Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1973 - Sergio Sollima
Titres alternatifs : La poursuite implacable, Blood in the streets
Interprètes : Oliver Reed, Fabio Testi, Agostina Belli

Dossierretrospective

Revolver

A l’aube des années soixante-dix, plusieurs films américains devenus cultes depuis, vont poser les bases et renouveler les codes d’une nouvelle mise en perspective de la criminalité à l’écran. DIRTY HARRY (1971, Don Siegel), LE PARRAIN (1972, Francis Ford Coppola) ou FRENCH CONNECTION (1972, William Friedkin), bien que traitant d’univers bien distincts, sont trois exemples majeurs de ce que le genre « policier » va développer dans les années à venir : une dénonciation sans concession d’un monde gagné par la violence et la corruption. En Europe, les Italiens sont les plus engagés à dresser un panorama de leur société à travers le prisme du polar : nommé « poliziotteschi » chez eux, le genre, influencé au départ par la « nouvelle vague » américaine évoquée plus haut, vole finalement de ses propres ailes et s’épanouit dans un âge d’or allant de 1972 à 1978. Social et violent, volontiers critique et populiste, le « poliziotteschi » est proche d’une sensibilité de droite, à l’image des films d’Umberto Lenzi (LA RANCON DE LA PEUR, 1974 ; LE CLAN DES POURRIS, 1976) et se veut le reflet des soubresauts qui agitent alors le pays : actions terroristes d’extrême droite puis d’extrême gauche avec les Brigades Rouges, lien entre politique et mafia,…. Le réalisateur Sergio Sollima, après quelques petits films d’espionnage au milieu des années soixante, s’impose avec une remarquable trilogie westernienne : COLORADO (1966), LE DERNIER FACE A FACE (1967) et SALUDOS HOMBRE (1968). Interprétés par Tomas Milian, les trois films abordent des thèmes et réflexions sur la politique, le pouvoir et les rapports de classes dans lesquels Sergio Sollima affiche clairement son engagement très à gauche. Après un excellent film noir (VIOLENT CITY, 1970 avec Charles Bronson), il réalise REVOLVER qui est aussi, malheureusement, son dernier film pour le cinéma.
Après un hold-up qui a mal tourné, le petit truand Litto Ruiz voit son complice et meilleur ami mourir sous ses yeux ; il est ensuite arrêté et condamné. Dans le même temps, un important industriel du pétrole est abattu à Paris et son meurtrier présumé est retrouvé mort. A Rome, le directeur d’une prison, Vitto Caprini, est victime d’un chantage : sa femme vient d’être enlevée, elle ne lui sera rendue que s il libère Litto Ruiz. Vitto fait donc évader le petit truand mais comprend vite qu’il est victime d’une machination : c’est en fait Litto qui intéresse les ravisseurs car il pourrait être un témoin concernant le meurtre du magnat du pétrole. Les deux hommes partent pour la France, sur les traces de l’épouse de Vitto, pourchassés par la police et par une mystérieuse organisation criminelle.
Une très belle séquence d’ouverture nous présente le personnage de Litto (le séduisant Fabio Testi, l’un des acteurs emblématiques du cinéma de genre italien des années soixante-dix que l’on peut notamment apprécier en justicier dans l’explosif THE BIG RACKET de Enzo G.Castellari, 1976) qui accompagne les derniers instants de son ami blessé à mort puis l’enterre selon ses vœux. Nous faisons sans transition ensuite la connaissance de Vitto (le célèbre et excentrique acteur anglais Oliver Reed que l’on avait vu peu avant dans le sulfureux LES DIABLES de Ken Russell, 1971), brutal et sans compassion envers un de ses détenus à bout de nerfs. Si le réalisateur semble aiguiller notre sympathie vers le premier, un hors-la-loi au grand cœur, plutôt que vers le second (un ex-flic cogneur), il va s’attacher par la suite à moduler subtilement le caractère de l’un et de l’autre : Litto a des réflexes lâches et égoïstes tandis que Vitto est prêt à mourir pour sauver sa femme (la belle Agostina Belli qui deviendra célèbre grâce à PARFUM DE FEMME de Dino Risi, 1974 et qui n’a ici qu’un tout petit rôle). Au fil du récit, et à mesure que les événements se complexifient autour d’eux lorsqu’une simple histoire de racket se mue en un complot économico judiciaire, les deux protagonistes vont évoluer, se transformer de façon positive au contact de l’autre, apprenant à se respecter puis à se lier d’amitié malgré leur antagonisme.

Celui-ci est en effet on ne peut plus marqué, pour ne pas dire ouvertement symbolique : Litto-le truand incarne le sous-prolétariat et Vitto est le parangon du représentant zélé de l’ordre bourgeois. Des classes sociales opposées qui vont apprendre à s’unir contre la machine corrompue du système capitaliste, une dénonciation de la violence d’Etat qui fait que chaque citoyen devient un simple pion, un ancrage dans un contexte de guerre économique (la crise pétrolière de 1973), tout cela semble nous éloigner du « poliziotteschi » traditionnel. En effet, REVOLVER affiche une ambition plus grande que celle de ses confrères : casting prestigieux avec la présence d’un acteur de renommée mondiale, lieux de tournage variés (une partie du film se passe en France) et une intrigue qui ne met pas seulement en cause la société italienne mais la corruption politique à un niveau international. En dépit d’un scénario un peu trop complexe, le film n’oublie pas son spectateur en route et lui offre son quota de suspense et d’action à l’image de la première course poursuite armée que mène Vitto pour retrouver sa femme, remarquable succession de fausses pistes, rythmées par la musique à la fois efficace et dramatique de l’indispensable Ennio Morricone. Le seul véritable « gun-fight » se déroule dans les rues de Belleville (?) et frappe par sa concision et la précision de son montage tout en raccords dans le mouvement. S’il y a peu d’effusions sanglantes au cours du film, la violence s’exerçant plutôt de manière morale et psychologique (le chantage dont sont victimes les deux héros), REVOLVER n’en dresse pas moins le portrait d’un univers brutal et sans pitié dans lequel le pouvoir finit toujours par broyer le citoyen. A ce titre, la dernière partie du film, entre renoncement et sacrifice, atteint une dimension tragique tout à fait bouleversante. Oeuvre politique à tendance marxiste déguisée et filmée comme un thriller « intimiste » (la force du métrage provenant pour beaucoup de l’histoire d’amitié entre les deux hommes), le dernier film de Sergio Sollima avant sa reconversion à la télévision est une œuvre puissante portée par une interprétation solide et une mise en scène affûtée. Il serait temps qu’un éditeur français s’intéresse à cette réussite majeure du cinéma de genre des années soixante-dix.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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