Score

Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 1974 - Radley Metzger
Interprètes : Claire Wilbur, Calvin Culver, Lynn Lowry, Gerald Grant, Carl Parker

Elvira et Jack forment un couple heureux, ils n’hésitent pas à partager leur lit lors de séances d’échangisme. Ils en font un jeu et gardent le compte de leurs conquêtes respectives. Pour pimenter leur train de vie libertin, ils jettent leur dévolu sur deux tourtereaux aux allures puritaines. Elvira parie qu’elle parviendra à séduire la jeune Betsy avant minuit, sinon, il reviendra à Jack de pouvoir attirer à lui son mari, Eddie.

Le jeu des libertins avec l’oie blanche… voilà qui n’est pas sans rappeler le sulfureux roman épistolaire « Les liaisons dangereuses ». Mais le propos moral du roman de Choderlos de Laclos est ici jeté aux orties au profit d’une ode à la sexualité libre, grande théorie des années ’70… qui sera mise à mal dans la décennie suivante. A bien y regarder, pour une adaptation théâtrale, SCORE propose une inversion de la structure du vaudeville : dans ce dernier, les coucheries se font à l’insu du partenaire, alors qu’ici, l’exhibition de ce qu’on ne peut plus vraiment appeler une tromperie fait au contraire partie du jeu érotique.

Radley Metzger se fait plaisir : l’idylle des corps s’inscrit dans le cadre, idyllique lui aussi, du décor : une magnifique station balnéaire du pourtour méditerranéen au nom évocateur de Leisure (« Loisir »). En réalité, SCORE a été tourné dans la très communiste et très terne (future) Croatie. Autrement dit, les notes de couleur agrémentant la photographie ont dû être créées par le décorateur, la culture socialiste de l’époque étant aussi peu portée sur la gaudriole que sur tout ce qui visuellement pouvait évoquer la joie de vivre. Mais de toute manière, bien vite, l’essentiel de l’action sera confinée à la maison d’Elvira et Jack.

SCORE, dont le titre joue du double sens de décompte – celui de la compétition entre Jack et Elvira – et de l’acte sexuel, joue des possibilités du quatuor amoureux, opposant un couple libéré et heureux à un autre, plus coincé et en crise, appelé à se retrouver une fois leur sexualité rétablie par le libertinage et l’échangisme. Et pour pimenter encore un peu la situation, Radley Metzger sacrifie au cliché éculé (non, il ne manque pas un « n ») de l’installateur de téléphone chaud lapin. La symphonie sexuelle se déploie alors en quintet : Elvira séduit Mike, l’homme des télécom, et se donne à lui sous le regard choqué de Betsy. La jeune femme confie cependant à notre libertine qu’elle commence à douter de son tout récent mariage depuis qu’elle a vu son mari se masturber dans la salle de bain.
SCORE se situe en 1974, soit à la frontière du softcore et du hardcore (les premiers hardcore datent de la fin des années ’60, mais ne triomphent que dans la foulée de GORGE PROFONDE, lequel met lui-même un peu de temps avant de conquérir tous les Etats-Unis). Il s’agit du dernier soft de Radley Metzger. A la sortie du film, en dépit de bonnes critiques (qui étonnent alors le réalisateur, habitué au dédain journalistique), le film fait un flop à New York. Intriguée, l’équipe se rend alors dans le cinéma ayant programmé SCORE… et se rend compte qu’à un pâté de maison de là, la concurrence capte le chaland : une queue s’est formée devant un autre cinéma, lequel programmait un hardcore. Radley en tire les leçons et décide de passer au cinéma explicite pour sa réalisation suivante, le très beau THE PRIVATE AFTERNOON OF PAMELA MANN (également programmé à Offscreen 2014, et sorti en France en 1975 sous le titre de FURIES PORNO).

Pour autant, le hardcore est déjà préfiguré ici : les corps sont très explicitement montrés, de même que les scènes de fellation. Le seuil est déjà à moitié franchi. SCORE est donc pleinement une œuvre de transition, ce qui en complique son statut de nos jours : il en montre trop pour bénéficier de la visibilité du marché du cinéma traditionnel, et pas assez pour continuer à intéresser le secteur porno.

