Salon Kitty

Un texte signé Angélique Boloré

France, Allemagne, Italie - 1975 - Tinto Brass
Interprètes : Helmut Berger, Ingrid Thulin, Theresa Ann Savoy, John Steiner, Sara Spevati, John Ireland

Salon Kitty est un pur chef-d’oeuvre, à voir et à revoir. Salon Kitty recèle de véritables bijoux, que l’on ne remarque pas tous à la première vision. Le scénario est très bon, prenant, cohérent, les images sont magnifiques et foisonnent de symboles plus ou moins discrets. Nous allons ici résumer l’histoire, et ensuite, nous nous pencherons sur les symboles qui se définissent par deux choses : la sexualité et sa relation avec le pouvoir.

RESUME
Une très jeune bourgeoise acquise au national-socialisme allemand, inscrite par ses parents aux jeunesses hitlériennes, croise la route de l’officier nazi Wallenberg. Ce dernier officie secrètement pour le régime fasciste. Il oblige Kitty, la tenancière d’une maison close qu’elle veut respectable, à déménager dans une autre maison. Il a, au préalable, emmené toutes les filles de Kitty pour les remplacer par de pures aryennes. Ces femmes, parmi lesquelles la jeune bourgeoise Marguerite font partie des jeunesses hitlériennes. Wallenberg leur a expliqué qu’elles pouvaient servir leur pays en “travaillant” dans une maison close, et ensuite en rapportant les propos de traîtres au régime qui se confieraient à elles. Pour faire d’elles des agents dociles et prêts à tout, elles doivent faire leurs preuves et d’abord copuler avec des soldats allemands en une monstrueuse orgie. Ensuite, enfermées dans des cellules, les nazis les obligent à avoir des relations sexuelles “hors normes”. L’une se voit attribuer un nain difforme, une autre une brute épaisse, une troisième une femme, ensuite vient Marguerite qui doit séduire un vieux juif méprisant, et une autre encore un cul-de-jatte. Sélectionnées et formées, Kitty leur apprend le métier de filles de joie. Cette Kitty est la tenancière du bordel, mais elle est entière, sincère et ignore totalement que ces filles sont des espionnes. On reconnaît bien la prudence du régime allemand à travers les micros que Wallenberg place partout dans la maison, ne faisant pas confiance aux rapports journaliers des prostituées. Et finalemant, il fait bien. En effet, Marguerite, sa petite-protégée tombe amoureuse du capitaine Hans Reiter. Ce dernier, dans de longues tirades douloureuses exprime son désarroi et dénonce l’horreur nazie. Marguerite ne le croit pas, mais ne le trahit pas dans les rapports qu’elle écrit à Wallenberg. Hans Reiter est reparti dans son unité avec la ferme intention de passer à l’ennemi. Plus tard, un client de Marguerite lui apprend que Reiter à été pendu haut et court pour trahison. Il exprime aussi sa satisfaction face à l’exécution du traître. Folle de chagrin, Marguerite l’abat et Kitty fait passer le meurtre pour un suicide. Marguerite comprend alors qu’elles sont des espionnes espionnées. Elle repart dans sa famille se remettre du choc. Kitty vient la chercher. Wallenberg a l’air de s’impatienter de son absence. Marguerite s’emporte et raconte à Kitty quelle est la mission des filles, et qu’elles sont surveillées. Furieuse et déçue, Kitty décide de prendre Wallenberg à son propre jeu. Grâce à un ami italien et à un Américain, les deux femmes tendent un piège à l’officier nazi. Marguerite parvient à faire parler Wallenberg de ses rêves de pouvoir. Son ambition démesurée le perd. Marguerite donne l’enregistrement au supérieur de l’officier qui ordonne de l’abattre. En effet, sur l’enregistrement, Wallenberg affirme connaître, grâce à ses propres écoutes, les points faibles et les perversions de beaucoup de personnalités allemandes, et même celles d’Himmler en personne. Il dit que rien ni personne ne l’arrêtera dans sa quête du pouvoir. Il crie qu’il se moque du National-Socialisme, comme les autres d’ailleurs, qu’il n’est qu’un outil pour asservir les masses crédules et assouvir les désirs de pouvoir d’une élite. Wallenberg mort, Kitty et Marguerite, complètement seules, boivent une bouteille de champagne, boisson très présente, pour ne pas dire envahissante dans le film alors que les fenêtres de la maison close sont soufflées par l’explosion des bombes alliées.
