particulièrement expérimental dans son fond comme dans sa forme, REGOREGITATED SACRIFICE est un maelstrom audiovisuel aussi crade que fascinant.

Au-delà de l’ultra violence du film, REGOREGITATED SACRIFICE est souvent critiqué pour son absence de « message ». Si ce genre de remarques n’est pas spécialement valable dans l’absolu (qui n’a jamais apprécié un film bien con sans discours particulier ?), cette critique est encore moins fondée dans le cas REGOREGITATED SACRIFICE. Lorsque Valentine ne filme pas des femmes se vomissant aux visages, il s’intéresse au douloureux parcours de l’actrice porno Angela, une jeune femme qui a fui ses parents abusifs avant de devenir toxicomane et de tomber dans une grave dépression nerveuse ; traitée au lithium, elle nourrit des penchants suicidaires qu’elle finira par embrasser… Si Angela tient une place de choix dans la « narration », certaines victimes ont elles aussi droit à une petite biographie, comme cette autre actrice porno qui, avant de finir en charpie, explique combien les tournages X sont violents et malsains et combien elle pense, grâce au porno, accéder à une vie meilleure… Par ces quelques tranches de vie dont on ignore si elles sont ou non fictionnelles (toutes les actrices du film font véritablement du porno), Valentine dresse une radiographie sombre de la jeunesse féminine américaine : laissées à l’abandon par leurs parents, réduites à vendre leurs corps au milieu pornographique, ces filles évoluent dans un monde sans repère avant de rencontrer presque naturellement une fin abjecte. De plus, que cela soit ou non recherché, REGOREGITATED SACRIFICE soulève la question de l’exploitation sexuelle des femmes puisque Valentine pousse dans ses ultimes retranchements la logique libérale dégradante à laquelle certaines femmes se résignent pour vivre. Les victimes du film sont des hardeuses, des prostituées, des strip-teaseuses, des femmes qui comme tant d’autres marchandent leurs corps et le donnent en pâture afin d’assurer leurs revenus : dès lors, le torrent de vomi et de sang dans lequel elles finissent par patauger n’est rien d’autre qu’une allégorie trash de la désacralisation physique et morale à laquelle les « travailleuses du sexe » se soumettent dans nos sociétés modernes et hédonistes.

Mais cette lecture de REGOREGITATED SACRIFICE est en partie invalidée par Valentine lui-même puisque lui aussi exploite physiquement ses actrices. Ces dernières, qui sont mentionnées comme des performeuses dans le générique, sont placées dans des situations extrêmes qui vont du bondage hardcore à l’urophilie en passant évidemment par l’expulsion ou la délectation de vomi (leur propre vomi ou celui d’une autre performeuse). Et si certaines d’entre elles semblent expertes en la matière, d’autres arborent un visage plein de dégoût durant les infamies que Valentine leur fait subir. Comme devant certains films pornographiques, le spectateur de REGOREGITATED SACRIFICE est obligé de se poser la question du plein consentement des actrices et, par voie de conséquence, d’envisager le cinéaste comme un tortionnaire imposant des pratiques hors-normes à des performeuses pas toujours volontaires. Si cet aspect peut, aux yeux de certains, participer activement à l’ignominie du film et à sa cohérence globale, il constitue dans le même temps l’élément le plus gerbant de REGOREGITATED SACRIFICE en faisant de l’exploitation sexuelle des femmes non plus un élément fictionnel mais une réalité bien concrète, qui se joue sous nos yeux.

Film immonde s’il en est, REGOREGITATED SACRIFICE est à la fois totalement indéfendable sur le plan moral et très attachant par son extrémisme audiovisuel et ses qualités esthétiques d’une noirceur infinie. A l’image du photographe et vidéaste Daikichi Amano ou de l’œuvre SM de Brent Scott, fondateur du site internet Insex, Lucifer Valentine a su créer un univers unique, outrageant et surtout diablement médusant. Evidemment réservé à un public très averti, REGOREGITATED SACRIFICE est une dégueulasserie visuelle et sonore de tous les instants, une expérience sensorielle répugnante qui se doit d’être appréciée dans le noir, le son à plein volume, pour mieux en savourer la délicate putrescence.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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