Sins of sister Lucia

Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 1978 - Koyu Ohara
Titres alternatifs : Catholic nun Lucia : disgraced, Shûdôjo Rushia: Kegasu, Sister Lucia: Dishonor
Interprètes : Yuki Nohira, Rei Okamoto, Rumi Tama, Tamaki Katsura

Rumiko est surprise par son père yakuza en train de faire l’amour avec son jeune précepteur d’anglais. D’un tempérament rebelle, elle blesse au couteau le garde du corps de son père, qui corrigeait l’enseignant. Ne pouvant livrer sa fille à la police, le père décide néanmoins de la punir, ou du moins de la rééduquer, en la confinant dans un couvent catholique. Rebaptisée sœur Lucia, elle y découvre que l’enfermement pèse sur les nonnes et que celles-ci se délestent du poids de leur travail et de leurs prières en se livrant à des jeux saphiques. Quant à la mère supérieure, pas en reste, elle s’offre régulièrement au vieux confesseur pour la plus grande gloire du seigneur. Mais ces amusements ne lui font pas oublier qu’elle est enfermée ici, et que les sœurs cachent derrière le masque de l’hypocrisie leurs errements. La voilà rapidement en butte avec l’ensemble de la communauté et enfermée dans la chambre des punitions. L’irruption inopinée de deux évadés de la prison voisine va lui permettre de reprendre le dessus.

Ces deux évadés retissent le lien entre nunsploitation et Women in prison. Evadés, ils se retrouvent cachés, et donc coincés dans cet autre antre de confinement. Mais en l’absence de force de coercition des nonnes, les bandits auront rapidement le dessus, surtout que leur désir de violer un maximum de femmes s’accorde assez bien à celui des servantes du seigneur.

Rumiko-Lucia est une figure de révoltée : à l’encontre de son père d’abord, de ses coreligionnaires imposées ensuite. Elle n’a pas la foi et ne supporte pas l’enfermement. Son seul désir est de partir d’ici au plus vite. Elle refuse les ordres et défie en permanence les sœurs. Bref, le personnage descend tout autant de LA FEMME SCORPION que des apaches des séries de gangs féminins. On se trouve à l’opposé du spectre de caractérisation qui voit souvent la femme des pinkus comme un être uniquement destiné à être dompté ou violé.

Pour autant, SINS OF SISTER LUCIA n’atteint pas le niveau des films de rebelle dont il découle. L’interprétation reste trop basique, Yuki Nohira n’exhale pas la force d’autres actrices vénéneuses, le scénario et la caractérisation ne se déparent pas des archétypes, la mise en scène se contente d’être fonctionnelle et se limite à amener, sans trop se fatiguer, les nombreuses scènes de sexe, lesquelles manquent d’incarnation. Le final enquille les viols de manière un peu trop répétée avant de résoudre la présence des bandits par un dénouement fort rapide. Le climax, qui voit l’hystérie gagner le couvent, à l’instigation de Rumiko, découle très clairement des DIABLES de Ken Russel. A ce titre, on peut même voir dans le prénom « Lucia » un renvoi à Lucifer. Lucia croque une pomme, référence à Eve, se pare d’un masque de sorcière et débute un sabbat qui crucifie la mère supérieure avec l’aide de nonnettes soudainement extatiques…

Parmi les rares tentatives visuelles, on retient le jet, à l’issue d’un catfight, de pelotes de laines par ses coreligionnaires, qui viennent emprisonner Lucia en créant autour d’elle une toile d’araignée. Il nous semble avoir croisé cette idée précédemment (serait-ce chez Norifumi Suzuki ?), on la retrouvera dans SM HUNTER en 1986, mais on peut aussi la faire remonter, sur un mode sensiblement différent cependant, au gothique italien UNE VIERGE POUR LE BOURREAU.

L’ultime séquence clôt le film sur une note assez noire, Rumiko-Lucia se retrouvant enfermée dans une autre structure, bien pire. On imagine que cette fin devait permettre de lancer une suite sur cette nouvelle piste. Cependant, le film, vu dans son édition dvd proposée par Mondo Macabro, dure 68 minutes alors que dans son ouvrage de référence « Behind the pink curtain », Jasper Sharp, qui intervient en outre dans le dvd, mentionne une durée de 78 minutes. Erreur de frappe ou version plus longue qui aurait peut-être développé le final ?