Dans son film, Tinto Brass parle de tant de choses qu’il va falloir faire des choix et morceler le tout pour que l’article ne ressemble pas à un tissu informe par surplus d’informations. On va donc commencer par le morceau le moins gros, le contexte historique à travers le début très condensé du film. En effet, les premières scènes sont différentes les unes des autres et offrent un large tableau, pour planter le décor si on peut dire; mais surtout, elles proposent un canevas symbolique d’une grande richesse, qui se perd à mesure que l’action prend de l’importance.

LE CONTEXTE HISTORIQUE
Le film débute en même temps que le générique sur une chanson de Kitty dans le luxueux salon de sa maison close.Un côté du visage est féminin, encadré par ses longs cheveux blonds, et l’autre arbore une moustache, des cheveux noirs, courts et gominés. Deux personnalités en un être, la femme à longue robe blanche, et l’homme en complet sombre. On peut considérer que cette dualité donne le ton entre le blanc et le noir, c’est-à-dire, les bourreaux, et les victimes. Mais cela inclue aussi la double personnalité des protagonistes, Marguerite amoureuse mais espionne, Reiter, capitaine allemand et traître, Wallenberg, officier nazi qui rêve de détrôner ses supérieurs.
Ensuite nous faisons la connaissance de Wallenberg et de son supérieur l’Obergruppführer. Ce dernier explique à Wallenberg ce qu’il attend de lui. Immédiatement après, et sans séquence intermédiaire, nous assistons à un cours de science, dans lequel le professeur expose en quoi les aryens sont supérieurs aux autres races. On nous présente des étudiants conditionnés, fidèles au régime. Toujours brutalement, nous atterrissons dans un abattoir. Des soldats allemands tripotent des femmes grasses et vulgaires, au milieu du sang et des cris des porcs qu’on égorge d’une manière horrible. Que les âmes sensibles s’abstiennent. Les cochons ne sont pas morts quand, pendus, on les laisse se vider de leur sang. Ici, Tinto Brass définit nettement ce que sont les Allemands, au-delà de la bêtise de l’idéologie nazie. Le choix d’un abattoir porcin n’est pas innocent. Le réalisateur fait directement et sans ambiguïté le parallèle entre l’appellation “porc” et ces allemands qu’il nous montre vulgaires, dépravés, comme par exemple cet homme courant derrière une femme qui glousse débilement avec une queue de porc entre les mains, et cela entourés des cadavres des animaux. Le comportement lamentable de ces gens du peuple montre bien qu’ils ne valent pas plus que des animaux. De plus, discrètement, la caméra passe sur une inscription sur le mur carrelé blanc : Arbeit macht frei. Le slogan “le travail rend libre” était l’un des piliers de la propagande allemande, et ici, sur fond blanc, où le blanc est synonyme de pureté mais surtout d’innocence pour le peuple opprimé (qu’il soit juif ou autre), l’inscription est éclaboussée de sang. L’effet est terrible, le message clair. Ainsi, l’idéologie allemande est exclusivement construite sur le sang de ses malheureuses victimes.
Les cris d’agonie des porcs se poursuivent un court moment dans le plan suivant, celui d’un repas bourgeois. Nous allons donc avoir l’immense plaisir de rencontrer d’autres “porcs”, d’un milieu aisé ceux-là. C’est là que nous faisons la connaissance de l’impétueuse Marguerite qui fait un tableau tout à fait juste de sa caste dépravée. Elle dénonce l’hypocrisie, la lâcheté et le monde perverti de ses parents et de leurs amis fortunés. Le discours de la jeune fille sur la décadence du monde dans lequel elle est née trouve un parfait écho dans les images. Celles-ci nous imposent un repas plantureux, un salon fastueux, des hommes vieux avant l’âge, dépassés par leur temps et des femmes laides, sans classe, ridicules. Une mégère grosse et hideuse, habillée richement mais avec mauvais goût se moque d’Hitler en prétendant qu’il n’a aucun savoir-vivre. En effet, il boit son thé en levant le petit doigt et, elle se cure les dents à table et s’esclaffe avec une vulgarité sans nom. Ecoeurée, Marguerite quitte la table. La dernière réplique de sa mère sera: “L’important est d’être du côté du vainqueur”. Rien que cette réflexion prouve à quel point cette caste bourgeoise est corrompue, mesquine et lâche. La scène finit sur le visage de la bonne qui lève les yeux vers un tableau représentant une femme rondouillarde et au teint blanc-bleu, étreinte par un cadavre sombre. S’agit-il d’un présage? Cela représente-t-il les opprimés ou l’Allemagne d’Hitler prenant sa revanche sur les classes riches et grasses dont le temps est fini? Quoi qu’il en soit, le présage est funeste.
