Sex in the comics

Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 1972 - Anthony Spinelli

Dans ce recueil de saynètes pornographiques vaudevillesques, les acteurs incarnent les comics les plus scabreux et dévergondés, arborant des masques de personnages de dessins animés.
Lorsque le cinéma porno sortit, à la fin des années ’60, du ghetto des projections privées pour envahir les cinémas classiques, il dû se construire sa grammaire propre et ses motifs spécifiques. Cette passionnante époque voit l’émergence d’un genre qui se cherche alors encore, et qui met en place petit à petit le système … qui finira par l’étouffer.

SEX IN THE COMICS est donc un parfait témoignage du cinéma porno du début des ’70. Parfait en ce qu’il s’éloigne justement plus que régulièrement de ce que sera le porno peu de temps plus tard.
Déjà par son parti pris d’adaptation.

De nos jours, la pornographie filmée (qui n’a plus rien de « cinématographique ») n’est plus un spectacle mis en scène selon les conventions du cinéma classique, mais l’enregistrement d’actes sexuels. Des raisons budgétaires aussi bien que le facteur vériste (qui facilite l’identification ou l’excitation) plantent le plus souvent le porno contemporain dans son époque.

Mais ce n’a pas toujours été le cas et au premier temps de son éclosion, le porno a parfois été tenté par l’évocation historique ou le film à décors, velléités rapidement abandonnées pour des raisons budgétaires, ou cantonnées aux rares réalisations de prestige.
Ici, nous nous trouvons pourtant dans un film à costumes. Mais avec un parfum particulier puisqu’au lieu d’une luxueuse reconstitution du passé, SEX IN THE COMICS adapte à l’écran les « Tijuana bibles ».
Si de nos jours on trouve de tout sur internet, les amateurs de papier qui ne trouveront sans doute plus les éditions d’époque des Tijuana bibles, pourront se tourner vers les rééditions compilées par Bob Adelman et surtout Michael Dowers.

Appelées également sous de nombreux autres intitulés, dont les « 8 pagers », il s’agit de petit fascicules de huit pages dessinées (pour autant de cases) à vocation pornographiques, éditées et distribuées sous le manteau. Leur contenu parodiait régulièrement d’autres œuvres de l’époque. Elles furent surtout produites dans les années vingt et trente et reflètent la BD de l’époque, celle qui n’attache pas encore beaucoup d’importance aux décors et, faute d’appareillage de reproduction adapté, se repose sur un trait simplifié et ne bénéficie généralement que de peu de couleur.

Ce qui est vrai pour la plupart des BD d’avant-guerre l’est encore bien plus pour des BD pornographiques, à la diffusion clandestine et qui ont donc été éditées avec des moyens très réduits. Les « Tijuana bibles » sont donc esthétiquement fort éloignées de notre bande dessinée contemporaine.

Leur adaptation cinématographique en restitue avec bonheur l’essence, choisissant d’affubler de masques les protagonistes, pour leur donner un look plus proche des personnages dessinés et construisant le décor d’un fond grossièrement peint.

A ce dernier titre, on ne peut s’empêcher de noter qu’en rendant ainsi hommage à l’antiquité de la bd pornographique (on n’ira pas jusqu’à référer à la tradition antique du port de masque au théâtre cependant), SEX IN THE COMICS fait également écho aux premiers temps du cinéma, qui a parfois également fait usage de décors peints devant lequel s’ébrouent les acteurs. Ce n’est d’ailleurs pas la seule référence au cinéma muet puisque SEX IN THE COMICS opte pour un cadrage classique en 1.33 et une caméra le plus souvent fixe. En réalité, ces choix soulignent donc bien le matériau de base puisqu’ils réfèrent au cadrage des bandes dessinées d’alors (le plus souvent frontal et latéral à l’action), à la taille immuable des cases (une par page) et au point de vue forcément fixé de chaque case.

Le parti pris le plus original du film, qu’à notre connaissance nous ne trouvons nulle part ailleurs dans le cinéma, est de faire démarrer et terminer chaque séquence par un plan figé de quelques secondes où les acteurs restent immobiles avant de démarrer ou de conclure l’action. Ce choix, qui souligne ainsi délibérément son artificialité, indique clairement au spectateur que chaque séquence est censée figurer une case de BD.

S’il nous fallait chercher des descendants à SEX IN THE COMICS, nous évoquerions deux pistes.

D’une part, pour le cinéma classique, la version de Warren Beatty de DICK TRACY (1990) qui cherchait à transcrire un univers visuel et une grammaire narrative des années trente. Et pour l’anecdote, SEX IN THE COMICS adapte d’ailleurs une séquence durant un « 8 pagers » parodiant justement Dick Tracy, dont le prénom du héros offrait décidemment… le bâton pour se faire prendre.

Et d’autre part, pour le cinéma pornographique, à l’œuvre de Steven Sayadan – CAFE FLESH ou NIGHT DREAMS – pour la bizarrerie qui résulte de cette approche non vériste.

Pour ce qui concerne le volet purement pornographique, SEX IN THE COMICS reste classique dans ses pratiques – et transcrit en cela une fois encore le matériau dessiné – : des fellations, des cuni et des pénétrations classiques (parfois par gode), mais sans éjaculations visibles à l’écran.

Mais ce qui fascine surtout, c’est le nombre d’actes filmés. L’économie de production pornographique a vite dérivé vers un défraiement des acteurs non pas au film ou même à la journée, mais bien à l’acte sexuel, réduisant chaque long métrage à une quantité vite standardisée de scènes.

Rien de tout ça dans SEX IN THE COMICS qui enchaine un nombre très élevé des séquences X (sans doute une vingtaine, nous n’avons pas compté) qui du coup – et c’est aussi une différence fondamentale par rapport à la pratique du X – ne sont pas menées à terme : on ne voit que quelques secondes de chaque acte. A nouveau, la séquence évoque la case de BD, laquelle réduit tout l’acte à une case unique.
Sur la longueur, SEX IN THE COMICS peut cependant lasser, par répétition des mêmes figures, acteurs ou décors. Difficile de tenir un long métrage durant (87’ minutes) quand le matériau de base est constitué d’une série de BD de huit pages qui empruntent toutes le même modèle.

En termes de narration, les différentes séquences adaptant des BD ne sont en outre pas vraiment reliées entre elles et fonctionnent de manière autonome. De nos jours chacune d’elles ferait l’objet d’une vignette sur Youporn. Mais l’ensemble est traversé par la pseudo interview d’un auteur qui nous fait un historique de ces BD. Un exercice que la production de l’époque a sans doute jugé nécessaire pour que le public comprenne le parti pris esthétique : au début des années ’70, les Tijuana Bibles ont déjà disparu de longue date.

S’il est pornographique, SEX IN THE COMICS a également clairement une vocation comique. Il faudra un jour qu’une étude approfondie lie sexualité et comédie, tant le mélange des genres a été tenté, surtout aux premiers temps de la pornographie (et si pas délaissé depuis, du moins relégué à la portion congrue de la production), comme s’il avait fallu l’alibi du rire pour dédramatiser un sujet qui posait encore problème au spectateur.

On ne sait si le spectateur de l’époque a trouvé le spectacle excitant. Vu en 2018, il titille moins l’entrejambe qu’il ne stupéfie le regard, tant cette production se révèle unique.

SEX IN THE COMICS a été projeté lors de l’édition 2018 du festival Offscreen, en clôture d’une soirée « adult animation » qui comptait aussi FRITZ THE CAT, HEAVY TRAFIC (tous deux de Ralph Bakshi) et CHEAP (aka DIRTY DUCK).


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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