Swiss army man

Un texte signé Philippe Delvaux

Suède -USA - 2016 - Daniels (aka Daniel Kwan & Daniel Scheinert)
Interprètes : Paul Dano, Daniel Radcliffe, Mary Elizabeth Winstead

Naufragé isolé sur une côte perdue et rongé de désespoir, Hank est sur le point de se suicider lorsqu’échoue sur le rivage un cadavre pétomane. Hank s’y attache, l’emmène dans son refuge, une grotte remplie de déchets, le baptise Manny et lui fait la conversation. Peu à peu, le cadavre lui répond. Une étrange relation s’installe progressivement et Manny et Hank, poussés par leur amour mutuel d’une jolie femme affichée en fond d’écran d’un téléphone portable abandonné, se mettent en quête. Mais en quête de quoi ?

Attention, film absolument et complètement chtarbé du bulbe.

On vous a donné un synopsis mais ce film n’est pas vraiment résumable. Ou du moins, pas réductible à son intrigue.

SWISS ARMY MAN et la raison pour laquelle on devrait faire et voir des films : il nous émerveille d’un spectacle absolument inédit, jamais vu, et qu’on ne reverra d’ailleurs jamais dans un autre métrage. C’est une œuvre unique, une fugue, une de ces trop rares tentatives de sortie des chemins trop bien balisés du 7e art.

Il est aussi, hélas, de ces œuvres qui ne rentrent dans aucun des formats (bouuuuh, le vilain terme) usuels et dont l’exploitation commerciale, hors festivals qui sont friands de telles productions (et se la sont d’ailleurs arrachée), pourrait dès lors souffrir (SWISS ARMY MAN semble cependant avoir été exploité en salle ici et là, souvent pour des sorties « limitées »). Pourtant sa présentation au BIFFF le prouve : plus que simplement réceptif le public est majoritairement conquis.

Cherchons à cerner SWISS ARMY MAN par le biais d’œuvres cousines. Le cadavre pétomane dont les vents sont utilisés à titre d’outil nous évoque la tentative littéraire du Serge Gainsbourg d’Evguénie Sokolov (1980), écrite dans la foulée de plusieurs tentatives chansonnières sur le sujet : « Des vents, des pets des poums », « Eau et gaz à tous les étages »… Au cinéma, c’est généralement en festival qu’on trouvera de ces films qui marient le trivial à une tentative de le transcender. Rien que pour le BIFFF, dans le volet qui a plus à voir avec le transit (intestinal) qu’avec la transcendance, on invoquera le bisseux ZOMBIE ASS : TOILET OF THE DEAD (chronique par votre serviteur sur Sueurs Froides), à la tonalité résolument potache. Mais s’il nous fallait chercher, toujours au BIFFF un cousin lointain à SWISS ARMY MAN, ce serait plutôt du côté de la très poétique (et pour le coup absolument pas vulgaire) comédie romantique (quoique le terme soit impropre pour un projet tellement unique) THE MARIAGE OF REASON AND SQUALOR. Finalement, le film qui nous semble le plus proche par l’esprit de SWISS ARMY MAN est peut-être le MAX ET LES MAXIMONSTRES adapté par Spike Jonze (et où l’acteur Paul Dano faisait une voix). A la frustration coléreuse de l’enfant Max succède la déception et les angoisses de l’adulte Hank.

En tout état de cause, la réussite de SWISS ARMY MAN réside dans ce très rare exercice d’équilibriste entre la trivialité absolue de son dispositif comique et le fond au service duquel est mis celui-ci.

Car partant de ce corps aux flatulences excrétoires, les réalisateurs dressent finalement une fresque intimiste de la condition humaine. Ou plutôt un tableau des regrets, des échecs, de l’autodénigrement, du manque de confiance et enfin des fuites que tant d’entre nous connaissons dans nos relations humaines et surtout sentimentales.

Le total relâchement des fonctions corporelles d’un cadavre, que sa condition délivre de tout conditionnement culturel, social ou de celui de ses propres gènes, fait écho à la pudeur et aux renoncements d’un Hank apeuré tant par les convenances que par le risque d’échec. Mieux vaut renoncer que de se prendre un râteau face à l’élue de son cœur ! Manny, délivré de toute angoisse et aussi curieux qu’un nouveau-né offre le contrepoint parfait au dialogue philosophique qui traverse tout le film.
Retiré du monde Hank va, au contact de Manny entamer un voyage qui, comme tous les voyages, est moins physique qu’introspectif.

Manny est campé par un Daniel Radcliffe qui passe donc d’Harry Potter à Harry Péteur (oui, elle était facile) mais qu’on aura entre temps vu dans HORNS (Alexandre Aja), KILL YOUR DARLINGS ou encore dans VICTOR FRANKENSTEIN. Rien à dire, l’homme ose s’aventurer loin du confort douillet des rôles de stars dans lequel il pourrait pourtant rester tranquillement confiné. C’est tout à son honneur. Hank est incarné par Paul Dano qu’on aura vu, pour ce qui concerne le ciblage de Sueurs Froides, dans LOOPER, COWBOYS & ALIENS, PRISONERS, THERE WILL BE BLOOD et, en 2017, dans le nouveau Bong Joon Ho, OKJA. Quant à l’objet de leur affection, c’est rien moins que Mary Elizabeth Winstead (FINAL DESTINATION 3, BLACK CHRISTMAS – le remake de 2006 -, ABRAHAM LINCOLN: VAMPIRE HUNTER, 10 CLOVERFIELD LANE, les deux derniers DIE HARD…).

Après avoir écumé les festivals du monde entier et avoir déjà été primé à Sundance, Sitges, Neuchâtel ou Los Angeles, SWISS ARMY MAN a encore décroché le prix du 7e parallèle (sélection des films hors normes) du 35e BIFFF en avril 2017 à la suite d’une projection publique largement ovationnée.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link