Spermula

Un texte signé Philippe Delvaux

France - 1976 - Charles Matton
Titres alternatifs : L'amour est un fleuve en Russie
Interprètes : Udo Kier, Sylvie Meyer, Karin Petersen, Myriam Mézière, Georges Gerêt, Ginette Leclerc

Une secte (selon les versions, elle est extra-terrestre) s’en vient sur terre/revient après avoir quasi disparu, incarnée en splendide créatures féminines, pour … euh on ne sait pas trop bien quoi… en prenant contrôle des humains (on ne sait pas trop comment) via le sexe (ouais, ce n’est pas top clair non plus) mais sans tomber amoureuses (enfin, quoique, c’est là que résidera le drame, ou quelque chose d’approchant). Bref, y’a plein de jolies femmes et c’est érotico (un peu) – hardo (un peu aussi) -seventies (là, beaucoup plus).

Et bardaf, voici l’OFNI, Objet filmique non identifié (c’est bien le moins de parler d’OFNI quand on évoque des extra-terrestres) du jour. SPERMULA, c’est une extravagance zédarde mais qui y croyait bien fort, tout droit sorti des seventies alors en pleine libération érotique. Une sorte de prototype n’ayant engendré aucune descendance et qui dès lors fascine par son statut unique.

Parce qu’il faut quand même bien situer le bouzin, on tapera SPERMULA dans une zone embrumée située parfois aux confins des territoires arpentés par nos collègues de nanarland. Ce qui fait le sel du film, c’est la tension entre l’ambition, qui sourd de la direction artistique et des dialogues ampoulés et creux, et le résultat qui échoue à l’atteindre.

Mais là on se moque alors qu’en fait pas du tout (ou pas que). L’ironie est toujours une facilité, et elle achève bien souvent le canasson qui se rêvait mustang. SPERMULA est une tentative, certes pas aboutie, mais qui a le mérite d’avoir fureté, d’avoir tenté de nouvelles formes. Il témoigne de cette époque où, sortant des carcans, le cinéma a osé partir à l’aventure, quitter les routes balisées pour des sentiers broussailleux, voire défricher la forêt vierge. En l’occurrence, la tentative tient au mariage entre érotisme soft, tentation hard, narration classique, le tout correctement budgété. Ce mélange n’aurait pu émerger quelques années plus tôt. Il sera définitivement rendu impossible quelques mois plus tard lorsque l’entrée en vigueur de la loi X tuera dans l’œuf toute nouvelle tentative en la matière.

Le propos cryptico-new-âge résonne assez bien dans le contexte hippie de l’époque (n’était l’absence de SM qu’on se croirait sorti d’une série B tournée par Alain Robbe-Grillet). Et ces sectes qui s’installent à la campagne et veulent libérer l’Homme (avec et sans majuscule d’ailleurs), tout ça n’est pas sans évoquer les réinventions sociales des hippies qui tentaient l’aventure des expériences collectivistes. Le distributeur américain maquilla le film en y ajoutant un substrat science-fictionnel qui ne dépasse guère le prétexte. La version française reste sur le retour d’une secte qui libère l’humanité par le biais de fellations, tandis que le titre mélange sperme et vampire, c’est vendeur (souvenons-nous de LA COMTESSE NOIRE tourné 3 ans plus tôt par Jess Franco).

SPERMULA déploie ensuite cet érotisme bourgeois-chic alors naissant, le tout sur fond de satire sociale de la bourgeoisie campagnarde. Une recette qu’on retrouvera souvent dans le cinéma égrillard.

L’image est belle et vaporeuse (l’époque est au style « David Hamilton »), les créatures qui la peuple ne le sont pas moins. Les yeux se régalent donc.

On sera moins indulgent pour la narration qui au long d’un rythme lymphatique (une constante dans la série Z, et plus encore dans celle venue de nos contrées) accouche d’une intrigue convenue. Mais bon, est-ce vraiment ce que nous étions venu chercher ?

