Snake Woman’s Curse

Un texte signé Marisa C. Hayes

Japon - 1968 - Nobuo Nakagawa
Titres alternatifs : Kaidan Hebi-Onna
Interprètes : Seizaburo Kawazu, Yukiko Kuwabara, Ko Nishimura, Chiaki Tsukoka...

Souvent présenté comme étant le père du cinéma d’horreur japonais, Nobuo Nakagawa, le réalisateur de JIGOKU, emploie SNAKE WOMAN’S CURSE pour tordre la queue d’un riche et cruel propriétaire terrien qui fait la loi dans un village rural peuplé de fermiers et de paysans. Chobei exploite activement la population locale au maximum, et va même jusqu’à causer la mort d’un pauvre fermier dont la terre se trouve sur le point d’être collectivisée. Plutôt que de s’excuser pour son rôle dans sa mort, Chobei force cruellement la femme et la fille du trépassé à devenir ses servantes personnelles, de façon à se payer ainsi de la dette accumulée par cette ferme. La mère et la fille endurent un terrible traitement dans leur nouvelle demeure : Asa est contrainte de travailler de longues heures dans la manufacture de textiles de Chobei tandis que Takeo, son coureur de jupons de fils, s’escrime à la soulager par la force de sa virginité. Pendant ce temps, la mère d’Asa, Sue, travaille également de longues heures et supporte les avances de Chobei lui-même. La tragédie s’ensuit un jour où la douce Sue tente de sauver un serpent trouvé dans la demeure. Alors qu’elle essaie de lui venir en aide, Chobei la pousse avec violence et la blesse sévèrement. Il tue le serpent, et peu après Sue meurt de ses blessures. Asa pleure ses parents et désire vivement son fiancé, resté au village, tout en continuant à esquiver les avances sexuelles poussées de Takeo. Ce dernier parvient finalement à piéger Asa en l’invitant à quitter le domaine pour une commission fallacieuse, puis il se cache le long du chemin déserté où il abuse d’elle. Après cela, il continue de la violer de manière régulière jusqu’à ce qu’Asa décide de mettre un terme à sa vie après avoir eu une vision de sa mère. Chobei voit cette apparition également : les parents d’Asa lui apparaissent avec régularité, pour de brefs moments, silencieux et sinistres. Après sa mort, Asa devient elle aussi une présence fantomatique dans la demeure alors que le fils de Chobei épouse la fille du Maire. La nouvelle épouse de Takeo acquiert alors des qualités la rapprochant d’un serpent tandis que des faits étranges commencent à advenir aux abords de la maison…

En contraste avec le folklore chinois, qui foisonne de légendes de serpents et de transformations féminines en reptiles (dans des classiques du cinéma tels que MADAME WHITE SNAKE, MADAME GREEN SNAKE, etc.), ce type de personnage reptilien est bien moins présent dans la culture japonaise, à l’exception des références ponctuelles au serpent en tant qu’animal du zodiaque chinois (le même qu’au Japon et dans d’autres pays asiatiques), et du récit fantastique issu du plus ancien livre japonais, le « Kojiki », concernant un démon à huit têtes de serpents nommé Orochi, que l’on peut actuellement retrouver dans la série « Naruto ». Les animaux ne sont donc pas utilisés dans SNAKE WOMAN’S CURSE pour leur signification dans le folklore local, mais plutôt pour dresser un parallèle avec les citoyens du village de Chobei, qui sont traités comme les créatures les plus viles, insultés et maltraités. Tels des serpents qui vivent dans des cavités souterraines, qui se déplacent en rampant sur le ventre, les paysans sont constamment en contact avec la terre. Ils se penchent bas afin de labourer leurs champs, touchant souvent la glèbe à l’aide de leurs mains nues au lieu de faire usage d’outils, et vivent une existence paisible dans leurs demeures construites en boue et paille. A l’inverse, la famille de Chobei est souvent représentée à l’intérieur de sa maison, élevée au-dessus du sol et construite à l’aide de matériaux moins liés à la terre que ceux employés par les paysans.

