Retaliation

Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 1968
Titres alternatifs : Shima wa moratta, territorial dispute, I own your turf
Interprètes : Joe Shishido, Meiko Kaji, Hideaki Nitani, Akira Kobayashi

Après huit années passées derrière les barreaux, Kojiro Sumukawa (Akira Kobayashi) retrouve son ancien clan déserté. Le gang ayant pris le contrôle l’engage cependant vu ses excellents états de service et lui permet de fonder sa propre famille de yakuzas, inféodées, pour les envoyer prendre le contrôle de terres arables devenues terres à bâtir et que se disputent déjà deux autres clans. Réussissant à monter ces derniers les uns contre les autres, il triomphe mais se rapproche de la paysannerie qu’il veut ne pas dépecer. Mal lui en prend, son boss ne lui pardonnera pas cette faiblesse.

RETALIATION n’a pas connu de sortie en salle française. Il semble d’ailleurs que le seul Hasebe à avoir connu une distribution francophone soit le film de revanche LES LOUPS SAUVAGES (1974, YAJUWO KESE, SAVAGE WOLF PACK, LES JEUNES SAUVAGES), sorti le 5/1/1977 en France et précédé d’un passage en salles belges dès décembre 1974.

Ce qui nous ramène à RETALIATION – littéralement « revanche » ou « représailles » – titre international du SHIMA WA MORATTA signifiant, comme l’expliquait le spécialiste du cinéma japonais Jasper Sharp, venu présenter le film à Offscreen, « conflit territorial ». C’est ce dernier titre qui est le plus judicieux, le motif de la vengeance se trouve bien dans l’intrigue, mais n’éclot réellement qu’à la fin et ne constitue pas le thème majeur d’un scénario bien plus centré sur les luttes de clan pour la maitrise d’un territoire dont le foncier est appelé à se vendre à prix d’or.

Des terres agricoles sont en effet requalifiées en terrains industriels, de bien plus grande valeur, et divers clans de yakuzas s’étriperont pour en prendre le contrôle.

On avouera un peu benoitement avoir parfois perdu le fil, en confondant quelques protagonistes, le scénariste compliquant encore la donne en infiltrant les gangs par des espions de clans ennemis. Mais il n’y a ici rien de rédhibitoire et une vision attentive ou répétée devrait vous permettre de démêler l’écheveau.

Derrière l’intrigue, c’est bien de l’évolution mafieuse dont il est question : les yakuzas « classiques », traditionnels alliés de la paysannerie, s’effaçant au profit de clans plus modernes, en accointance avec le secteur juteux de la construction et de l’industrie. Avec la tentative du héros de sortir du banditisme en montant une société aux activités légales, Hasebe préfigure, tout en restant au niveau d’un film de genre, le PARRAIN 3 de Francis Ford Coppola. Evolution aussi dans les mœurs mafieuse, abandonnant l’honneur classique et la parole donnée par soif de pouvoir et de profit. Cette contradiction entre l’honneur revendiqué des yakuzas et leurs pratiques réelles sera souvent dénoncée. Ainsi RETALIATION aurait influencé le Fukasaku du CIMETIÈRE DE LA MORALE.

On se trouve ici dans un Yasuharu Hasebe d’avant le tournant des Roman Porno. Engagé en 1958 à la Nikkatsu, il gravit peu à peu les échelons, devient assistant de Seijun Suzuki et accède enfin au poste de réalisateur en 1966 (BLACK TIGHT KILLERS). Lorsque la Nikkatsu se tourne exclusivement vers le genre érotique à l’aube des années ’70, il quittera dans un premier temps le studio, comme tant d’autres, et tournera pour d’autres compagnies – on lui doit ainsi en 1973 un épisode de LA FEMME SCORPION pour la Toei – ainsi que pour la télévision… mais reviendra assez rapidement dans le giron de la Nikkatsu pour laquelle il signera nombre de films aujourd’hui cultes : la série ALLEYCAT ROCK, RAPE!, ASSAULT! JACK THE RIPPER ou encore RAPE! 13TH HOUR.

On lui doit le sous-genre du « violent pink », peu intéressé qu’il était par les films érotiques classiques. Fin des années ’70, cette vague violente finit par effrayer les pontes de la Nikkatsu qui craignent un retour de la censure. Ils contraignent Hasebe à adoucir ses films. Ce dernier quitte alors la Nikkatsu, et dans les années ’80 retourne un peu à la Toei, un peu plus à la télévision. Durant les années ’90, il signe pour la Toei une douzaine de V-films et se retire ensuite du cinéma. Il meurt en 2009. RETALIATION date donc d’avant les « Violent pinks », mais une scène de viol les préfigure. Sans évidemment pouvoir céder entièrement à la nudité qui envahira les écrans quelques années plus tard, on y voit déjà une actrice les seins dénudés.

RETALIATION est son quatrième film, tourné à peine deux ans après ses débuts de réalisateur.

Il réunit des (futurs) familiers du réalisateur. Ainsi de Meiko Kaji, pour un petit rôle, et qui n’a pas encore éclaté avec STRAY CAT ROCK et LA FEMME SCORPION. Ainsi aussi de Joe Shishido, dont plusieurs des films étaient présentés au festival Offscreen 2013.

RETALIATION a été présenté en 2013 au Festival Offscreen, dans le cadre des 100 ans du studio Nikkatsu.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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