Koyu Ohara est un réalisateur maison de la Nikkatsu. Sa carrière commence avec le repositionnement érotique de la firme et s’arrête peu avant l’abandon par celle-ci des « Roman porno ». Il y aura touché à tous les genres alors en vogue, sans cependant y livrer de chefs d’œuvre, mais en variant les approches et s’aventurant parfois dans la comédie musicale, parfois dans la science fiction. Un honnête artisan.

Ici, nous le retrouvons en 1978, plongé dans le genre très codé des nunsploitations. Ces dérivés des Women in prison connaissent une explosion de popularité depuis le début de la décennie, lorsque Ken Russel livre LES DIABLES, dérivé de l’affaire des nonnes de Loudun, qui avait défrayé la chronique au 17e siècle. Le succès mondial du film de nonnes de Ken Russel entraine une déferlante de décalques, principalement italiennes, insistant sur la frustration sexuelle des couvents. Mais le Japon n’est pas en reste et livrera à son tour une série de nunsploitations. Le plus célèbre ouvre le bal dès 1974. Il s’agit bien entendu du COUVENT DE LA BETE SACRE que Norifumi Suzumi filme pour la Toei. Cette franche réussite poussera la Nikkatsu, et ses concurrents, à s’engager à son tour dans cette voie : on voit donc surgir sur les écrans de la fin des années ’70 CLOISTERED NUN : RUNA’S CONFESSION (Masaru Konuma, 1976), CATHOLIC NUN : SECRET (Kan Mukai, 1978), CATHOLIC NUN : ACHING WITH BLACK ROBES (Nobuaki Shirai, 1980), HELL ROPE CATHOLIC NUN (Mamoru Watanabe, 1981) et enfin CATHOLIC NUN ROPE HELL (Katsuhiko Fuji, 1984, d’après Oniroku Dan). Mais avant même Ken Russel, le mélange de chrétienté et d’érotisme sadique se trouvait déjà au cœur de certains épisodes de la série des FEMMES CRIMINELLES de Teruo Ishii.

Quant à Koyu Ohara, dès 1976, il enchaine RUNA’S CONFESSION : THE MEN WHO FLOCKED AROUND ME à la suite du RUNA’S CONFESSION de Masaru Konuma. Puis, après ce SINS OF SISTER LUCIA, il remettra le couvert l’année suivante avec CATHOLIC NUN : WET ROPE CONFESSION (1979). Le cinéma populaire, plus spécialement l’érotique, et plus encore l’asiatique, fonctionne sur le mode des cycles. Un succès engendre des suites et des copies. Les pinkus sont coutumiers des séries en 3, 4, 5, 6 épisodes, voire plus. Ohara avait déjà livré une trilogie de Women in Prison, les TRUE STORY OF A WOMEN CONDEMNED, en décalque de l’hexalogie de LA FEMME SCORPION, le voici maintenant réalisant un doublé nunsploitation. Par après, il livrera encore quatre épisodes des PINK HIP GIRL (1978-1982, le dernier ne faisant pas officiellement partie de la série)

Cette vague de nunsploitation ne laisse pas d’étonner, le catholicisme étant toujours resté très minoritaire au Japon. L’emphase de cette religion sur la souffrance et la contrition s’accorde cependant bien aux fantasmes SM qui ont, eux, toujours fait florès au pays du soleil levant. Ceci pourrait alors expliquer à la fois la vague nunsploitation et le fait que dans la majorité des titres qui en relèvent, la religion n’est utilisée que pour son décorum, sans qu’on ne sente jamais vraiment d’exploitation de la souffrance en relation avec la foi. Au Japon, l’habit fait le moine, c’est bien de fétichisme dont il est ici question, même si des titres comme SINS OF SISTER LUCIA ne jouent pas vraiment cette carte fétichiste.

SINS OF SISTER LUCIA offre un nunsploitation lambda, qui plaira aux amateurs du genre, mais laissera de marbre l’amateur de cinéma plus exigeant qui, pour ce genre, se tournera lui vers LE COUVENT DE LA BETE SACREE.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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