Si j’avais 1000 ans

Un texte signé Claire Annovazzi

France - 1983 - Monique Enckell
Interprètes : Daniel Olbrychski, Marie Dubois, Jean Bouise, Dominique Pinon

Guillaume, jeune immigré irlandais, coule des jours paisibles sur une petite île bretonne, entre la ferme, sa compagne et la famille de celle-ci. Pourtant, un jour d’octobre, sur la plage, il découvre un curieux tonneau qu’il décide de briser. Le tonnerre éclate alors, faisant fuir Guillaume.
Mais le soir, alors qu’il rejoint sa belle, il aperçoit de mystérieux chevaliers. Les jours suivants, ces rencontres vont se multiplier tandis que Guillaume enquête sur une étrange jeune femme vêtue de blanc. Quel est le secret qui hante cette île ?

La Bretagne n’est pas seulement la région française où il fait le plus mauvais temps même en été et où il n’y a pas d’électricité l’hiver – bonjour les lieux communs et les stéréotypes.
C’est avant tout un lieu magique, un des derniers en France, berceau des légendes arthuriennes et terre de naissance de Merlin. Entre les dolmens sur les plages et la mythique forêt de Brocéliande, les amateurs de fantastique ne peuvent qu’apprécier l’endroit.
C’est là que Monique Enckell a choisi de poser sa caméra pour SI J’AVAIS 1000 ANS, souhaitant profiter de l’ambiance irréelle de la région pour y raconter à sa manière une légende celte.

En plus de proposer une atmosphère de mystère indispensable à un sujet fantastique, cette terre de Bretagne lui permet également de faire un film d’une rare poésie.

Dès le titre, la réalisatrice-scénariste – Monique Enckell avait gagné le Prix du scénario au défunt festival d’Avoriaz en 1981 pour cette histoire – nous met au parfum. Tiré d’une ligne de dialogue déclamée par le personnage du vieux bonhomme qui semble tout connaître de l’île et de ses secrets, il fait sans aucun doute référence au premier vers du poème de Charles Beaudelaire, Spleen. Un poème qui parle de solitude, de langueur et, surtout, de souvenirs. De mémoire.
C’est là le lien de tout le film : la mémoire des événements passés qui rongent le coeur de certains – comme le drame du personnage de Jean Bouise, colporteur désabusé qui revient sur les lieux de ses malheurs pour mieux leur dire adieu – ou des contes que l’on se plaît à transmettre de générations en générations. Sur la terre si pauvre et déserte que Monique Enckell nous présente, il n’y a rien d’autre que des souvenirs. La vie se vit au passé – sauf pour Patrick, interprété par Dominique Pinon, qui n’a qu’une envie : quitter l’île au guidon de sa nouvelle moto, et pour la jeune infirmière du village, toute pimpante dans sa 2CV. Mais c’est pour mieux nous montrer le contraste. Ici, les gens vivent coupés de tout, dans une misère qui semble impossible de nos jours, avec pour seuls compagnons les fantômes du passé.
C’est sûrement pour cela que les vieilles légendes viennent hanter ces habitants. Bien que le paysage du cimetière revienne souvent, on sent bien que les morts, ici, ne veulent pas qu’on les oublie.

Cette étrange poésie du spleen, Monique Enckell la diffuse également dans ses images, qu’elle a vraiment soignées. Ses intérieurs, éclairés à la lumière des bougies ou des lampes à huile, mais sans les procédés techniques de Kubrick sur BARRY LYNDON, sont souvent sombres et fades, appuyant un peu plus sur la morosité de la vie de ces petites gens.
Mais la réalisatrice fait particulièrement attention quand elle filme les extérieurs. Les plans de la lande couverte de brume ou de la mer grise sur fond de ciel tout aussi gris, ponctuée de lourds rochers noirs sur lesquels se brisent les vagues, sont magnifiques. Il fait toujours sombre, on ne sait jamais si c’est le matin ou le soir.
La scène qui révèle le mieux cette poésie de l’image est celle où l’on voit la jeune femme mystérieuse vêtue de blanc, pieds nus sur le sable triste et gris, marchant droit à travers les flaques d’eau salée vers son destin qui ne se veut pas réjouissant mais qu’elle semble accepter avec détermination. La lenteur de la caméra qui la suit jusqu’à sa destination ajoute à cette mélancolie, ainsi que la musique envoûtante d’Alan Stivell. Les mots de la légende contée en breton sont un ingrédient supplémentaire qui renforce encore l’aspect fantastico-poétique de cette scène.

Enfin la poésie se joue dans les dialogues. La plupart des conversations sont triviales et ne servent qu’à mettre en lumière le quotidien monotone des personnages. Mais certaines sont tellement cryptiques qu’il devient difficile parfois de comprendre ce qui se passe, alors que seuls les mots seraient capables d’expliquer les événements étranges qui se déroulent sur l’île.
Car pas plus les images que le titre ne parviennent à les élucider. On se demande même s’il n’y a pas quelques incohérences dans le scénario tant le mystère semble s’épaissir à chaque nouvelle révélation. On ressort donc du visionnage de ce film avec plus de questions qu’avant. C’est certainement le point faible de SI J’AVAIS 1000 ANS. Il n’a pas vraiment de début, mais surtout pas de fin cathartique qui mettrait un terme à nos questionnements.

Ce premier film, longtemps invisible, accuse le coup de ses années de disparition. La non-diffusion de SI J’AVAIS 1000 ANS avait poussé sa réalisatrice-scénariste à abandonner le cinéma. On peut se dire que c’est dommage, car si on sent bien qu’elle ne sait pas toujours où elle va, Monique Enckell prouve son enthousiasme et sa bonne volonté, ce qui laissait présager d’œuvres plus abouties par la suite. Ne reste que ce film qui ressemble à une ébauche, pas vraiment bon mais pas complètement mauvais non plus, dont l’atmosphère et l’ambiance permettent de ne pas être déçu, peut-être même font naître le désir de découvrir plus avant ces paysages mystérieux de Bretagne.


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- Article rédigé par : Claire Annovazzi

- Ses films préférés : Une Balle dans la Tête, Fight Club, La Grande Bouffe, Evil Dead, Mon Voisin Totoro


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