Un bon tiers du film nous présente une interminable palanquée de protagonistes qui ne pourront, forcément pas tous être exploités : visez un peu : Ingrid la chef des Spermula, son adjointe, quelques autres extra-terrestres, Mme Papadeus, sa fille Sala qui frouchèle avec le clerc Vermeer (Udo Kier), son autre fille Liberte qui gamahuche avec le jardinier Pierre, sa nièce Cascade éprise (et prise) du peintre Tristan, son fils Choupetit épris de sa maman, le maire Grop, sa femme Blanche, leur bonniche noire (Blanche-noire, tu comprends !), le cardinal, l’abbé, leur bonniche (derechef) Marie, la cabaretière Ruth, son amant le nain Yvan, Rita et, croyez-moi, on en oublie ! Il nous faut bien la voix off, ce cache-misère de la réalisation pour nous introduire à ce petit monde.

L’intention de base du réalisateur nous reste un peu mystérieuse, celle du distributeur nettement moins, lequel changea promptement le titre initialement pressenti (et donc jamais utilisé) de L’AMOUR EST UN FLEUVE EN RUSSIE en un SPERMULA plein de promesses libidineuses (sur laquelle appuie assez fortement la bande annonce française qui se contente presque de scander le titre). Promesses très légèrement tenues, car si le film déborde de jolis minois, il reste comparativement avare en jolis minous. Et pourtant, et ça ne lasse pas de nous étonner une quarantaine d’années plus tard, de ci de là s’insère un plan plus explicite, généralement de fellations. Plans souvent brefs, certes, mais qui détonnent dans l’ensemble. Tout l’esprit d’une époque passionnante qui dénoue le corset de la censure étatique et n’a pas encore revêtu celui de la ghettoïsation X.

Pour l’anecdote, on évoquera la version nord-américaine de SPERMULA. Le distributeur américain ne s’arrêtera pas au titre racoleur et rajoutera une couche salace au doublage alors que la VF d’origine, en relation avec le traitement de son sujet, reste dans une tonalité de bonne convenance. On regrette un peu qu’à l’occasion de la redécouverte du film par le biais de son édition dvd française en 2018 sous l’égide de Carlotta, on ne dispose pas en bonus du montage américain. Ce dernier aura coupé les plans explicites, raccourci le film et modifié l’intrigue en appuyant sur le côté science-fiction. L’époque était coutumière des versions modifiées, parfois par le distributeur et sans toujours l’accord du réalisateur, selon les pays.

Au casting, on retient évidemment le très culte Udo Kier, qui sort alors de rien moins que DE LA CHAIR POUR FRANKENSTEIN, DU SANG POUR DRACULA et HISTOIRE D’O. On y croise aussi Sylvie Meyer (future épouse du réalisateur Charles Matton) auréolée (si on peut dire) de son rôle dans LA BONZESSE ; Karin Petersen (Milady dans LES CHARLOTS MOUSQUETAIRES), Myriam Mézière (sortie du CHANGE PAS DE MAIN de Paul Vecchiali qui fut un des premiers films à introduire – si on peut dire – une scène explicite dans un film à vocation non pornographique). Le vétéran Georges Gerêt (le notable Grop) a croisé des grands noms du cinéma (parmi tant d’autres, Costa Gravas), mais vu qu’on parle ici de SPERMULA, on rappellera juste qu’il incarnait aussi le mac dans LA PUNITION. Quand à Ginette Leclerc (la mère), qui fut, entre nombre d’autres rôles, la femme du boulanger dans le film homonyme de Marcel Pagnol (1938), elle terminait ici sa carrière sur grand écran, se rabattant ensuite sur la TV. Mais auparavant, on l’aura aussi vue chez Borowczyk (GOTO) ou Bénazeraf (JOE CALIGULA).

Charles Matton, par ailleurs peintre et illustrateur (notamment, sous pseudo, auprès du magazine LUI), n’a que très peu tourné. Parmi les rares longs métrages qui ont connu une certaine résonnance, on gardera son REMBRANDT.

Au final, ce n’est pas pour ses qualités cinématographiques qu’on revoit SPERMULA, mais pour ce qu’il nous dit d’une époque. Et ma foi, si l’esprit du temps a les courbes de ces accortes créatures, il peut bien s’en revenir par chez nous quand il veut !


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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