Snuff Movie

Un texte signé Franck Boulègue

Royaume-Uni - 2005 - Bernard Rose
Interprètes : Jeroen Krabbé, Lisa Enos, Hugo Myatt, Joe Reegan, Teri Harrison…

Le nouveau long-métrage de Bernard Rose – l’excellent réalisateur de PAPERHOUSE et de CANDYMAN, deux classiques du genre – se penche sur l’épineuse question des terribles « snuff movies ». Ces films ne sont ni plus ni moins, selon l’avis de la plupart des spécialistes, que des légendes urbaines (ce qui les rapproche en cela du personnage de « Candyman », création par excellence de l’inconscient collectif). Ils brouillent la frontière qui sépare le spectacle de la réalité en mettant en scène le meurtre d’inconnus, dûment enregistré par la caméra, pour le plus grand plaisir d’amateurs dégénérés en manque de sensations fortes.
C’est sous cet angle que Bernard Rose a décidé de traiter son récit. Les niveaux de réalité se télescopent et s’interpénètrent en tous sens, à tel point qu’il devient rapidement difficile de savoir qui joue un rôle inventé de toutes pièces et qui se fait réellement trucider dans cette mise en abîme filmique. Où s’arrête le film et où commence le massacre ? C’est tout l’enjeu de la narration de SNUFF MOVIE.
D’emblée, dès l’ouverture du film en fait, le ton est donné : alors que nous pensons un moment être confronté à un film d’horreur historique, prenant place au XVIIIème siècle, une violente rupture de ton nous transporte au beau milieu des années 70, dans la demeure du fameux réalisateur de films d’horreur Boris Arkadin (interprété par Jeroen Krabbé, qui tenait la vedette dans LE QUATRIEME HOMME (1983) de Paul Verhoeven). Cette nouvelle séquence est tournée à la manière d’un film amateur, caméra à l’épaule, couleurs saturées, montage saccadé, conférant au résultat l’aspect d’un mauvais trip sous acide. Quand trois fans décervelées des films d’Arkadin pénètrent dans la maison et entreprennent de trucider ses occupants (à l’exception notable du réalisateur, parti précipitamment peu auparavant), le chaos visuel atteint son sommet. Les murs sont bientôt repeints en rouge (sang) et les trois meurtrières n’oublient pas de dépecer la femme enceinte du maître afin d’extraire son bébé de son ventre. Tout ceci rappelle furieusement le massacre de Sharon Tate (poignardée à seize reprises !) par la clique de l’infâme Charles Manson, en 1969…
Effondré quand il apprend ce qu’il est advenu de sa compagne, Arkadin s’enferme dans le mutisme et ne réalise plus aucun film. Vingt ans plus tard, pourtant, il réunit une brochette d’acteurs dans les lieux mêmes où le drame s’est déroulé, de façon à tourner une reconstitution improvisée du carnage. Pas de script, pas de directives – les acteurs sont invités à déambuler librement dans les couloirs du manoir tandis qu’une ribambelle de caméras filme en permanence leurs moindres faits et gestes et retransmet l’ensemble en direct sur Internet. Arkadin, dans ce grandeur nature sanguinolent, joue une nouvelle fois le rôle du metteur en scène baroque, amenant les uns et les autres vers une mort aussi sûre que dégoulinante. Il n’oublie pas ce faisant, passage obligé de tout film gore qui se respecte, de dévoiler les charmes de ses actrices, qui abandonnent volontiers leurs vêtements derrière elles.
Mais dans ce vaste théâtre des apparences, qui interprète un personnage fictif et qui est réellement mis à mort ? Peut-on faire confiance à l’image filmée ? Quant au réalisateur, n’est-il pas par essence un menteur professionnel dont l’art consiste à faire passer pour vrais des moments simulés ?
Autant de questions auxquelles le film de Bernard Rose se confronte, parfois de façon un rien brouillonne, parfois avec justesse, pour nous donner au final une œuvre qui mérite le détour. SNUFF MOVIE sait à l’occasion se montrer dérangeant sans jamais pour autant devenir insupportable. Et si le jeu des acteurs n’est pas toujours à la hauteur, cela n’a rien d’incohérent avec le scénario.
Il ne s’agit donc pas là de l’œuvre la plus mémorable de son auteur, mais d’un agréable petit film qui n’oublie pas de s’interroger sur le genre qu’il emprunte. A découvrir.


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- Article rédigé par : Franck Boulègue

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