Rencontre avec David Schmoeller : 1ère partie

Un texte signé Sylvain Pasdeloup

Sueurs Froides : Tout d’abord merci de nous accorder ce moment, c’est un réel honneur pour nous.

S.F : Les premières personnes qui vous ont encouragé à vous lancer dans le cinéma sont Alexandre Jodorowsky et Luis Buñuel. Qu’avez-vous tiré de ces deux personnages hors-normes ?

David Schmoeller : Laissez-moi revenir en arrière. J’étais étudiant à Dallas dans un pensionnat. A l’époque j’avais un jour d’école puis un jour libre et la première personne qui m’a entraîné à devenir un artiste, en fait un écrivain, était mon ami de chambrée, Tommy Lee Jones. Il était un peu plus âgé que moi. C’est lui qui m’a dit « Tu devrais écrire » et personne ne m’avait jusqu’alors dit que je pouvais faire quelque chose de moi-même. Je me suis donc mis en tête de devenir un écrivain. Et quand je suis sorti diplômé de ce pensionnat, je suis parti à l’université de Mexico, où j’ai découvert de nombreuses cultures. Mon objectif était donc de devenir écrivain, j’étais plus intéressé par écrire des nouvelles en fait. Jodorowsky, à l’époque, avait seulement réalisé un film, « Fando y Lys » et faisait surtout du théâtre expérimental. Je me rendais souvent aux répétitions, je trouvais son travail très visuel et très intéressant… C’était aussi très anti-américain (sourires)… Et plus tard, je n’étais pas encore cinéaste quand j’ai vu « El topo ». J’ai été littéralement fasciné par ce film. C’est un film si visuel, si surréaliste.
Puis je me suis marié en 1968. Le père de mon épouse était un acteur de théâtre espagnol, réfugié au Mexique à cause du général Franco, et qui était ami avec Buñuel, qui, à l’époque avait déjà quitté le Mexique et était dans sa dernière période cinématographique avec « Journal d’une femme de chambre » ou « Ce plaisir qu’on dit charnel ». Buñuel était le parrain de ma femme, je l’ai donc rencontré et il m’a beaucoup aidé car, quand j’ai tourné « Lora Lee’s bedroom » (court-métrage de 1973 narrant l’histoire d’une jeune femme dans un monde totalement blanc hantée par un rat noir), Buñuel l’a montré dans les cinémas et dans son cercle d’amis.
A l’image de « Lora lee’s bedroom », mes premiers travaux étaient très surréalistes et très influencés par Jodorowsky et Buñuel. Tout cet univers magique.

S.F : Dites-nous en plus sur “the spider will kill you” (court-métrage de 1974 très surréaliste là encore, contant l’histoire d’un homme aveugle qui prend les mannequins qui peuplent sa maison pour sa famille).

D.S : « The spider will kill you” était mon dernier film d’étudiant. Il s’agissait de mon film-thèse de fin d’études. J’ai reçu une récompense par la Director’s Guild pour le scénario mais aussi pour « Lora Lee’s bedroom ». Ils ont vu le film et se sont dit que ma manière de filmer était intéressante. « The spider will kill you » a été nominé aux students academy award et a terminé finaliste. Le gagnant fut Robert Zemeckis.

SF : On retrouve aussi la figure du mannequin, omniprésente dans « The spider will kill you, dans « Puppet master » ou encore « Tourist trap ». Cette attirance est-elle purement esthétique ou psychologique ?

D.S : Il y avait un film avant ceux-là. Un film que j’avais fait avant de sortir diplômé de l’université. Le support vidéo était juste apparu et j’avais tourné ce film avec ce support, totalement en direct. J’avais vu ces mannequins dans un JC Penney’s, un magasin et ils étaient si étranges ! Les mannequins enfants avaient de tout petits yeux, des oreilles, un nez et une bouche. Et à mesure qu’ils grandissaient… A l’âge de trois ans, les mannequins n’avaient plus de bouche, à l’âge de 6 ans un oeil avait disparu, quand ils arrivaient à dix ans les deux yeux n’étaient plus là. A l’âge adulte il n’y avait plus d’œil, plus de bouche, plus d’oreilles, plus de nez. Ces mannequins étaient très stylisés et leur apparence était vraiment effrayante. Et j’avais réalisé cette vidéo expérimentale mélangeant êtres humains et ces mannequins. Et de fil en aiguille, j’ai eu l’idée de « The spider will kill you » et puis enfin de « Tourist trap ». « Puppet master » n’a rien à voir avec ceci. Le scrip existait déjà. Je l’ai corrigé et j’ai réalisé le film. Ce n’est pas moi qui l’ait apporté et je ne les vois pas du tout comme des mannequins. Les gens font cette comparaison mais de mon point de vue, elle n’a pas lieu d’être.

S.F : Faut-il y voir des références aux films de Mario Bava qui les utilisait fréquemment ?

