Société anonyme anti-crime

Un texte signé Philippe Chouvel

Italie, Allemagne - 1972 - Stefano Vanzina
Titres alternatifs : La polizia ringrazia, Execution Squad, Das Syndikat
Interprètes : Enrico Maria Salerno, Mario Adorf, Mariangela Melato, Franco Fabrizi, Cyril Cusack, Laura Belli, Jürgen Drews, Corrado Gaipa

Le commissaire Bertone est un homme intègre, ayant un idéal de la justice dans un pays gangréné par la mafia et en proie à une recrudescence inquiétante de la criminalité. Alors que les instances policières, juridiques et politiques devraient marcher main dans la main, elles sont au contraire désunies, chacune agissant pour ses propres intérêts.
Entre le procureur Ricciuti très à cheval avec la procédure, et l’avocat Armani qui défend les pires crapules sans le moindre état d’âme, Bertone ne sait plus à qui il peut se confier, si ce n’est à Sylvia, une journaliste remontée contre le laxisme des pouvoirs publics.
Tandis que l’efficacité de la police est remise en cause, tant parmi les hautes sphères de la hiérarchie qu’au sein de la population, Bertone doit retrouver deux jeunes délinquants qui ont cambriolé une bijouterie et tué la tenancière du magasin. Quelques jours plus tard, l’un des deux hommes est retrouvé mort au bord d’un canal. Il a été exécuté en bonne et due forme par un commando de justiciers…
SOCIETE ANONYME ANTI-CRIME est un film policier situé durant la sombre période des années de plomb, qui sévit dans une partie de l’Europe pendant une vingtaine d’années. L’Italie fut particulièrement touchée par le terrorisme à cette époque, tant par des mouvements issus de l’extrême-droite que de l’extrême-gauche. Dans le film, le personnage principal est confronté à un groupuscule néofasciste qui a décidé d’éradiquer la criminalité de la manière la plus extrême qui soit, en se proclamant à la fois juge et bourreau, et sans autre forme de procès. De par son sujet, cette œuvre n’est pas éloignée du MAGNUM FORCE (1973) de Ted Post, deuxième volet de la série de l’Inspecteur Harry, campé par Clint Eastwood. Mais à l’inverse du film de Ted Post, et plus généralement d’une grande partie des poliziottesci (terme désignant les néo-polars italiens tournés durant les années ’70, et assimilés à un sous-genre du cinéma populaire), LA POLIZIA RINGRAZIA apparaît comme un compromis entre le poliziottesco en question et le film policier dans lequel la noirceur du propos prime sur l’aspect spectaculaire. Ainsi, le film est un savant dosage entre les polars de Fernando Di Leo, Sergio Martino ou Mario Caiano, et ceux d’Alain Corneau (la touche pessimiste), Henri Verneuil (une critique acerbe des pouvoirs politiques) et Jean-Pierre Melville (le commissaire Bertone est accaparé par la solitude, le poids de l’échec et la mort au bout du compte, thèmes chers à Melville).
A jouer sur les deux tableaux, SOCIETE ANONYME ANTI-CRIME aurait pu être à l’arrivée un film bancal. Il n’en est rien, et le spectateur est convié à un spectacle de grande qualité, qui alterne les scènes d’action et les joutes verbales entre les divers protagonistes avec une belle réussite.
Et l’on doit ce résultat probant à Stefano Vanzina, plus connu sous le diminutif de Steno. D’autant plus étonnant, quand on se penche sur la carrière du réalisateur. On lui doit environ soixante-dix longs métrages, dont une quarantaine auront connu une distribution en France. Steno est surtout réputé pour ses comédies, dont la série des Toto dans les années ’50. Un goût immodéré pour la comédie que le cinéaste ne peut s’empêcher de distiller à d’autres genres (pour mieux les détourner), qu’il s’agisse du péplum (LES WEEK-ENDS DE NERON), du film d’horreur (LES TEMPS SONT DURS POUR LES VAMPIRES) ou des déclinaisons de fumetti style Diabolik (ARRIVA DORELLIK).
Durant cette longue carrière qui s’achèvera avec des films comme BANANA JOE, Steno aura su prendre le contre-pied de son style caractéristique en de rares occasions, avec ENQUETE A L’ITALIENNE (1977) et préalablement cette SOCIETE ANONYME ANTI-CRIME, qui ne possède pas une once d’humour (excepté ce passage où une personne interpellée dans le commissariat, affublée d’un chapeau de cow-boy, prétend s’appeler Sartana).
L’œuvre est en effet résolument sombre, désespérée et pessimiste, portée par des acteurs tous remarquables dans leur propre registre. En tête, Enrico Maria Salerno compose un commissaire Bertone admirable d’intégrité. Cet acteur, découvert par une frange du grand public dans LE MASQUE DE FER (dans lequel il incarnait Mazarin), aura l’occasion de démontrer toute l’étendue de son talent à travers des œuvres comme BANDIDOS, L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, LE GRAND KIDNAPPING et …A TUTTE LE AUTO DELLA POLIZIA. Autour de lui, gravitent dans LA POLIZIA RINGRAZIA d’autres pointures du cinéma, parmi lesquels Mario Adorf (JE SUIS VIVANT, MILAN CALIBRE 9, LA LAME INFERNALE), Franco Fabrizi (SATYRICON, MORT A VENISE), Corrado Gaipa (JOURNEE NOIRE POUR UN BELIER, FOLIE MEURTRIERE, LE BOSS) ou encore Cyril Cusack (FARENHEIT 451, SACCO ET VANZETTI, L’EMPIRE DU CRIME).
En ce qui concerne la touche féminine, en dehors du petit rôle de la charmante Laura Belli (LA RELIGIEUSE DE MONZA), on retiendra avant tout la prestation de Mariangela Melato, qui s’est éteinte en janvier 2013 dans une quasi-indifférence. Elle aura été pourtant une actrice phare du cinéma italien, vedette chez Elio Petri (LA CLASSE OUVRIERE VA AU PARADIS, TODO MODO), LINA WERTMÜLLER (MIMI METALLO BLESSE DANS SON HONNEUR), Fernando Arrabal (L’ARBRE DE GUERNICA) et Luigi Comencini (QUI A TUE LE CHAT ?). Elle incarne ici la journaliste Sylvia, qui se révèlera être le seul véritable soutien de Bertone dans sa croisade pour une justice digne de ce nom.
En résumé, SOCIETE ANONYME ANTI-CRIME, dont la distribution dans les cinémas de l’Hexagone se résume à quelques salles de province (sans passer par la capitale), mériterait sans aucun doute de sortir (justement) de l’anonymat. Car le film de Steno est de la même trempe que les polars de Fernando Di Leo, par exemple, et emporterait l’adhésion de tous les amateurs de poliziottesco.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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