She

Un texte signé Philippe Delvaux

Chine - 2018 - Zhou Shengwei
Interprètes : Lyu Fuyang, Liu Sai, Chio Hoiian, Zhou Shengwei

Dans le monde dominé par les chaussures masculines, les talons hauts féminins ont interdiction de travailler. Les chaussures nouvellement nées sont destinées à être transformées en mâles afin de pouvoir travailler dans une usine.

Après quelques courts-métrages remarqués (METAMORPHOSIS, A SIMPLE BREAKFAST, FOREST DREAMING), fortement teinté de dérision et d’absurde, le jeune Zhou Shengwei a mis six ans pour finir SHE, composé de plus de 58 000 photos et de 250 personnages, avec une équipe réduite et en toute indépendance.

Produit et filmé six ans durant, cette petite production chinoise étonne par son angle résolument auteurisant… et son allégorie politique osée.
Sa carrière semble pour l’instant limitée au circuit des festivals mais mériterait une plus grande visibilité tant l’œuvre étonne par son originalité.

Le réalisateur évoque une proximité au moins esthétique avec l’approche des frères Quay ou de Jan Svankmajer, soit les maitres dans la création d’univers composés d’objets déglingués. Pour notre part, on invoquera les mânes de deux autres grands maitres de l’animation tchèque : Jiri Trnka et Jiri Barta. LA MAIN du premier et LE MONDE DISPARU DES GANTS du second entrent en parfaite résonnance avec SHE : des films d’animation d’objets produits en culture communiste et qui ont osé la parabole politique avec un regard critique.

Bien qu’il s’en défende (mollement) en présentation, impossible de ne pas voir la parabole derrière SHE : les souliers rouges opprimés par les souliers noirs, les usines de production… il y a une allégorie assez transparence de la lutte des classes. Si on applique une grille de lecture de l’histoire chinoise du 20e siècle, on décèlera même dans les péripéties de SHE les divers moments de l’histoire chinoise : la période troublée, l’avènement du communisme, la révolution culturelle avec le retour à la terre… et son échec patent, les réformes économiques. Ce qui étonne dans cette lecture, c’est la critique sous-jacente de l’époque contemporaine : le communisme a simplement remplacé le capitalisme dans la gestion des usines, mais sans améliorer le sort des travailleurs. A l’instar du protagoniste de BRAZIL, la seule échappatoire réside dans le rêve. Triste échappatoire.
Serions-nous occupé à surinterpréter ? En tous cas, il semble que le film n’ait pas connu de problèmes avec la censure chinoise. Peut-être que la portée peu commerciale ou que la forme allégorique – traditionnel refuge du discours politique contestataire dans les régimes communistes – l’en préserve.

En tout état de cause, SHE nous lave de ces innombrables animations par ordinateur interchangeables qui monopolisent les écrans de leur humour creux. Il redonne ici ses vraies lettres de noblesse à l’art de l’animation.

L’animation est basée sur des matériaux de récupération glanés ici et là. Ce qui n’est pas anodin, dès lors qu’une partie du métrage se déroule dans une usine de production (de cigarette, figurant des munitions).

Très inventifs, SHE fourmille d’idée visuelles et narratives. Seul petit bémol, peut-être le film aurait-il gagné à resserrer sa durée d’un quart d’heure car aussi original et inventif soit-il, l’univers ne peut évoluer en cours de métrage. Mais ce n’est que broutille par rapport à la réussite générale de l’ensemble.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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