D.S : Je n’ai jamais vu un seul de ses films.

S.F : « Tourist Trap » a été votre premier long métrage. Etait-ce par goût ou plus par nécessité pour commencer votre carrière que vous êtes venu au fantastique ?

D.S : Non, c’était un choix. J’avais des amis au Texas, quand j’étais au lycée qui avaient travaillé sur « Massacre à la tronçonneuse ». Le film avait été tourné à Austin où j’étais en classe de cinéma. Mon producteur et co-auteur, J Larry Carrol, était l’éditeur de « Massacre à la tronçonneuse ». Il y avait un modèle et ce modèle était « vous faites un film d’horreur et votre carrière est lancée ». Je n’étais pas spécialement attiré par les films dits d’horreur mais dans « the spider will kill you » il y avait des mannequins qui prenaient vie et nous avons décidé de prendre ce point de départ pour « tourist trap ».

S.F : « Tourist Trap » justement présente une structure de slasher typique mélangé à un certain onirisme. Le film est à la fois réaliste et froid et pourtant très stylisé. Etait-ce votre but d’obtenir un équilibre entre ces deux extrêmes ?

D.S : Je n’ai jamais vu « Tourist Trap » comme un slasher. Je crois qu’un film comme « Halloween » est un vrai slasher. Et les deux films sont sortis la même année. Tourist Trap n’est pas du tout un slasher, C’est un thriller psychologique. C’est vraiment ce que j’ai voulu faire.
J’ai écrit le script avec Larry et le producteur n’a ajouté qu’un élément, la télékinésie. Le personnage principal a le pouvoir de bouger les choses, de ramener des choses à la vie. Le scénario original était uniquement psychologique, dans la même veine que « the spider will kill you ». Tout se passait dans l’imagination. C’était très surréaliste. Beaucoup de gens pensent que c’était visuellement très stimulant et intéressant d’avoir cette télékinésie dans le film mais ce n’était pas mon idée.

S.F : « Tourist trap » présente un casting intéressant. Comment vous est venue l’idée d’engager Chuck Connors et Tanya Roberts et comment s’est passé le tournage ?

D.S : A l’époque, il fallait avoir un acteur avec un nom. Notre premier choix a été Jack Palance. On a essayé de l’engager mais je pense que pour beaucoup de raisons, nous n’y sommes pas arrivés. Nous avons donc décidé de prendre Chuck Connors. Il avait un nom qui pouvait apporter un plus commercial au film. En plus, il aimait vraiment le scénario du film et il a travaillé très dur. Tanya Roberts était une complète inconnue. Son agent nous répétait « cette actrice deviendra une grande star, vous devriez lui donner un rôle » et plus tard elle est effectivement devenue une star.

S.F : Et que pensez-vous de leur interprétation ?

D.S : Chuck Connors a fait du bon boulot. Il a vraiment fait de son mieux.
Beaucoup d’acteurs de sa renommée, et spécialement dans ce genre de films, travaillent juste pour l’argent et ça devient très dur à gérer mais lui a vraiment travaillé dur.
Tanya était une débutante et « Tourist Trap » était mon premier film, je ne connaissais rien à la direction d’acteurs, donc je ne pouvais pas réellement l’aider.
Un jour nous tournions une scène de nuit, une scène où elle devait avoir l’air terrifiée. Elle avait les pieds nus et nous étions dans la forêt. Juste avant le mot action, alors qu’elle devait entrer en scène en pleurant, elle courait dans les bois et s’est blessée au pied… Et elle est revenue en pleurant. C’était le seul moyen pour elle de réussir la scène… Le problème, c’est qu’elle ne pouvait pas s’arrêter de pleurer ! Ça ne s’appelle pas du talent ! Tanya est toujours dans le métier, elle est toujours actrice mais elle n’est pas ce que l’on peut appeler une actrice douée. Elle était absolument superbe et c’est en quelque sorte grâce à sa beauté qu’elle a avancé en tant qu’actrice.

S.F : Vous sentez-vous faire partie de ce cinéma d’horreur qu’on dit souvent politisé, dans la mouvance d’un Tobe Hooper, qui a émergé en même temps que vous ?

D.S : Je ne crois pas avoir eu souvent l’opportunité de faire les films que je voulais faire, pas plus que Tobe Hooper d’ailleurs. « Tourist trap » est le film sur lequel j’ai eu le plus de contrôle. Mais je pense que « massacre à la tronçonneuse » est un film unique dans l’histoire du cinéma d’horreur. Ce film est incroyablement réussi et terrifiant. Je ne crois pas que Tobe Hooper avait conscience de cela. Je crois que beaucoup de films fonctionnent par accident. C’est un film si graphique, si viscéral.

Cliquez ici pour lire la suite


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Sylvain Pasdeloup

- Ses films préférés :

Share via
Copy link