Ce qui est bien dommage car le cinéma de Radley Metzger fait partie du haut du panier de l’érotisme filmé. On peut clairement parler d’un style Metzger, qui apporte un soin particulier à la réalisation. On le classe dans la vague « porn chic » à laquelle se rattachent plusieurs productions de l’âge d’or du porno, soit avant que les budgets deviennent faméliques.

Il semblerait que SCORE ait connu, comme ce fut souvent le cas à l’époque, une double exploitation : une version soft de 85 minutes, et une autre, dite « hardcore » de 91 minutes, comprenant des scènes de nudité masculines frontales et des fellations. C’est cette dernière version qui a bénéficié d’une réédition en dvd/Blu-ray en 2013 et qui a été programmée en 2014 à Offscreen, en présence de son réalisateur, à qui le festival a consacré un focus de 5 films et une masterclass.

Le scénario est basé sur une pièce qui a fait les beaux jours de Broadway et qui pour l’anecdote comptait dans sa distribution… Sylvester Stallone.

Radley Metzger engagera d’ailleurs l’actrice Claire Wilbur pour reprendre dans le film le rôle d’Elvira qu’elle endossait déjà dans la pièce. Au cinéma, elle ne tiendra qu’un autre rôle érotique. La jeune Betsy est jouée par Lynn Lowry, bien connue des amateurs de fantastique et d’horreur, qui sortait alors du tournage de THE CRAZIES (Georges Roméro. Elle fera une apparition dans le remake de 2010), peu après avoir fait ses quasi débuts dans le deuxième Lloyd Kaufman (Troma) : THE BATTLE OF LOVE’S RETURN (1971). On la croisera encore chez Cronenberg (SHIVERS), Paul Shrader (le remake de LA FELINE / CAT PEOPLE), une adaptation de Lovecraft (BEYOND THE DUNWICH HORROR, 1978)… La plus grande partie de sa carrière se situe dans les genres qui font le miel de Sueurs Froides. A Offscreen 2014, Radley Metzger confiait que les deux actrices ne se sont à peu près pas adressées la parole de tout le tournage, hors bien entendu leurs répliques. Calvin Culver (alias Casey Donovan), qui tient le rôle d’Eddie, s’est très tôt dirigé vers le cinéma « pour adulte ». Le voir déguisé en cow-boy et céder ensuite aux avances de Jack n’a rien d’étonnant si on se souvient que dès 1971, il tournait déjà dans BOYS IN THE SAND (1971, un démarquage porno du plus traditionnel BOYS IN THE BAND tourné par William Friedkin en 1970), un des premiers X homo à diffusion pas trop restreinte. Il enchainera avec un autre X homo, CASEY (1971), dont le succès lui fera reprendre le titre comme nom de scène, puis avec DRAGULA (1972, oui, un X homo avec un vampire. On le recroisera encore chez Metzger pour THE OPENING OF MISTY BEETHOVEN (sorti en France sous le titre de PORNO PARADISE/LES PULPEUSES). Carl Parker, qui tient le rôle de Mike n’a pas fait une grande carrière. Cependant, c’est à lui que Metzger confiera le premier rôle masculin de son adaptation SM THE IMAGE.
A noter que dans ces années où l’érotisme se remet en question, que la société connait de nombreux bouleversements culturels et que la pornographie ne connait pas encore la codification qui va rapidement s’emparer d’elle, SCORE, film essentiellement hétéro, ose des scènes d’homosexualité masculines, traitées avec un mélange de naïveté, d’humour et d’une pointe de sensualité. Ainsi, une soirée costumée voit Jack revêtir les atours d’un marin, tandis qu’Eddie enfile la parure d’un cow-boy digne des Village people. Jack enfilera-t-il Eddie ? Pour sa part, Elvira n’est pas en reste et revêt la chasuble d’une nonne… à moitié nue, juste pour le plaisir de choquer, mais aussi d’exciter la très croyante Betsy.

Produit typique d’une époque en transition, et dont la grammaire cinématographique n’est pas encore arrêtée, SCORE est un excellent érotique, filmé avec talent par un des plus grands artisans du genre. A redécouvrir d’urgence.

Retrouvez notre couverture du festival Offscreen 2014.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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