Un texte signé André Quintaine

entretiens

Sandy Blanco

Voici un entretien réalisé en août 2011 avec Sandy Blanco au sujet d’Avant l’Aube (critique ici.).

Pouvez-vous nous retracer la mise en place du projet d’AVANT L’AUBE ?

Cela fait trois ans que notre atelier réalise des films fantastiques. Après « Lycan », « Au coeur de la folie » qui est un film à sketch, nous avons décidé de faire un film de groupe. Cela manquait cruellement aux films précédents, tout comme les dialogues d’ailleurs. L’idée du film de vampire est venue d’une chanson que j’avais écrite et composée pour un groupe narbonnais Une Rose pour Emily intitulée « Avant l’Aube » et que les élèves aimaient beaucoup. A partir de là, nous avons développé un scénario incluant les diverses personnalités des élèves qui désiraient jouer. Scénaristiquement, nous avons appliqué la construction d’un plan ternaire classique, ainsi que l’utilisation d’un « hareng rouge », car la fausse piste nous semblait nécessaire pour que le spectateur ne s’ennuie pas trop. Alors, les élèves se sont appliqués à rendre le personnage de Farcas très désagréable et mystérieux. Le travail sur le scénario et dialogues a commencé de juin 2010 à septembre. Nous continuions à développer les dialogues pendant le tournage par manque de temps. Il ne faut pas oublier que nous avions beaucoup de travail scolaire autour, sans compter que certains élèves avaient d’autres activités sportives extra-scolaires. D’ailleurs, nous avons failli arrêter sérieusement au début du tournage, car tout devenait trop compliquer à gérer.

Quels sont les différents protagonistes de ce projet ?
Les principaux élèves : Mathilde Théret, Lara Brouillet, Pauline Savatier, Johan Beverini, Bastien Fangouse, Guillaume Brun et Argan Connan sont les acteurs principaux, bruiteurs, scénaristes du film et maquilleurs. En ce qui concerne, les professeurs encadrants, Dominique Legrand, C.P.E. du lycée joue le rôle de l’énigmatique Farcas mais a été le chef opérateur et régisseur du film, il a été épaulé par une élève très volontaire Roxane Hervé. Dominique a énormément potassé pour l’éclairage afin de rendre le film le plus cohérent possible. L’indispensable organisation des tournages a été faite par Elodie Capel, professeur documentaliste certifiée cinéma. Sarah Orlhac, élève de terminale S, a été la scripte sur les trois films que nous avons tourné. Elle se destine d’ailleurs à ce métier et entre l’année prochaine dans une école de cinéma à Toulouse. Béatrice Beaufils, professeur d’anglais a tenu le rôle de la psychologue scolaire mais a beaucoup aidé dans l’encadrement des élèves et le bon fonctionnement du tournage. Enfin, le son a été capté par Ludovic Baldet, élève qui se destine lui aussi l’an prochain, à des études de cinéma.
Le reste des personnages est joué soit par des professeurs, soit par des élèves du lycée. Pour ma part, j’ai supervisé tout le travail des élèves, puis fait le montage et la musique. Les années précédentes, Florian Garcia, un élève, m’avait assisté pour le montage, mais il est parti depuis et n’a fait juste qu’une apparition dans « Avant l’Aube ». Nous avons storyboardé presque tout le film, ce qui nous a permis de gagner du temps pendant la réalisation. Enfin, il y a la participation de certains parents d’élèves dont, par exemple, le père de Sarah qui a fabriqué un cercueil grandeur nature et Jean-Luc Pignide, le père d’une élève, qui n’avait jamais joué auparavant, a accepté le rôle du vampire. J’insiste sur le fait que le peu de moyen que nous avons eu, obligeait les élèves et adultes à faire tout à tour de rôle : maquilleur, éclairage, régie, etc.

Était-ce vraiment difficile d’avoir l’accord de la direction où est-ce que le manque d’intérêt généralisé en France pour le fantastique est une légende urbaine ?