Ensuite, nous faisons la visite d’un aquarium portant l’inscription “Nicht für Juden”. Sont en scène deux parties, les femmes des jeunesses hitlériennes, blondes, maquillées, coiffure stricte, yeux bleus ; et la famille juive, les visages creux, les cheveux en bataille, les yeux fonçés, les vêtements négligés et la croix juive se dessinant en jaune sur le revers. Rien qu’à travers l’image, sans une parole, le réalisateur plante merveilleusement le décor, oppose les forces en présence à travers les signes-symboles visuels. Le petit bambin de la famille juive laisse tomber un poussin mécanique devant le groupe d’Aryennes. Le poussin jaune sautille dans tous les sens, frénétiquement. L’une des femmes écrase durement le jouet sous sa botte. Le destin des poussins-juifs jaunes semble être décidé, ils mourront sous la botte noire et luisante allemande.
A partir de là, l’histoire commence vraiment. Les jeunes filles des jeunesses hitlériennes choisies sont nues, alignées et font face à la même rangée de soldats allemands dans leur plus simple appareil. La scène est très visuelle. Elle se déroule dans une sorte de salle de congrès; les centaines de sièges vides, comme les officiers habillés du terrifiant costume noir sont comme une insulte aux corps nus, parce que les premiers représentent l’indifférence et les autres le pouvoir de l’homme habillé par rapport à la nudité. Ensuite, dans un ballet orchestré, les couples se forment et se mettent hardiment à la tâche. Face au sérieux des acteurs et de l’action, les comportements s’en retrouvent encore plus grotesques. Les hommes sautillent avec une grâce ridicule vers les jeunes femmes. On n’est pas étonné de voir une jeune femme couchée par terre, et un homme, debout sur un pied, les bras en croix, comme un aigle fondant sur sa proie. Les nazis sont ridicules dans leurs perversions et dans l’importance qu’ils se donnent. La musique presque militaire n’est pas en reste dans ce triste tableau.
Dans la scène suivante, où les jeunes femmes se voient forcées de faire l’amour avec des êtres “inférieurs”, Brass a marié le ridicule outrancier à la formidable puissance des nazis. En y réfléchissant bien, faire copuler ces femmes entièrement dévouées au régime avec des monstres et des juifs est assez inutile car dans le “travail”, elles ne rencontreront que des soldats en permission, bien portants, et allemands. La scène de “mise à l’épreuve” trouve sa justification dans le fait que certaines d’entre elles ne sont pas aptes, c’est-à-dire pas capables de supporter, ou d’accepter de tels coïts. Brass a peint le côté malsain et voyeur des nazis. Naturellement, le réalisateur a su exploiter ces scènes et par conséquent donner le côté spectaculaire et inédit (le nain difforme, le cul-de-jatte) dont peut se targuer son film. Mais il ne s’agit pas là que d’un atout commercial. Brass a su amener ces scènes avec art. La musique joue ici un rôle très important. Elle est répétitive, monotone, lente, hypnotique, et, régulièrement, des notes plus fortes tombent comme des couperets. Elle fait penser à une agonie, et à une mise à mort. Ici aussi, nous pouvons pressentir qui va être tué, par l’intermédiaire d’êtres symbolisant tout un peuple. Wallenberg, après son inspection, fait savoir à son subordonné que les filles allemandes qui n’ont pas été capables de passer outre leurs inhibitions doivent être envoyées dans un camp de redressement, et les hommes, eux, doivent être éliminés. Jamais, ils ne devront être en mesure de dire qu’ils ont eu des relations sexuelles avec de pures aryennes. A travers ces hommes, un nain, un infirme, une sorte de demeuré et un juif, et cela bien avant que la guerre n’éclate, les nazis allemands précisent clairement leurs intentions en ce qui concerne l’épuration de l’Europe des races inférieures.
Salon Kitty est donc une véritable peinture du régime allemand. Tinto Brass a choisi de montrer la perversité des nazis. Et pour se faire, il utilise toutes les armes à sa disposition, les dialogues, les situations, et aussi énormément les décors, les lumières, les couleurs.

