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Shocking Asia: L’Asie interdite

Réalisé en 1975, SHOCKING ASIA s’inscrit dans la lignée de ces « mondo ethnologiques » populaires durant les seventies et qui ont succèdés aux MONDO CANE originaux. L’acteur et réalisateur autrichien Ralf Olsen, dissimulé sous le pseudonyme d’Emerson Fox, prit ainsi le train du « documenteur », lequel lui fut probablement financièrement profitable puisqu’il récidiva avec les similaires JOURNEY INTO THE BEYOND, EKSTASE et, bien sûr, un inévitable SHOCKING ASIA 2 en 1985. D’autres séquelles suivirent ensuite, réalisés par d’autres.
L’Afrique ayant été largement couverte par les cinéastes « mondo » italiens (LES DERNIERS CRIS DE LA SAVANE, SHOCKING AFRICA, ADDIO ULTIMO UOMO, ADIEU AFRIQUE, etc.) l’Asie semblait une destination de choix pour planter des caméras en quête d’images croustillantes, d’autant que cette culture était mal connue au milieu des années ’70. Aujourd’hui, bien sûr, le pouvoir de fascination / répulsion engendré par SHOCKING ASIA sera largement amoindri, les reportages télévisés et Internet ayant rendus les sujets proposés souvent bien timorés.
Explorateur des rites étranges et des perversions plus ou moins inavouable, Ralf Olsen nous emmène sur le continent asiatique pour une série de vignettes à l’intérêt discutable qui alternent clichés touristiques très « carte postale », spectacles anodins, saynètes sexuelles et quelques brefs moments voulus choquants.
La première étape, à Kuala Lumpur (Malaisie), nous convie à une cérémonie religieuse basée sur l’automutilation : les participants s’infligent des souffrances dignes des fakirs et s’enfoncent des pointes acérées dans le corps. Ensuite, ils sont soulevés par des crochets ou transpercés par d’impressionnantes aiguilles. Un spectacle surprenant et écoeurant non dénué d’une étrange fascination. Puis, les cinéastes se rendent au Japon pour faire leurs emplettes sur un marché qui vend la nourriture encore vivante, par exemple des serpents dégustés pour leurs supposées propriétés aphrodisiaques. Ingrédient indispensable à tout mondo qui se respecte, la cruauté envers les animaux est présente de manière répulsive avec une poignée de bestioles (python, chauve-souris, reptile) tués devant la caméra. Les cobras ont la vedette du segment suivant, situé en Inde, puisque les charmeurs de serpents accomplissent leurs tours et nous convient au « festival annuel du serpent ». Apparemment, cette profession enviée en Indes permet d’échapper à la pauvreté et de s’élever dans la hiérarchie sociale. Car, nous rappelle le cinéaste, la misère règne sur le continent asiatique où se trouve de nombreux indigents, lépreux et handicapés. Autre exemple du manque de moyens des populations : le bois y est rare, donc cher, et les cadavres sont donc seulement partiellement incinérés. De nombreux corps décomposés et brulés se retrouvent, par conséquent, dans les eaux du Gange et livrés aux charognards. Un moment peu ragoutant mais, encore une fois, les journaux télévisés nous ont habitués à pire.
SHOCKING ASIA poursuit sa route et s’intéresse à diverses cérémonies religieuses exotiques (comme s’asperger d’huile bouillante pour satisfaire une quelconque divinité) ou aux prostituées du quartier rouge de Singapour, lesquelles, timides, ne montrent pas grand-chose. Nous apprenons par la suite que les « filles » de Madame Nooma n’en sont pas vraiment…oui ce sont des transsexuels, ce qui permet au cinéaste de caser l’inévitable opération de changement de sexe. Un autre incontournable du mondo, d’une durée de vingt minutes, expurgée de la plupart des versions disponibles du film. Les estomacs délicats ne s’en plaindront pas. Les dernières séquences sont heureusement plus légères, entre des combats de catch féminin, exécutés par des athlètes nettement moins sexy que les divas de la WWE, et d’autres matchs où s’affrontent des nains, le spectateur quitte SHOCKING ASIA avec le sourire et sans avoir rendu son repas. Pour un mondo, ce n’est déjà pas si mal. La fascination asiatique pour le nazisme est cependant évoquée avec une théâtralisation saugrenue des camps et des massacres accomplis durant la Seconde Guerre Mondiale. Etrange.
A l’exception de l’opération de changement de sexe, de quelques tueries d’animaux et de rapides images de cadavres décomposés flottant sur le Gange, SHOCKING ASIA se montre étonnamment timoré. L’ensemble, dépassé, s’apparente à une suite de reportages, à la manière des émissions de télévision sensationnalistes, commentés de façon mécanique. La narration, en effet, alterne considérations sociologiques, déclarations risibles, traficotages et commentaires offusqués et moralisateurs. Comme dans tous les mondo, la seule vision possible reste occidentale et le cinéaste dédaigne les rituels accomplis dans le monde asiatique, forcément sous-développé et ignorant. Rien de bien neuf.
Ni particulièrement choquant ni vraiment surprenant, SHOCKING ASIA se constitue d’une suite de vignettes à l’intérêt limité. Aujourd’hui, ce long-métrage risque surtout d’ennuyer le spectateur quoiqu’une certaine fascination puisse subsister. Comme la plupart des mondo, SHOCKING ASIA ne possède qu’un intérêt limité et sera réservé aux historiens du cinéma déviant et aux inconditionnels de l’exploitation des seventies. Les autres s’abstiendront.

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