Shuffle

Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 2011 - Kurt Kuenne
Interprètes : T.J. Thyne, Paula Rhodes, Chris Stone, Meeghan Holaway

Narcoleptique, Lovell Milo se réveille chaque jour à un âge radicalement différent, avec, forcément, des souvenirs pour le moins confus. Petit à petit, il réalise que quelqu’un est en danger et que la clé pour le sauver se trouve dans ces divers moments.

L’inexorable passage du temps et la finitude humaine sont au cœur de nombreux films et souvent de grandes œuvres à la portée philosophique évidente. La rébellion de l’Homme contre sa condition et la tentative de trouver d’autres possibles nourrissent également le cinéma, souvent de genre d’ailleurs. Les spéculations du type « what if… » ou les retours temporels pour changer le cours du passé, ou du moins le tenter, sont des classiques, qu’il s’agisse des nombreuses œuvres relevant de l’uchronie ou bien des RETOUR VERS LE FUTUR.

Les regrets, les rancœurs, les échecs, les choix manqués, les erreurs de parcours génèrent autant de blessures que chacun cherche à panser d’une manière ou d’une autre.

C’est ce que Kurt Kuenne propose dans ce SHUFFLE qui voit donc Milo (re)vivre plusieurs étapes de sa vie : vieillard agonisant de 92 ans, adulte qui continue à souffrir la perte de l’aimée et abandonne sa nouvelle compagne alors enceinte, jeune homme plein d’avenir et enfin enfant, à l’orée des grands choix de sa vie. Mais il expérimente une temporalité discontinue et mélangée : une fois jeune, puis plus vieux, puis enfant, puis adulte à nouveau… Il n’arrive pas à reconstituer le fil de sa vie, ni à comprendre le sens de ce puzzle. Pourtant, lorsqu’il est trop perdu, il se trouvera toujours quelqu’un pour lui glisser de chercher encore : une enfant, une présentatrice télé, une psy…

Lovell Milo devra donc chercher à comprendre sa vie, entre son amie, compagne puis épouse Grace, son père aigri ou encore la mère de son fils Kevin.

La vie est un bordel. Elle ne suit pas une ligne bien nette dont il serait aisé de déceler à l’avance le parcours. Elle nous réserve des surprises, parfois douloureuses. Mais en dépit de celles-ci, elle est tout ce que nous avons. Et les mésaventures que ses méandres peuvent nous réserver ne doivent donc pas nous faire lâcher prise. SHUFFLE est un manifeste pour nous réconcilier avec nous-mêmes.

Et Kurt Kuenne y réussit fort bien. Son scénario, bien charpenté, suscite notre curiosité et nous amène là où le voulait son auteur. Les acteurs sont crédibles et leurs personnages bien dessinés et suffisamment typés pour qu’on s’y attache. Leurs interactions sonnent justes. La mise en scène est fluide et dynamique, sans temps mort. A peine relève-t-on une scorie arty du ciné indépendant américain : le choix du noir et blanc, qui relève plus d’une posture que d’une réelle pertinence thématique ou esthétique.

Attention, lecteur de Sueurs Froides, SHUFFLE, emprunte les voies du mélo et dégouline par moment de guimauve. Cependant, celle-ci est goûteuse et n’obère rien de la qualité de l’ensemble. Kurt Kuenne y mélange suffisamment d’ingrédients : drame familial et psychologique, comédie et romance, suspense…

On ne s’ennuie pas une seconde, ni, chose rare lorsque des éléments de comédie romantiques s’invitent, ne devine à l’avance la solution de l’énigme. On se laisse au contraire porter par les pérégrinations temporelles du malheureux Lovell.

SHUFFLE renvoie à toute un ensemble de films, tous plus recommandables les uns que les autres : à la vie mélangée de Lovell répond celles à rebours de Benjamin Button (L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON, David Fincher, 2008) ou mieux encore de Dominic Mattei (L’HOMME SANS AGE / YOUTH WITHOUT YOUTH, Francis, Ford Coppola, 2007). Pour ces personnages aux souvenirs troublés, à la recherche d’eux-mêmes, on citera pêle-mêle MEMENTO et les films de Duncan Jones (MOON, 2009 et SOURCE CODE, 2011). Le métrage de Kurt Kuenne n’est pas non plus sans évoquer LA VIE EST BELLE (Franck Capra, 1946) et LA QUATRIÈME DIMENSION. Mais on n’oubliera pas de référer à un des plus grands réalisateurs de ces dernières années, Jaco Van Dormael, tant pour TOTO LE HEROS (1991) que pour son extraordinaire MR NOBODY (2009)

Plusieurs de ces films évoquent la question du choix. Si MR NOBODY parle de réconciliation, tout comme TOTO LE HEROS qui partait pourtant de la vengeance, UN JOUR SANS FIN (GROUNDHOG DAY, Harold Ramis, 1993) traite plutôt de la rédemption. En complément, notre SHUFFLE creusera la volonté de résilience.

SHUFFLE a été présenté à l’édition du trentième anniversaire du Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF) où il a obtenu une mention.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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