La direction et notamment, notre proviseur Jean-Christophe Torres, ne nous a pas empêché de réaliser le film. Il suivait la progression du tournage de loin. En fait, dès mon arrivée dans le lycée il y a trois ans, nous avons créé un journal télévisé, gagné de nombreux concours vidéo afin de nous faire une réputation dans l’Académie. Cela a fonctionné, nous avons eu des aides de la région, ainsi que du lycée. Même si ce n’était pas pharaonique, nous avons pu acheter du matériel (grue, matériel son, Jag 35, caméra Canon XM2, etc). Cependant, force est de constater qu’il y a, dans le milieu du cinéma scolaire, une préférence marquée pour le cinéma européen intellectuel. On glorifie la Nouvelle Vague et on ne prend pas au sérieux le fantastique. Il ne faut certes pas généraliser, mais dans l’ensemble, le cinéma cérébral prime. Ce qui est paradoxal, c’est que les élèves eux, adorent ce genre. Notre festival du film fantastique en témoigne, chaque année 19 établissements scolaires (collèges/lycées) sont sélectionnés et réalisent des films fantastiques de 10 minutes de qualité souvent très inégales mais sont ravis de participer. En plus, par le biais de maquillages, de réalisations musicales, de bruitages, le fantastique est le genre roi pour la création scolaire.

Sur quelle durée et comment s’est organisé le tournage ?
Le tournage a commencé en fin septembre 2010 et s’est achevé environ début Avril 2011. Mais nous n’avons bien entendu pas tourné continuellement. Nous tournions le mercredi après-midi, les week-ends jusqu’à tard dans la nuit parfois. Puis pendant les vacances scolaires et notamment en décembre au château de Val à Bort-les-orgues. Là-bas, le tournage a été épique. Nous avions trois jours pour tourner toutes les scènes. Le froid intense à l’extérieur comme à l’intérieur du château tétanisait toute l’équipe sans compter les nombreux problèmes techniques. Elodie Capel et Béatrice Beaufils faisaient des allers retours incessants des chalets où nous logions au château pour ne pas laisser les élèves dans le froid. Dominique et moi sommes restés du matin au soir très tard (ou très tôt car le matin n’était pas loin) pour finir les scènes. De plus, les élèves avaient prévu un combat à l’épée dans le film. J’ai tenu à ce qu’il soit le plus crédible possible et un maître d’arme Philippe Freyssinier a gentiment accepté de former Bastien et Jean-Luc pendant quelques heures. De nombreuses personnes extérieures nous ont aidé, prêté leur maison, leur hôtel, leur restaurant, leur voiture, leurs enfants mêmes pour que le film se fasse. Un tel tournage demande énormément d’investissement au niveau du temps autant pour les élèves que pour les adultes qui y participent, il ne faut pas compter le faire seul.

Quels sont les avantages et inconvénients de tourner dans le cadre d’un projet scolaire ?