Le commentaire politique du film ne s’arrête pas là, il est plus développé que dans la plupart des films appartenant à ce genre, le « kaidan-eiga » (littéralement : film étrange, ou d’horreur). Tandis que les films kaidan suivent souvent une structure similaire, créant le plus souvent une histoire autour des horreurs surnaturelles qui frappent un mari infidèle ou un propriétaire terrien abusif, SNAKE WOMAN’S CURSE dépasse le niveau d’une trame recyclée servant d’excuse pour un récit de revanche fantomatique. Le film de Nakagawa sympathise réellement avec ses personnages principaux, deux femmes qui affrontent non seulement la dureté de la vie dans le Japon féodal (en dépit du fait que le film se déroule durant l’ère Meiji (1868-1912), typiquement reconnue pour être une période de restauration après le féodalisme, la narration qui introduit le film expliquant que le village de Chobei n’a pas encore été modernisé), mais aussi une société défavorable à leur sexe, le deuxième sexe. Les deux femmes sont victimes d’avances sexuelles à répétition et ce sont elles, pourtant, qui sont blâmées pour l’attention qu’elles suscitent. La mère d’Asa est traitée cruellement par la femme de Chobei qui observe le comportement indiscipliné de son mari. Elle ne l’accuse pas pour autant, mais elle reproche à Sue de le séduire alors qu’elle vient à peine de perdre son propre époux. Sue n’est pas à même de répondre ou de se défendre du fait de son statut de servante, mais elle se trouve régulièrement acculée par Chobei, puis réprimandée par sa femme. Asa, pour ce qui la concerne, est harcelée par le jeune maître Takeo. Elle a juré fidélité à son fiancé resté au village, et elle fait l’impossible pour éviter Takeo – mais quand il parvient finalement à la posséder, c’est Asa seule qui porte la culpabilité et la honte. Remarquons l’excellente séquence durant laquelle Asa est laissée seule à l’extérieur, à la suite de la scène de viol. Un orage crée de violent mouvements dans le ciel et les buissons où elle repose, comme pour illustrer la rage intérieur qu’elle est contrainte de réprimer, alors qu’un arbre en face d’elle est frappé par un éclair, symbole phallique, ce qui le coupe en deux portions sensées représenter des jambes, avant qu’un serpent n’émerge de cette faille. Etant donné que le plan de Takeo pour violer Asa l’a éloignée de son travail à la manufacture, elle est punie et on ne lui accorde pas de jour de repos comme aux autres filles. Son fiancé vient la voir et lorsqu’il apprend les viols multiples, il lui demande pourquoi elle n’a pas repoussé le jeune maître, pourquoi elle n’est pas parvenue à mieux le combattre. Elle se retrouve seule et éperdue. Le fantôme de sa mère la rassure alors quant à la supériorité de la vie qui suit la mort…

Les spectateurs familiers du JIGOKU de Nakagawa peuvent être surpris par la simplicité apparente de SNAKE WOMAN’S CURSE. Son histoire est directe, ses effets horrifiques moins complexes et visuellement moins étonnants que ceux présents dans le récits aux multiples niveaux, presque psychédélique, de JIGOKU. Néanmoins, les films de kaidan tels que celui-ci prouvent qu’une conscience coupable peut se révéler tout aussi terrifiante que les effets physiques qui prévalent dans le cinéma contemporain d’horreur japonais (Sadako dans RINGU, le petit garçon dans JU-ON, etc.). SNAKE WOMAN’S CURSE maintient une atmosphère tendue constellée d’apparitions fantomatiques, même brèves, dès le début du récit. Les fantômes n’ont jamais de contact direct avec la famille. Au contraire, c’est leur présence tranquille, transparente, qui terrifie et entraîne le souvenir, renforçant l’obsession japonaise avec le concept bouddhiste du karma.

Ce film est donc construit avec soin et vaut le détour pour son exploration des classes sociales japonaise et son habilité à créer une atmosphère relevant du style kaidan-eiga. Il serait difficile de se prétendre familier avec le cinéma d’horreur japonais sans connaître le travail de Nobuo Nakagawa.


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- Article rédigé par : Marisa C. Hayes

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