Sin nombre

Un texte signé Alexandre Thevenot

Etats-Unis, Mexique - 2009 - Cary Fukunaga
Interprètes : Paulina Gaitán, Edgar Flores, Kristyan Ferrer...

Sayra, son père et son oncle embarquent clandestinement dans un train avec des centaines d’autres émigrants pour monter au États-Unis. L’espoir et la crainte rythment leur quotidien. Alors qu’ils parcourent le Mexique, ils se font agresser par trois membres (El Solo, El Casper et El Smiley) d’un redoutable gang mexicain. Seulement, au moment où Sayra est aux prises avec le chef des agresseurs, El Casper se révolte. Il vient de perdre sa fiancée au prix d’un mensonge que le gang n’a pas accepté. Il tue El Solo et signe alors son arrêt de mort. S’ensuit donc sa rencontre avec Sayra et un voyage inattendu qui scellera leur destin.

SIN NOMBRE est une œuvre particulière qui aurait très bien pu n’être qu’un simple film de genre avec guerre des gangs, vengeance personnelle, et règlements de compte spectaculaires à la clé. Seulement, dès le départ, il est bien plus que cela. En choisissant deux points d’appuis (Sayra et l’émigration, Casper et le gang) le film se forge une identité qui le rapproche à la fois du documentaire et du voyage poétique.

En premier lieu, SIN NOMBRE donne à voir la pauvreté générale qui imprègne ces pays d’Amérique Centrale. Les plans larges sur les émigrants en partance qui attendent le train sont, en ce sens, assez impressionnants : entassés là où ils peuvent, par petits groupes, ils vivent de leur espoir alors même qu’ils savent leurs chances de passer très minces. Ce sont ensuite ces magnifiques séquences des familles livrées aux paysages du Mexique, sur les toits des trains, qui prennent le relais, donnant au film des allures de road-movie.
D’une autre façon, la scène où l’on visite le QG du gang est un exemple de cet aspect documentaire qui prime sur la fiction : on y voit des pièces faites de bric et de broc comme dans un bidonville. Si l’ambiance y est plus joyeuse parce que le gang fait office de fratrie, elle démontre aussi qu’en dehors d’une seconde famille telle que celle-ci, il n’y a pas vraiment moyen de s’épanouir dans la vie. Mais la vie du gang induit aussi un certain nombre de contraintes, à commencer par la destruction d’une individualité à laquelle s’oppose fortement El Casper. C’est sans compter également la description des rites, la hiérarchie et le code de l’honneur, qui sont présentés à la fois pour leur coté rassurant (l’homme se donne une importance dans un système connexe) et leur coté destructeur (l’homme doit endurer et se soumettre).
Tout ceci donne un ton au film et l’empêche de sombrer dans une fiction trop éloignée de la réalité. Si quelques éléments paraissent surfaits, comme l’implication du petit El Smiley dans le gang pour dénoncer l’imbrication des hommes dès leur plus jeune âge, le film reste étonnamment brillant en n’adoptant jamais un ton moralisateur, ni de partis pris qui auraient décrédibilisé l’essentiel du film, à savoir le thème de l’errance et la rencontre des deux personnages principaux.

En évitant soigneusement l’aspect du film de genre, à quelques exceptions près comme une scène de fusillade qui vient ponctuer le métrage, SIN NOMBRE prend le temps de bien développer ses deux personnages principaux aux trajectoires pourtant divergentes. Chacun trouve en l’autre la raison d’un futur. En quittant le train pour suivre Casper, Sayra évite la police et le danger. En prenant en charge Sayra, d’abord à son insu, Casper se donne un but : au mieux se sauver avec elle, au pire la sauver elle. C’est en croisant ainsi leur propre histoire que le film acquiert un ton mélancolique, qui le place dans l’entre-deux d’un passé que l’on fuit et d’un avenir que l’on espère. Le Casper mutique du début qui semble littéralement encaisser le poids d’un acte qu’il doit nécessairement accepter est peut-être le moment le plus fort du film où tous sont retenus par le fil de la vie et de ce qui se passera ensuite. L’amour qui naît progressivement entre eux est loin des clichés et se manifeste d’abord par une entente mutuelle et silencieuse, puis par l’attention que chacun porte à l’autre, créant en chacun d’eux une importance à laquelle ils ne semblaient plus croire.

En conclusion, SIN NOMBRE est une œuvre intéressante puisqu’en brassant des genres cinématographiques différents tels le film de gangsters, le road-movie, le film de fugitifs ou de clandestins et l’idylle amoureuse, elle parvient à imposer un récit tout en finesse là où de gros clichés auraient pu être attendus. Loin, très loin bien sûr, de la bonne humeur hollywoodienne…


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- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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