Shutter

Un texte signé Angélique Boloré

Thaïlande - 2004 - Banjong Pisanthanakun, Parkpoom Wongpoom
Interprètes : Ananda Everingham, Natthaweeranuch Thongmee, Achita Sikamana, Unnop Chanpaibool

A la nuit tombée, un couple d’étudiants en photographie rentre d’une soirée entre amis. Sur la route, il renverse une femme. Tun, affolé, refuse de rester et oblige sa compagne, Jane, à prendre la fuite.

Dès le lendemain, leur culpabilité, en particulier celle de Jane, est immense. Cependant, aucun journal ne relate ce fait divers, aucun hôpital n’a recueilli de jeune femme renversée. Peut-être n’a-t-elle pas été blessée et peut-être que seul leur sentiment de culpabilité leur inspire ces cauchemars la concernant. Oui, peut-être.

Les cauchemars se font plus pressants, plus présents, plus tangibles. Nos deux amoureux, la peur au ventre, subissent la vision de la jeune femme de manière constante. Face à un Tun relativement passif, Jane veut trouver une réponse. Le fantôme de la victime veut-elle les hanter pour l’avoir abandonnée ? Qui était-elle ?

Leur outil d’étude, la photographie, permet à Jane de mener son enquête. En effet, leurs photos font apparaître un visage blafard, des stries blanchâtres. En comparant les photos, Jane découvre que les griffures blanches indiquent le laboratoire de biologie de l’université. Sur place, elle capture l’image du fantôme grâce à son polaroïd et découvre que c’était une étudiante nommé Natre. Comble de la surprise, Tun la connaissait ! Forte de ses découvertes, elle exige des explications de la part de son compagnon. Il lui raconte alors une histoire d’amour moyennement partagée et qui a plongé Natre dans le désespoir quand il l’a quittée. L’explication est plausible mais alors pourquoi le fantôme de Natre est-il si vindicatif ? Ils décident d’aller chez elle et rencontrent sa mère, femme charmante et un peu étrange. Oui Natre est là, oui elle sera ravie de cette visite inattendue, oui elle va aller la prévenir.

Ce résumé met l’eau à la bouche, est alléchant, c’est normal et révélateur. L’intrigue présente des personnages intéressants, pose des questions, propose des pistes et finalement mène le spectateur par le bout du nez alors qu’il se perd dans ses supputations et impressions.
SHUTTER surfe sur la vague du phénomène RING. Le fantôme est effrayant, a les cheveux longs et sort des lavabos. Le début pouvait laisser sceptique. On craint une reprise sans âme ni talent. Et pourtant, bien vite, le film prend une identité propre et parfaitement maîtrisée.
Tout d’abord, les personnages. Tun est le plus intéressant, le plus complexe d’entre eux. Sa personnalité se dessine à petites touches à toutes les scènes mais certaines sont plus significatives que d’autres. Après le délit de fuite, on l’imagine affolé et certainement un peu trop jeune pour endosser pleinement ses responsabilités. Après la révélation de son histoire amoureuse mal assumée, on le juge faible et influençable. Cependant, on lui pardonne, ce type de lâcheté, c’est commun à chacun. Mais il n’a pas fini de nous surprendre. Jane nous étonne également. Son comportement, simple et sain, est d’une grande crédibilité. Le dernier grand personnage, Natre, est touchant. On la devine, on la découvre par touches subtiles et légères. Et pourtant, elle est inquiétante. Elle met le spectateur, qui lui est pourtant complètement acquis, très mal à l’aise.
Les protagonistes sont donc complexes, maîtrisés et d’un très grand intérêt.

L’histoire, elle aussi, est racontée de main de maître. L’utilisation de l’élément photographique est excellente. Les photos ne sont pas qu’un prétexte horrifique servant à montrer le fantôme. Elles ont un rôle à part entière. Elles présentent le fantôme, lui donnent une consistance. Elles narrent les évènements comme le ferait une voix-off. La photographie, les photographies, sont un personnage autonome et majeur de l’histoire. On peut d’ailleurs considérer qu’elles sont le quatrième protagoniste de ce drame. En outre, les réalisateurs ont su en exploiter toutes les possibilités narratives et horrifiques. C’est à travers elles qu’est plantée l’intrigue, qu’est racontée l’histoire, qu’est révélé le/les dénouements. Et quelle intrigue, quel scénario, quels dénouements !

La terreur est également parfaitement rendue. Evidemment, les procédés sont connus mais, ils sont magistralement utilisés. On sursaute, on appréhende les scènes, on est angoissé mais on adore. La fin est grandiose, terrifiante tant visuellement qu’intellectuellement. En bref, il s’agit là d’un magnifique produit de terreur pure.

Pour conclure, SHUTTER est un excellent film, intelligent, qui distille ses indices avec justesse. Une deuxième vision n’est absolument pas à exclure tant le visuel de second plan et les non-dits sont exploités. Il est parfaitement à la hauteur de son ambition et de nos attentes.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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