L’avantage de tourner dans le cadre d’un projet scolaire est l’aide que nous recevons des parents et autres habitants de la ville. Les autorisations sont plus faciles à avoir. Parfois l’ambiance est très agréable, mais l’adolescence étant une période de crise il faut parfois jouer les psychologues et calmer le jeu afin que tout se déroule pour le mieux car un tournage met en avant les ego des élèves ce qui crée de nombreuses rivalités entre eux.
Les inconvénients viennent justement du terme « scolaire ». impossible de faire un film de genre très borderline. Un sketch de « Au Coeur de la Folie » intitulé « Invasion » l’année précédente montrait un élève assassinant sa professeur zombie, la crosse d’un fusil à pompe lui défonçant le crâne, bien entendu hors champ. Même si le faux sang n’était pas en reste, avec cette scène, nous avions atteint la limite de ce que l’on pouvait faire dans le cadre scolaire. C’est pourquoi, l’année suivante, nous avons réalisé un film un peu à la Goonies dont certains personnages s’inspirent parfois du dessin animé Scoubidou (d’ailleurs le personnage de Lara Brouillet : Barbara et celui de Pauline Savatier : Alix, font respectivement référence à l’intellectuelle Velma et la superficielle Daphné) . Le but était de divertir les gens, de revenir à quelque chose de plus populaire.
L’autre inconvénient est le manque de temps. En effet, nous n’avons pas pu passer beaucoup de temps sur la réalisation de chaque scène car les élèves et adultes ne sont pas des professionnels et ont une vie à côté. Même le jeu des comédiens n’est pas comparable avec celui des acteurs professionnels, c’est une règle qu’il faut savoir accepter quand on réalise de tels films. Il faut surtout y voir que les élèves apprennent des tas de choses sur eux-mêmes dans cette aventure, à commencer par leur limite. Parfois même ils se surprennent et vont beaucoup plus loin que ce qu’ils avaient pu imaginer. On ne s’en rend pas compte mais l’investissement des élèves est conséquent.
En fait, lorsqu’on réalise ce genre de film, en tant que professeur de cinéma, il ne faut pas espérer le faire pour soi, même si l’on investit beaucoup d’argent dans la réalisation du film,ce qui a été mon cas. De même, les heures de montage et de création musicale ne se comptent plus. A force de nuits blanches, à la fin de l’année, j’aurais pu jouer dans un film de George A. Romero !
On passe d’ailleurs plus de temps avec les élèves à travailler sur le film qu’en salle des profs ce qui est là encore un inconvénient de plus dans le travail. Et puis, lorsqu’un élève est en difficulté, son investissement dans le film peut souvent être souligné en contraste avec son manque d’investissement en cours. Il faut donc là encore remotiver l’élève et lui faire prendre conscience qu’il doit s’investir en cours pour ne pas mettre à mal son avenir et celui du film.
Au final c’est une aventure peu commune dans le cadre scolaire dont les élèves et les professeurs se rappelleront toute leur vie ce qui est déjà pas mal.

Quels étaient les objectifs pédagogiques ?
Les objectifs sont nombreux. Sur l’apprentissage du cinéma, il y a l’écriture d’un scénario de long-métrage, l’écriture de dialogues, la réalisation d’un story-board; Les techniques de réalisation (cadrage, mouvements de caméra, etc.), le jeu des acteurs, diriger les gestes, l’attitude, la diction. Enfin, il y a aussi l’acquisition d’une culture cinématographique fantastique. Il y a de nombreuses références dans le film à Vampyr, Vampire vous avez dit vampire ?, Le bal des vampires, S.O.S. Fantômes. On voit bien que même les sources ne taillent pas dans le gore qui tache. Certains dialogues s’inspirent même du film Les dents de la mer. Enfin, l’idée du groupe équipé d’armes diverses contre le vampire a été également motivée par la lecture de passages du comic culte Tomb of Dracula dessiné par l’immense Gene Colan. Le passage de l’écriture à la réalisation est au programme de cinéma mais il faut noter là encore que mes élèves ne se sont pas spécialisés dans le cinéma. Il s’agit d’un atelier et donc aucun élève ne fait partie d’une option. Ils sont tous soit de seconde, de première S ou STG ou encore de Terminale S ou de sections professionnelles. Seule la passion pour le cinéma les a motivé pour faire ce film qui ne leur apportera rien sur le bulletin.