MANICHEISME
Le plan du film est manichéen, les méchants d’un côté et les gentils de l’autre. Les méchants, nous l’avons bien compris, sont les Allemands. Des Allemands à l’apogée de leur gloire. Le film débute quelque temps avant la déclaration de guerre à la Pologne, le 1er septembre 1939. Ils forment des élites combatives, hommes ou femmes de première force, instaurent un système d’écoute et d’ordre des plus efficaces. Quand les prostituées craquent, ils s’en chargent aussitôt. Quand des soldats sont suspectés de trahison, ils sont immédiatement exécutés. On les voit puissants, riches, ivres de gloire, l’Europe entière les craint. Ils sont les vainqueurs. Ils boivent du champagne comme si c’était de l’eau, parodient dans la maison de Kitty le french cancan quand ils prennent Paris. Mais aussi puissants soient-ils, ils sont aussi les plus dépravés, et les plus “malades”. Les clients de la maison de Kitty sont souvent des généraux pervers et puérils. L’un d’eux enlève son uniforme terrifiant et porte en-dessous une sorte de grosse gaine en dentelle rose. La fille éclate d’un rire hystérique devant cet homme si puissant, et pourtant si médiocre. Un autre sert de chien, enchaîné, frappé et même muselé. Un autre encore s’est fait faire un pain en forme de pénis. Il le met entre les cuisses de la fille, et suce la friandise devant un film représentant un Hitler vociférant. Puis d’un coup de dent, il tranche le simulacre de sexe. Les nazis si terrifiants et sanguinaires ne sont en fait que des malades sexuels qui ont besoin d’artifices pour le coït. Les délires amoureux de ces hommes ont pour cadre des chambres richement ornées, des lumières rouges, l’obscurité d’une projection. Mais leur ridicule ne s’arrête pas là. Lors d’une de ces soirées, la sirène d’alerte retentit. On voit alors des officiers en caleçon ou encore nus sortir des chambres en hurlant de terreur. Mon Dieu qu’ils sont beaux! Wallenberg et Kitty sont aussi des fleurons du ridicule allemand. Quand l’officier présente à Kitty les nouvelles filles-espionnes, elle veut lui dire qu’elles ne semblent pas aptes à se vendre, et pour se faire, elle n’emploie pas de mots, mais fait un étrange mouvement de langue. Wallenberg lui répond qu’elles seront très bonnes pour l’amour et ponctue sa certitude du même mouvement de langue vulgaire.
Malgré tout, Brass sait subtilement rappeler que ce sont ces hommes et ces femmes dépravés et haïssables qui détiennent le Pouvoir. Dans la maison close de Kitty l’une des filles veut partir avec l’ami américain de cette dernière. Ils préparent tous les deux leurs valises et la fille discute avec animation de ce qu’elle fera dans l’Amérique libre. Son compagnon ne la quitte que quelques secondes et, quand il revient, le service secret de “nettoyage” des traîtres a pendu la pauvre fille au lustre. Ils sont rapides, efficaces, discrets. Et terrifiants. Kitty ne voulait pas quitter sa soirée pour répondre à l’appel de Wallenberg, qui devait lui apprendre la réquisition de sa maison en échange de l’autre, truffée de micros. Ont débarqué alors deux hommes en noir. Les invités de la soirée étaient tous des amis du Reich, Kitty était une intime de Wallenberg, et pourtant son visage décomposé reflétant une terreur sans nom, les murmures angoissés, “c’est la gestapo” prouvent bien la terreur qu’ils inspirent à leurs propres partisans. Il ne faut pas oublier que les premières victimes des camps de la mort ont été les Allemands eux-mêmes.
Face à cela, Kitty, qui est une femme attachante parce qu’elle croit au réconfort que des prostituées peuvent apporter à des hommes, est souvent habillée de blanc. La chambre de marguerite est blanche, elle aussi, complètement aseptisée. Marguerite est certes une espionne au départ, mais grâce à l’amour, elle réalise l’horreur des nazis et change de camp.
Marguerite est donc elle aussi une jeune fille vive et attachante, bien qu’au début du film elle soit complètement convertie au National-Socialisme. Mais elle rencontre l’amour, et par voie de conséquence la peur de perdre l’être aimé, la douleur de se séparer. Et surtout, ses convictions se heurtent aux horribles expériences de Hans Reiter. Mais le régime l’a perdue quand elle réalise qu’elle était elle-même surveillée et qu’il n’accepte aucune défection de ses partisans. Sa terrible déception se double d’une profonde aversion pour Wallenberg qui fait d’elle sa maîtresse contre son gré. Ce comportement autoritaire exprime son obsession d’avoir un pouvoir sans faille sur une fille bourgeoise, que nous devinons de classe plus élevée que la sienne au départ. Il la dégoûte dans ses accoutrements scandaleux. Quand elle décide sa perte à travers l’enregistrement, elle le découvre affublé d’un costume gris avec des éclairs argentés sur la poitrine. Il s’admire dans la glace, prenant un air important et sans pitié.
