Sick : the life and death of Bob Flanagan, Supermasochist

Un texte signé Clément X. Da Gama

Etats-Unis - 1997 - Kirby Dick
Interprètes : Bob Flanagan,Sheree Rose

Bob Flanagan est né en 1952. Les médecins lui diagnostiquent très tôt une mucoviscidose, une maladie incurable où le corps produit à l’excès des mucosités dans les poumons. Les personnes qui en souffrent décèdent généralement vers les 20 ans. Flanagan meurt à l’âge de 43 ans, après une carrière artistique totale placée sous le signe du sadomasochisme.

SICK est un documentaire sorti en 1997 et prenant pour sujet principal la vie et l’œuvre de Flanagan. Réalisé par Kirby Dick (quel drôle de nom !), à qui l’on doit notamment le passionnant I AM NOT A FREAK sur le quotidien d’êtres humains frappés de maladies génétiques (syndrome de Protée, progéria, etc.), SICK a remporté un grand succès lors de sa présentation au festival de Sundance où il sera récompensé par le Prix Spécial du Jury. Ce succès n’est pas volé, tant SICK est un documentaire intense, à lectures multiples. Un foisonnement qui se ressent très tôt par la diversité des dispositifs d’énonciation.

Le film est constitué d’interviews de Flanagan, de sa famille, de sa compagne Sheree mais aussi d’images d’archives de son enfance, de diverses performances qu’il donna dans les années 1980/1990, de courts métrages qu’il réalisa lui-même, et de bandes audio dépourvues d’image. SICK ne prétend à aucun moment être un documentaire esthétiquement homogène : on passe d’une image granuleuse 8 mm à une interview tournée au caméscope et aux couleurs saturées. Si cette hétérogénéité formelle peut fatiguer les spectateurs habitués à des documentaires conventionnels, elle participe organiquement de la compréhension de Flanagan. SICK est en premier lieu un documentaire patchwork, une sorte de créature de Frankenstein en phase avec son sujet principal.

Bob Flanagan est un homme d’apparence normale : un peu maigre, il a les cheveux courts, présente bien, et a un humour irrésistible. Mais les apparences sont triplement trompeuses. Atteint de mucoviscidose, Flanagan est un mort en sursis ; il est également un masochiste extrême qui aime à être entravé, ligoté, fouetté, suspendu, percé (entre autres joyeusetés) ; enfin, il est un artiste/performer, exposé jusque dans les galeries de New York. Ces trois aspects de l’identité de Flanagan (la maladie, le masochisme, l’art) ne vont pas s’exclure mais s’imbriquer, se nourrir les uns les autres.

Dès les premières minutes du film, Flanagan nous montre l’une de ses œuvres, « Visible Man ». Une sculpture d’environ 30 cm symbolisant l’artiste, et de laquelle s’écoule constamment un flot de sperme, de glaire et de merde. Flanagan y exemplifie combien son corps malade échappe à son contrôle par l’expulsion ininterrompue de fluides. Une autre œuvre, « The Scaffold », est composée de plusieurs écrans de télévision représentants une partie spécifique du corps de Flanagan (ses mains, ses pieds, son torse, son visage) tandis qu’il subit divers sévices infligés par sa compagne, Sheree. Enfin, dans « Video Coffin », un écran de télévision diffusant le visage de Flanagan est installé dans un cercueil, surmonté d’une pancarte où l’on peut lire « J’étais voué à une mort prématurée, mais je suis toujours là, quarante ans après, et j’attends… ». La maladie, le masochisme et la mort constituent le cœur thématique de l’œuvre de Flanagan, tandis que son corps en est la matière première et exclusive. Si l’on peut reprocher à l’artiste un nombrilisme/exhibitionnisme certain, doublé d’un relatif manque d’originalité (on pense notamment aux travaux de l’artiste vidéo Nam June Paik), ses créations sont toujours touchantes et troublantes car Flanagan s’y engage totalement, en chair et en esprit.

