Silent Running

Un texte signé Stéphane Bex

Etats-Unis - 1972 - Douglas Trumbull
Interprètes : Bruce Dern, Cliff Potts, Ron Rifkin

Un vaisseau glisse dans l’espace avec à son bord quatre hommes et trois drones chargés de convoyer les derniers restes d’une nature terrestre disparue. Quand, contre toute attente est annoncé à l’équipe qu’elle doit se débarrasser de son chargement, Lowell Freeman, seul véritable gardien de cet écomusée, décide d’éliminer le reste de l’équipage pour sauvegarder la forêt.
SILENT RUNNING, chef d’oeuvre de la science-fiction des années 70 se présente a priori comme une fable écologique qui répond à 2001, la fable théologique de Kubrick sortie quatre ans plus tôt. Déjà responsable des effets spéciaux sur l’oeuvre de Kubrick – notamment des animations psychédéliques pour le voyage à travers la porte des étoiles – le réalisateur de SILENT RUNNING, Douglas Trumbull, ne se contente pas de réutiliser des effets déjà employés ou seulement développés pour 2001, mais les réoriente vers une lecture du cinéma de science-fiction, laquelle se rapproche de Kubrick tout en s’en démarquant nettement. En effet, là où le réalisateur de 2001 privilégie la forme épique en dialectisant un ensemble d’oppositions et de conflits (soit les rapports entre l’animal, l’homme, la machine et Dieu), Trumbull s’inscrit dans une veine lyrique en plaçant son nouveau Robinson au sein d’une nature dont il est le responsable. Mais si la fable édénique fournit un arrière-plan implicite, Trumbull n’en tire aucun argument en faveur d’une quelconque transcendance. Pas de Dieu au sein de cet espace caractérisé par un silence que brise seulement les appels lancés ironiquement à l’adresse du vaisseau de Freeman et lui promettant un secours qu’il ne désire plus.
Seul un corps enterré au sein de la forêt (un des compagnons de voyage éliminé par Freeman) vient suggérer un rappel mythique : avec Romulus et Rémus ou Abel et Caïn, le monde humain prend sa source et ses racines dans l’écoulement d’un sang originel. D’une façon très juste, Trumbull conjoint alors la vision objective d’une forêt qui se meurt et les visions mnésiques qui assaillent Freeman, ramenant à son esprit l’image des compagnons disparus. Monde extérieur et monde intérieur se fondent alors l’un dans l’autre sans le besoin d’un recours à la fable eschatologique de 2001 et la fiction d’un enfant des étoiles. Paradoxalement, c’est cet intimisme même, à l’opposé de la froideur spectaculaire d’un Kubrick, qui fait tout l’intérêt de SILENT RUNNING. En revendiquant pleinement sa dimension de drame psychologique, l’oeuvre de Trumbull gagne en humanité : Freeman, incarné magnifiquement par Bruce Dern qui fait osciller le personnage entre une enfance sur le point de perdre sa naïveté et la figure prophétique d’un idéalisme traité avec ironie, n’est plus l’image abstraite d’une humanité à la recherche de son sens et dont les événements ont fait une « flèche » tendue vers un but unique comme le David de 2001, mais un être de chair et de sang, développant une relation empathique tant avec la Nature qu’avec les drones qui l’assistent dans sa tâche.
Ce lyrisme intimiste n’est pas alors sans faire songer à l’EXCALIBUR de Boorman (1981) et plus particulièrement à travers le personnage de Lancelot interrogeant les raisons d’une terre « gaste », comme Freeman se demande ce qui « tue » la forêt. Mais l’imagerie religieuse n’a pas cours chez Trumbull qui se tient à l’orée du miracle tout en refusant ce dernier. Ce dernier aura eu ainsi dans le film deux occurrences manquées : la première, ironique, se déroule lors du « sauvetage » de Freeman qui a tout fait pour s’échapper ; la seconde, avec l’image finale, du film, chromo artificiel et touchant lancé comme une bouteille dans l’immensité de l’espace et pour une destination incertaine.
On trouve ainsi plusieurs films à l’intérieur de SILENT RUNNING, ce qui en révèle la profondeur et la complexité : il y aurait celui du poème élégiaque porté par la voix vibrante de John Baez et dont le coeur est représenté par une course hallucinée dans une forêt verdoyante ; celui de la robinsonade spatiale qui anticipe le SOLARIS de Tarkovski et Soderbergh, ou encore le MOON de Duncan Jones qui s’y réfère explicitement; celui de la fable technologique qui renverse le rapport entre les coulisses et la scène en faisant du héros un artisan – et un double du réalisateur, spécialiste des effets spéciaux – faisant vivre des machines qui lui permettent de vivre et de se livrer à ses visions ; celui du film à message, peut-être l’aspect le plus touchant mais aussi le plus vieilli de l’oeuvre, que l’on pourrait ramener à l’affiche ornant le dessus de la couchette du héros et rappelant les principes d’une saine écologie ; et enfin le traité d’une métaphysique désabusée qui montre combien l’homme organise dans le même temps sa disparition et son héritage technologique pour faire vivre et entretenir un monde naturel dont il est pourtant le seul témoin viable.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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