Un texte signé Sophie Schweitzer

Etats-Unis - 2018 - Luca Guadagnino
Interprètes : Dakota Johnson, Tilda Swinton, Chloë Grace Moretz

retrospective

Suspiria

En 1977 à Berlin, une danseuse américaine Susie Bannion arrive pour intégrer la prestigieuse compagnie de danse Markos Tanz Compagny. La disparition d’une danseuse, Patricia, lui permet d’intégrer rapidement la compagnie, mais cette danseuse disparut laisser planer un soupçon sur la troupe avec les accusations qu’elle a lancées. Selon Patricia, Markos et sa compagnie seraient des sorcières. Si Susie n’y prête attention, en revanche, Sara s’inquiète de ce qu’il pourrait arriver à la nouvelle venue qui a si vite trouvé une place centrale au sein de la compagnie et surtout l’attention de Madame Blanc.

En 1977 sortait SUSPIRIA de Dario Argento. Le cinéaste italien s’étant alors illustré dans le giallo avec L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL et LE CHAT A NEUF QUEUE, plonge dans le fantastique avec sa compagne de l’époque, Daria Nicolodi qui passionnée de magie et d’occultisme écrit avec Argento le scénario de SUSPIRIA. L’original raconte comment la jeune américaine Susie, incarnée par Jessica Harper, débarque dans une école de danse par une soirée pluvieuse remplaçant une jeune étudiante tuée brutalement avec sa colocataire. L’original aux couleurs baroque était un conte de fées où une jeune fille devait affronter un coven de sorcières, et notamment la mère Suspiria.

En 2008, David Gordon Green (HALLOWEEN 2018, L’AUTRE RIVE, PINAPPLE EXPRESS) projette de faire un remake. Le projet est assez avancé, puisque des actrices comme Isabelle Huppert ont été engagées lorsqu’un conflit entre le réalisateur et les producteurs éclate et fait échouer le projet. Il est amusant de constater que David Gordon Green se lancera dans le projet de la suite d’HALLOWEEN de John Carpenter, un autre classique du cinéma d’horreur. Quoi qu’il en soit, en 2015 lors de la projection de A BIGGER SPLASH remake de LA PISCINE, Luca Guadagnino annonce qu’il souhaite faire le remake de Suspiria avec les quatre acteurs de son film.

Ainsi Tilda Swinton et Dakota Johnson déjà présentes dans A BIGGER SPLASH sont donc engagées dans les rôles principaux, respectivement Madame Blanc, directrice de la compagnie pour Tilda Swinton et Susie pour Dakota Johnson. Puis Chloë Grace Moretz (KICK ASS, CARRIE) est engagée dans le rôle de Patricia, une jeune danseuse psychotique, enfin Mia Goth (NYMPHOMANIAC, A CURE OF LIFE) incarne Sara. Un casting rejoint par Jessica Harper qui incarne l’épouse disparue du psychiatre en charge de Patricia qui mènera l’enquête après la disparition de celle-ci.

Si l’on retrouve les mêmes personnages que dans l’original, la même mythologie également avec les trois mères, l’équivalent des Parques, mais en sorcières régnantes sur les humains, nourrissant le chaos et le désir d’immortalité chez les sorcières les vénérant, le remake s’éloigne toutefois de son original dans le chemin que suive ses personnages ainsi que dans l’atmosphère qu’elle soit musicale, dans ses décors ou encore sa photographie.

Ainsi, le choix de l’artiste Thom York pour réaliser la musique est à des années-lumière des Goblin ayant composé la musique originale qui est cité par moment, à titre d’hommage, comme l’est l’apparition de Jessica Harper. Les décors sont très éloignés de l’école perdue dans la forêt noire aux couleurs baroques et à la décoration plus baroque encore, choisie par Dario Argento. Le Berlin dépeint par Luca Guadagnino est gris, sombre et inquiétant.

L’on ne sait s’il faut y craindre les sorcières ou les attaques terroristes. En effet, le film est baigné par les exactions de la bande à Baader qui ne cessent de rythmer le film, tout comme l’ombre du nazisme plane tout le long du film. Que ce soit dans l’évocation du passé de la compagnie, où les sorcières apparaissent alors comme des résistantes, féministes avant l’heure, ou encore dans les souvenirs plus douloureux du psychiatre cherchant désespérément sa femme de l’autre côté du mur.

C’est cette noirceur oppressante qui règne sur le film, tant dans la bande sonore que dans la photographie à la fois sombre et grise comme ses décors tout de béton et de marbre glacé. S’il y a de l’art déco dans le bâtiment impressionnant occupé par la compagnie, et des passages secrets, comme un cabinet de curiosité, ce sont de rares touches évoquant l’original, comme autant de petites allusions et d’hommage sans que cela ne contrevienne à cette grisaille qui s’oppose nettement à l’original tout flamboyant de rouge et de vert.

Le destin des personnages est également différent. La mort cruelle et absurde qu’ils subissaient dans l’original où la menace ne semblait pouvoir provenir de partout et nul part à la fois, faisant du film de Dario Argento l’un des films les plus terrifiants qu’il soit. L’original contenait également des séquences de mise à mort d’une cruauté absolue très graphiques qui sont devenues par la suite iconiques. Dans le remake, au contraire, la mort semble ne vouloir se donner pleinement aux personnages qui subissent une horreur corporelle abominable sans que la mort ne puisse les en soulager. C’est la douleur dans la chair comme dans l’esprit, la douleur du souvenir, comme la douleur d’affronter les terribles sorcières et leurs rituels aussi anciens que terribles qui ne cesse de courir dans le film.

L’horreur corporelle présente dans le remake de Suspiria n’est pas sans rappeler le cinéma de David Cronemberg, notamment dans une séquence de corps brisé et tordu qui ne laissera personne indemne. Clive Barker est aussi convoqué dans un Climax qui évoque Hellraiser, le cuir en moins, mais les crochets sont bel et bien présent ainsi que la trituration des corps, l’exposition de la chair et des boyaux. Tout cet univers et sa cruauté peuvent également évoquer la saison 3 de American Horror Story, Coven, ou sa saison 2, Asylium, où les corps étaient eux aussi soumis à d’effroyables sévices.

Ce qui est intéressant est que le remake laisse plus de place à la danse en la mettant au cœur des rituels, comme si la danse était le geste de la sorcière, geste à la fois primitif, animal et signe aussi de la force féminine. Lorsqu’elle frappe, cette force devint alors implacable. Dans l’original la danse était une couverture tout comme l’école, un piège pour attirer les jeunes filles, mais dans le remake la danse devient un rituel mortel.

Seule ombre au tableau de cet intéressant remake est l’utilisation d’effets spéciaux lors de la séquence finale. Ces effets spéciaux numériques sont assez désastreux, le faux sang numérique bave, est trop sombre et pas assez rouge. Cela est d’autant plus étonnant que lors des séquences d’horreur précédentes les effets spéciaux étaient au contraire soignés, un savant mélange de maquillage et de numérique. À l’inverse la séquence climax est assez laide à regarder. C’est d’autant plus dommage que le reste du film est soigné.

En somme, ce remake est intéressant, parce ce qu’il apporte en plus, par une vision différente des mères et la sorcellerie, une vision peut-être plus en adéquation avec la modernité. On regrettera les couleurs de l’original, mais on saluera l’apport du body horreur.


- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà


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