La mucoviscidose et le ressenti des malades sont également déterminants dans SICK. Comment vivre en sachant que notre mort est littéralement programmée ? Comment se comporter vis-à-vis de son corps lorsque ce dernier nous tue à petit feu ? Comment supporter le regard condescendant des autres ? Ces questions terribles sont abordées frontalement par Kirby Dick, et Flanagan y apporte des réponses toutes personnelles. Plutôt que de se cacher, il se montre, s’expose à la vue de tous ; plutôt que de se morfondre sur ce corps incontrôlable, il le soumet à d’innombrables souffrances pour mieux se l’approprier.

Les performances de Flanagan et son masochisme fonctionnent presque comme des thérapies, lui permettant de disposer de son enveloppe charnelle comme il l’entend, et non comme la providence le réclame. Ce doigt d’honneur (masochiste) adressé à Dieu, et à sa maladie, semble en outre avoir des valeurs curatives ! En effet, on ne peut s’empêcher d’établir un lien entre les pratiques SM de Flanagan et sa longue (et inexplicable) survie à la mucoviscidose. De là à préconiser aux malades des menottes et des cravaches plutôt que des inhalateurs, il n’y a qu’un pas…

SICK doit aussi être envisagé comme un film sur le sadomasochisme. Diverses pratiques sont représentées, de la suspension à l’étranglement en passant par la torture sexuelle. C’est peut-être dans ces séquences que le film déplaira le plus. Les scènes de SM sont difficiles à regarder, et Kirby Dick se laisse aller à un voyeurisme malheureux, comme lorsqu’on observe Flanagan se planter un clou dans le pénis, avant de le retirer pour mieux souiller l’œil de la caméra de son sang. Le caractère visuel, spectaculaire et choquant du sadomasochisme n’est absolument pas éludé, mais le cinéaste n’oublie jamais de rendre humain et légitime ce penchant pour la douleur. Au travers d’interviews de Flanagan, de sa famille et de sa compagne Sheree, les raisons pouvant amener un individu au SM sont exposées. La maladie et le besoin de contrôler son corps ; une inclinaison à rechercher des sensations extrêmes et à s’y abandonner ; mais aussi et surtout, l’amour entre deux personnes.

La relation de Flanagan et de Sheree tient une place de choix dans SICK. Et pour cause : peu de temps après s’être rencontrés, Flanagan signe un pacte avec Sheree et lui promet de lui appartenir, d’être son esclave. Elle deviendra alors la masochiste/dominatrice du couple, infligeant à Flanagan (pour son plus grand plaisir) des gifles, des coups de fouet, jusqu’à graver au couteau, dans la chair de son homme, ses propres initiales. Sheree fut donc le catalyseur et la partenaire de Flanagan dans son exploration du SM et dans sa création artistique. Mais surtout, ce que SICK expose indirectement, c’est une théorie de l’amour. Si la relation SM de Flanagan et de Sheree peut paraître anormale ou pathologique, elle met en lumière le don de soi, l’abandon à l’autre qui fonde le sentiment amoureux. En ce sens, SICK explicite avec bien plus de brio que les comédies sentimentales bon marché ce qu’est l’amour véritable : une émulation constante entre deux êtres, une complémentarité paroxystique où l’on appartient à l’autre sans retenue, corps et âme.

SICK est un documentaire intense, critiquable par son esthétique patchwork et ses excès visuels, mais qui offre aux spectateurs une multitude de lectures. Évidemment réservé à un public averti (ou curieux des joies du SM), SICK est un film très humain qui nous parle de la maladie, de la souffrance, de l’amour et finalement de la mort. Dans un message d’outre-tombe qui vient conclure le documentaire, le facétieux Flanagan se joue de son décès à venir, en chantant une comptine de son cru : « C’est drôle d’être mort, drôle d’être mort ! ». Si seulement c’était vrai…


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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