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Subimago

Cela fait déjà bon nombre d’années que Christophe Leclaire officie au sein du cinéma indépendant en France. EGGmotion, la structure de production qu’il a fondée, dans laquelle intervient régulièrement le même cercle de personnes – techniciens, auteurs ou acteurs – peut s’enorgueillir d’avoir à son actif une bonne douzaine de métrages, fictions et documentaires dont certains sont encore au stade de projet. Des films de formats variables qui font éventuellement appel au financement participatif. Ce fut le cas pour SUBIMAGO, moyen métrage de 57 minutes produit via Touscoprod et qui a entamé il y a quelques mois une une tournée des festivals internationaux.

Sous couvert d’anticipation (Quoique, cela reste à voir en fait. N’est-on pas simplement dans une parabole ?…) post-catastrophe, SUBIMAGO se révèle relativement atypique par rapport à ce que la production Française nous propose généralement en salle. Atypie que sans doute le titre même permet de subodorer – que l’on consulte son portable ou un dictionnaire au départ pour en avoir une définition ; ou que l’on attende la fin du film pour que le réalisateur nous la livre enfin…

Chaque jour, un homme, seul sur un territoire sauvage, répare méthodiquement un vieux pont métallique. Malgré l’implication dans sa routine de travail, la fatigue et le doute s’installent. Tout se précipite quand, une nuit, il découvre une femme blessée sur le pont. Son rôle est-il réellement celui qu’il a accepté d’endosser il y a si longtemps ?

En premier lieu il apparaît que le film se base moins sur une narration traditionnelle (dont il conserve cependant la linéarité) qu’il ne se construit autour d’une ponctuation. Répétition de gestes et d’actions précis, lents et détaillés jusqu’à l’absurde : Découper, souder, ranger et inventorier, manger, puis dormir et rêver. Succession réitérée qui prend plus d’un tiers du métrage, nous conduisant à une contemplation posée sur un rythme impressionniste qui a de quoi déstabiliser le spectateur nourri aux récits frénétiques. Il faudra attendre bien plus que la moitié du film pour que les choses « bougent » enfin un peu…

Entretemps le réalisateur aura eu le loisir de nous monopoliser sur l ‘isolement voire l’enfermement de son personnage principal. Car la construction de ses images vient fortement épauler les bases narratives citées plus haut. Ici prédominent les profondeurs de champ limitées et les cadres serrés, les arrière-plans flous et un jeu constant de mise / remise au point, de petits jump-cuts qui dilatent le temps plus qu’ils ne le morcellent. Ce à quoi peuvent se surajouter des éléments symboliques comme des toiles d’araignées ou des reflets flous dans des miroirs, qui resserrent un peu plus l’espace dans lequel évolue et vit le réparateur du pont, espace dans lequel il est finalement proprement englué et prisonnier. A ce titre une image subliminale en début de film permet de se questionner sur l’aspect éventuellement contraint et dramatique de sa présence à proximité du pont.

Il y a également dans SUBIMAGO une esthétique de la détérioration, de l’obsolescence et de la rouille convoquée à grand renfort d’inserts sur les éléments du pont et le lieu où habite le « héros » de Christophe Leclaire. Un univers de bric et de broc, une ambiance de forte décroissance. On pourrait à ce propos lui trouver un lointain cousinage avec LE BUNKER DE LA DERNIÈRE RAFALE de Caro et Jeunet, qui s’articulait lui aussi de surcroît autour de faits et de gestes absurdes, opérés sans réelle conscience. Mais la comparaison s’arrêterait là.

On ne peut que constater que l’homme ne lutte qu’avec des moyens somme tout bien dérisoires contre cette détérioration. C’est l’apparition de la jeune fille blessée, étrangère qui plus est, à laquelle il va apporter son secours, qui va gommer l’aspect sisyphéen de sa tâche. Serait-il là pour maintenir un lien (fonction symbolique pourtant évidente du pont), mais aussi par extension pour peut être faire perdurer des valeurs humanistes d’entraide et de partage ?

Nous sommes alors amenés à faire un parallèle avec ce que les média nous offrent quasi quotidiennement en pâture comme images à propos de la question brûlante des réfugiés – mise en parallèle renforcée par la dernière partie du film.

Un passage de simple rouage à acteur conscient : N’est-ce pas là que SUBIMAGO et Leclaire voudraient finalement nous conduire ?… À méditer conjointement avec la définition de la subimago que le réalisateur révèle à la fin du film.

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