Scanners (1981) – Critique

Un texte signé Stéphane Bex

Canada - 1981 - Cronenberg
Interprètes : Stephen Lack, Michael Ironside, Jennifer O'Neill, Patrick McGoohan

Scanners de David Cronenberg commence en suivant un clochard errant dans un centre commercial. Il se sert à chaque table. Dévisagé par deux femmes se moquant de son allure, Cameron (Stephen Lack) découvre ses capacités télépathes quand il s’en prend à distance à une des femmes. Rattrapé par la compagnie ConSec dirigée par le docteur Ruth (Patrick McGoohan), il apprend alors qu’il est « scanner », doué de capacités psychiques hors du commun et se trouve chargé d’infiltrer le réseau formé par un autre scanner, Darryl Revock (Michael Ironside) ayant décidé de monter une armée de scanners.

L’entrée de Cronenberg dans les années 80 reste anthologique. En faisant du centre commercial le lieu d’apparition de son héros, un homme apparemment « sans qualités », le réalisateur canadien revisite sa filmographie de la décennie précédente, dont les toiles de fond oscillent entre utopies architecturales et la froideur consumériste de la modernité. La scène ne manque pas d’un certain humour, souvent oublié dans le regard que l’on porte sur Cronenberg trop vite abonné à la figure du cinéaste des mutations organiques. La jouissance , censément apportée par le monde consumériste qui les entoure, se reporte ici rapidement sur les trépidations de la victime, soumise à la volonté psychique de Cameron. Plaisir et souffrance s’unissent dans le visage transformé de la « moqueuse » tout à coup saisie et arrachée un instant aux conventions comme au monde qui l’entoure.

scanners

Cronenberg radical

Cronenberg radicalise en une seule scène les avancées des années précédentes et s’affirme comme cinéaste des marges. Celles du corps, de l’esprit, de l’entertainment hollywoodien tout aussi bien qu’il semble défier en affirmant que la seule véritable puissance réside dans le fait de savoir voir autant que dans le minimalisme des effets. On pense alors à l’efficacité économique du regard des enfants dans le VILLAGE DES DAMNES, également à l’univers de l’horreur gothique d’un Dracula fascinant ses victimes et les attachant à lui par la puissance de la suggestion.

Mais l’érotisme gothique a pris ici la forme plus crue et obscène d’une jouissance physique sans acte et qui se passe de contact direct : les corps se cambrent, les liquides coulent. Le rapport a lieu dans la « zone » qui sépare les corps, non dans l’espace restreint de leur union. Nulle part peut-être Cronenberg n’aura montré de façon plus claire combien son cinéma est celui d’un vide et d’un écart dans lequel tous les fantasmes trouvent à se rassembler.

De fait, la vision de SCANNERS permet de repérer tous les thèmes qui ont nourri ou vont nourrir l’imaginaire cronenbergien : petit groupe sectaire soumis à la volonté d’un gourou et cherchant à s’échapper des limites corporelles par la transe (CHROMOSOME 3) ou la jouissance (CRASH), corporations ou multinationales oeuvrant en secret dans le but de faire muter l’humanité (VIDEODROME), capacités parapsychiques des individus (DEAD ZONE), fraternité et gémelléité (FAUX SEMBLANTS), maternité monstrueuse (CHROMOSOME 3) télépathes organisés (présents dans le NAKED LUNCH de Burrough que Cronenberg adaptera en 1991).

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l’imaginaire cronenbergien

Se ressent également l’influence de Brian de Palma dont le CARRIE (1976) ou FURIE (1978) prenaient pour argument les pouvoirs psy. L’univers de SCANNERS se rapproche d’ailleurs assez fortement de ce dernier, en intégrant le surnaturel au monde du thriller et de la science-fiction et en prenant pour arrière-plan les manipulations de puissantes corporations secrètes.

Mais ici comme ailleurs, Cronenberg ne se laisse pas emprisonner dans un genre qui n’est que pour lui l’occasion d’adjoindre de nouveaux motifs à une partition rejouée. Le terreau des manipulations génétiques et d’un scientisme faustien permet par exemple au cinéaste de faire entrer en scène le langage informatique et l’ordinateur. Dans une belle scène, le héros qui sonde par la pensée les circuits intégrés de la machine se transforme en pirate psychique, annonçant les futures fusions de l’homme et de la machine qui seront développées dans CRASH, VIDEODROME ou EXISTENZ .

C’est que chez Cronenberg, chaque objet du monde est susceptible de devenir une arme que le héros s’approprie, ou mieux s’incorpore au sens propre. Entrer au contact du monde, l’ingérer sur un mode régressif (la sexualité n’étant ici qu’un des modes de l’incorporation) est le seul moyen pour les héros cronenbergiens, enfants déguisés dans des corps d’adulte et rejouant avec la puissance du fantasme, de faire valoir leur puissance sur le monde. Le grand regard d’innocent aux yeux clairs de Stephen Lack (acteur que Cronenberg retrouvera pour FAUX SEMBLANTS) trouve ainsi son parallèle dans celui de Beverly Mantle, le gentil jumeau de FAUX SEMBLANTS ou encore de Seth Brundle, le héros de LA MOUCHE, grand enfant lui aussi, obligé par une expérience d’entrer de force dans le monde sordide des métamorphoses adultes.

scanners 2

Simple série B

Entre le corps, réceptacle où se cadenassent les personnages dans leur refus de participer et leur volonté de rester en marge, et le monde extérieur, le conflit ne peut alors prendre que la figure de la confrontation violente, forçant le premier à céder comme un barrage et s’ouvrir pour se dévoiler. Particulièrement spectaculaires, les scènes de métamorphoses dans SCANNERS dues aux effets spéciaux de Dick Smith (auquel on doit notamment l’explosion fameuse de la tête d’un conférencier) révèlent cet en-dessous de la peau fantasmatique. Les protubérances diverses, la saillie des veines, le gonflement du visage dessinent alors cette esthétique d’un grotesque monstrueux que Katsuhiro Otomo portera à son apogée dans AKIRA, où se confrontent pareillement les puissances infinies de l’esprit et la finitude de l’habit corporel.

Sous ces atours de série B écrite au jour le jour au moment du tournage, éclipsé par VIDEODROME, son film suivant, SCANNERS, porté de bout en bout par la superbe et poignante musique d’Howard Shore, reste donc une étape importante dans la filmographie de Cronenberg et permet de jeter un pont entre la période horrifique et celle qui semble avoir abandonné tout recours à l’organique. Le monde psychique ne se manifeste ici que dans l’agressivité et la prise de contrôle du corps d’autrui, devenu marionnette. Dans ses dernières oeuvres, Cronenberg, plus assagi peut-être mais non moins cohérent, montre combien le monde psychique peut refaçonner non plus les corps mais l’image totale du monde.

De l’univers mental au monde-cerveau, de la boîte crânienne explosant sous la pression aux visions plus cosmiques (COSMOPOLIS, MAPS TO THE STARS), Cronenberg n’aura eu de cesse finalement d’ausculter ce paradoxe d’un retrait explosif et d’une marge en continuelle expansion.

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- Article rédigé par : Stéphane Bex


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