Comment a été accueilli le film et quel est son avenir ?
La première diffusion s’est faite au festival du film fantastique à Saint-Chély d’Apcher en Lozère le 23 mai 2011 devant 300 personnes. La plupart extérieures au lycée puisqu’il s’agissait d’élèves participant au concours. Jean Mach, réalisateur de Montpellier et Jean Marigny spécialiste de la littérature vampirique étaient également présents. Le public a très bien réagi. Les mécanismes du rire ou de la peur fonctionnaient à chaque fois. Le plus étonnant est que la scène qui a fait sursauter tout le monde a été l’apparition du vampire après que Stepson voit passer son ombre sur le mur. Effectivement, techniquement nous amenons le spectateur d’un côté pour le piéger de l’autre. Mais lorsqu’on écrit cette scène, on pense à la technique et on ne se rend pas compte à quel point ça fonctionne. Les nombreux cris nous ont tous surpris. C’était très amusant. Au final, Jean Mach et Jean Marigny ont félicité l’équipe du film. Ce fut une vraie récompense pour les élèves que leur travail ait été reconnu par des professionnels. Enfin, Midi Libre nous a fait un article élogieux, ce qui m’a motivé pour faire voir le film à d’autres personnes. Le film a également été diffusé dans une salle de cinéma à St Flour dans le Cantal. Là encore le film a bien fonctionné.
Nous avons rencontré d’autres professionnels dont un, qui nous a proposé de sous-titrer le film afin de l’exporter à l’étranger. Que cela aboutisse ou pas, tout ce qui peut arriver à notre petit film aujourd’hui n’est que du bonus.

Avez-vous des anecdotes, des remarques à nous faire partager ?

Je ne prendrai qu’une anecdote pour vous donner une idée des méthodes de tournage peu orthodoxes que nous avons utilisées. Nous avons tourné la scène de l’escalier en deux parties. 98% de la scène a été tourné le soir même en décembre : le duel jusqu’à ce que Charles-Edouard (Bastien Fangouse) prenne dans ses bras Esther (Mathilde Théret). Malheureusement, Bastien a dû rester à genoux plusieurs heures sur les escaliers gelés. Le mouvement de grue que nous avons fait étant assez délicat. Le jeune homme n’a pas pu continuer à tourner tellement ses membres étaient gelés. Nous avons alors tourné les dernières minutes quelques mois plus tard. Mais la neige n’était plus au rendez-vous. L’équipe est alors partie chercher de la glace dans un supermarché à la fermeture, embarquant la glace dans des sauts et glacières. Nous avons déposé la glace dans les escaliers et sur les rampes pour donner l’illusion que c’était le même soir. Le timing était serré, étant donné que la glace fondait relativement vite. J’imagine également la tête des employés du supermarché qui ont reçu notre appel ce jour-là, cela nous a beaucoup amusé mes collègues et moi. La dernière remarque que je voudrais faire est que je trouve extraordinaires la confiance et l’investissement des élèves et des professeurs qui ont participé à ce projet. Certains sont arrivés à saturation à la fin du tournage mais ils ont tenu leur rôle jusqu’au bout, ce qui est tout à leur honneur.

Quels sont vos projets personnels ?
Après trois ans de bons et loyaux services dans l’atelier cinéma du lycée, je me consacre à l’écriture d’un long métrage que je vais réaliser hors cadre scolaire. L’atelier ferme ses portes car nous ouvrons une option cinéma avec une section littéraire à la rentrée. C’est la récompense de trois années de travail. Je vais enfin partager mes heures de cours à enseigner la littérature conjointement au cinéma. Étant d’abord musicien, j’écris depuis la fac un opéra tiré du roman Dracula de Bram Stoker, mais ce projet que je repousse sans cesse est encore ajourné puisque ma rencontre avec la talentueuse Catriona McColl et un producteur londonien m’a lancé sur la réalisation d’un film que j’écris entièrement pour elle. C’est un drame dans lequel il y aura une scène hommage à l’un de mes réalisateurs favoris : Lucio Fulci. Dans l’ensemble, la remise en question d’une certaine vision du christianisme, très présente dans le scénario est proche de celle de Bergman voire même de Pasolini. C’est un curieux mélange mais si le scénario convainc, je pourrai peut-être réaliser un premier long-métrage dans des conditions professionnelles ou semi-professionnelles.


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- Article rédigé par : André Quintaine

- Ses films préférés : Frayeurs, Les Griffes de la Nuit, Made in Britain, Massacre à la Tronçonneuse, Freaks


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