Un texte signé Sophie Schweitzer

Roumanie - 2012 - Silviu Purcărete
Titres alternatifs : Undeva la Palilula
Interprètes : Áron Dimény, George Mihăiță, Răzvan Vasilescu, Constantin Chiriac

L'Etrange Festival 2021review

Somewhere in Palilula

Serafim, jeune licencié de l’École de Médecine, est envoyé exercer sa profession dans l’hôpital de Palilula, petite ville fantôme perdue au milieu de la plaine Valaque. C’est un sanatorium-lazaret, hôpital improbable, clinique gynécologique où aucun enfant ne vient au monde. Palilula est un endroit où le dérisoire coexiste avec des choses sublimes, et où les gens sont isolés pour toujours dans l’ivresse, les fêtes et les orgies. Le film trace le parcours du docteur Serafim à travers plusieurs années et saisons.

Somewhere in Palilula est le seul et unique film réalisé par le célèbre metteur en scène roumain Silviu Purcărete. Son affinité avec le théâtre se ressent beaucoup dans les décors, mais également dans la mise en scène comme des tableaux pour chaque séquence. Le fait est que par un manque de budget qui ne se ressent pas à l’image, le tournage s’est entièrement déroulé dans un hangar transformé pour l’occasion en plateau aux allures de scène de théâtre. Si l’on est tenté de croire qu’un tel lien pourrait être négatif, c’est tout le contraire, l’œil « neuf » de Silviu Purcărete lui fait aborder sa mise en scène de manière assez originale, même si l’utilisation du cadre et de peu de décors très stylisés n’est pas sans évoquer le cinéma de Wes Anderson.

Le travail sur les décors et l’esthétique du film sont assez impressionnants, comme l’est l’utilisation de la caméra qui, lorsqu’elle n’est pas statique pour quasiment dépeindre un tableau, se meut avec un travelling parcourant le décor. C’est ce choix de mise en scène qui pose une ambiance, puis par un simple travelling découvre des éléments du décor comme des personnages et crée ainsi des situations cocasses. Le tout s’accompagne d’une musique lorgnant du côté de la musique régionale un peu tonitruante pour renforcer l’atmosphère installée. À cela s’ajoute une lumière qui parfois joue avec les décors et les personnages.

Ceux-ci sont hauts en couleur, principalement notre innocent héros dont le caractère naïf est utilisé afin de plonger le spectateur à ses côtés dans cet univers aussi absurde qu’attachant. Campé par Áron Dimény, il transmet parfaitement les émotions à travers un jeu presque clownesque très proche du burlesque. Autour de lui, c’est tout un panel de personnages aussi excentriques que grotesques qui animent cette cité perdue dans la neige. On remarquera notamment un doux rêveur dans le personnage campé par George Mihaita, un hermaphrodite changeant de pilosité à la pleine lune, ou encore bien sûr le fantôme de feu Pantelica qui habite le film par son charisme imposant. Ce personnage étant traité comme Rebecca de Daphné Du Maurier adapté par Alfred Hitchock nous fait toutefois l’honneur d’une apparition cauchemardesque. Et puis, l’opposition des docteurs contre le membre du parti communiste n’est pas sans rappeler Don Camillo et Peppone, le maire du village. Mais comme pour l’humour, l’horreur se teinte de poésie, à travers ce film qui trace une peinture presque parodique du pays sous le régime de l’URSS.

Il est impossible de ne pas voir le film comme une satire du régime ayant dominé la Roumanie pendant plusieurs décennies. Que ce soit le représentant du parti refusant de boire du bourbon (de l’alcool américain), la pauvreté extrême et les files d’attente pour les courses alimentaires, ou encore ce choix arbitraire et absurde de la ville de ne pas faire d’enfant tout en embauchant un pédiatre pas d’espace ! Évidemment, tout est dans l’exagération, mais l’humour parfois noir n’en est pas moins teinté d’une certaine poésie mélancolique, comme l’était le cinéma burlesque de l’Entre-deux-guerres.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà


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