Elle, on le devine, est d’une nature simple et franche finalement. Lors de sa permission d’une semaine, Hans passe son temps au lit avec Marguerite. Il veut faire l’amour tendrement, sans haine ni ressentiment. Après son départ, Marguerite doit faire son rapport. Elle n’y trahit pas l’intention de déserter de son client. On la voit habillée de blanc, dans cette chambre blanche. Elle respire l’innocence et pourtant, sa bouche d’un rouge éclatant rappelle qu’elle est à l’origine, une fille du nazisme.
Hans, quant à lui est le personnage-clef. On fait la connaissance d’un homme pas forcément bon de nature mais lucide et écoeuré. Dans de très bons monologues, il dénonce à Marguerite ce qu’est vraiment le National-Socialisme. Il raconte la guerre, les avions qui s’écrasent, les bombes qui tuent les femmes et les enfants, tout cela sur fond de véritables images en noir et blanc. Ses discours sont éloquents, son visage sérieux. Lors d’une ballade en amoureux, ils voient un homme en train de dresser son berger allemand à l’attaque. Marguerite continue de virevolter, insouciante. Elle ne réalise pas qu’elle est, elle-même, conditionnée pour l’attaque. Quant à Hans, il devient amer. Il sait qu’on a fait des hommes ce que cet être fait de son chien. Et que, comme le chien, ils ont perdu la faculté de penser. Une colonne de SS passe, Marguerite applaudit, Hans non. Il a compris et le paiera de sa vie.
Le destin tragique de ces deux êtres, leur amour pur et sans condition se dressent contre la force. Certes, Hans meurt, mais la vengeance de Marguerite, aidée par Kitty et ses amis montre que la noirceur ne peut l’emporter sur la beauté (de l’amour, des idées, de l’individu), même si le prix à payer est très lourd.
Salon Kitty est donc un film qui oppose deux forces pas vraiment égales. D’une part, on trouve des gentils, qui, même s’ils se vengent, souffrent, et des méchants vraiment immondes. On retiendra leurs clowneries, comme quand ils fêtent la prise de Paris par exemple en la personne de quatre hommes déguisés en danseuses de french cancan avec les robes, les jarretelles, et le sexe à l’air. La seule faiblesse du film est peut-être le moment où Kitty décide de transformer ses nouvelles “filles” qui ont l’air d’innocentes fleurs en prostituées. Il s’ensuit alors un ballet de froufrous et de maquillage à la limite du supportable. La musique, gaie, répond à l’humour et ces jeunes filles se transforment en bombes sexuelles aguicheuses et peinturlurées. Cette charnière est lourde, peu originale et ennuyeuse. On dirait un sitcom ado où la gamine timide et réservée se transforme en papillon. Mais on pardonne, car le reste est réellement très bon. La mort de Wallenberg en témoigne. Elle est marquante, parce qu’après le coup de feu, pendant qu’il s’affaisse, des images de quelques secondes des porcs dans l’abattoir sont glissées dans le film. Wallenberg ne crie pas, ne dit rien, mais des cris de porcs égorgés semble parfaitement suppléer ce qu’il pourrait dire.
Ainsi, Salon Kitty est un film intelligent, très bien tourné et qui regorge de symboles terrifiants. Plus on le visionne, plus on découvre de choses, et pas besoin d’être un dictionnaire, les symboles sont généralement clairs, peut-être un peu faciles parfois mais en tout cas immédiatement déchiffrables. Pour finir, nous évoquerons une phrase qui illustre parfaitement le propos du film. Hans et Marguerite font l’amour dans des toilettes qui semblent être un endroit d’expression intellectuelle. En effet, sur le mur est inscrit: Göring warmer Prüder. ce qui littéralement signifie que Göring, grand personnage, est un “chaud lapin”, tout en étant un être d’une pudeur exagérée. Le régime se donne donc une apparence qui contraste avec ce qu’il est réellement. Il se montre pieux et ordonné alors qu’il est voué à l’enfer de la perversion.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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