Tag

Un texte signé Philippe Delvaux

Un vent mauvais – comme dirait Rimbaud -, décime le bus scolaire de la jeune Mitsuko. Notre infortunée s’enfuit, poursuivie par ce « mistral méchant » qui découpe tous ceux qui croisent son chemin. Elle se réfugie dans une école… qui se révèle être la sienne, ce qu’elle semble avoir complètement oublié. Souffre-t-elle d’hallucinations, est-elle folle ? Ses proches condisciples tentent de la rassurer, mais voilà que le corps professoral se met soudain à décimer toutes les élèves à l’arme lourde. Fuyant à nouveau, Mitsuko trouve asile dans un poste de police où elle apprend qu’elle a désormais 25 ans et qu’elle est sur le point de se marier.

Sono Sion est un habitué de l’Etrange festival. Mais en dépit de la bonne volonté de ce dernier – qui programmait aussi LOVE & PEACE -, impossible d’y suivre toute la production récente d’un réalisateur qui a enclenché le turbo en cette année 2015, laquelle le verra livrer pas moins de sept longs métrages. Le BIFFF 2016 programmait de même notre TAG ainsi que le film de commande THE VIRGIN PSYCHICS. Devant une telle abondance, l’éparpillement guette notre stakhanoviste et pourrait le conduire à accoucher d’œuvres inabouties. Puisse l’avenir infirmer ces craintes.

Et que nous vaut TAG ? Sans s’élever au niveau de ses chefs d’œuvre (LAND OF HOPE, HIMIZU, LOVE EXPOSURE, GUILTY OF ROMANCE, STRANGE CIRCUS, pour ne citer que la crème de sa production), TAG s’avère un bon cru. Le film démarre pourtant mal avec sa lycéenne stéréotypée et ses massacres aux effets spéciaux spécieux (qui n’est pas sans évoque l’ouverture de son SUICIDE CLUB). Mais rétrospectivement, le dernier acte permettra de réévaluer ces choix esthétiques qui prendront alors une réelle valeur signifiante. On vous invite à reconsidérer alors l’option numérique à l’aune de cette révélation scénaristique (qu’on se gardera d’aborder ici).
Rapidement, le film se réduit à une course pour la survie de Mitsuko, entrecoupée de brèves accalmies qui verront l’héroïne obtenir à intervalles l’aide de quelques amies.

En cours de route, on croit pendant un certain temps décrypter l’intention du scénario comme la métaphore des angoisses féminines. La première séquence accrédite cette thèse avec plusieurs références aux menstruations et donc au passage de la fille à la femme. Un second chapitre aborde le deuxième changement majeur de la vie féminine japonaise traditionnelle, via le mariage. Un troisième déploie une intention plus complexe : Mitsuko, via un de ses avatars (et le terme fera pleinement sens plus tard) âgé d’une trentaine d’années, participe à un rallye sportif qui pourrait aussi bien renvoyer métaphoriquement au cours de la vie qu’à la course à la performance qui régit la société japonaise. Mais bientôt, cette compétition sportive est troublée par des tueuses à la poursuite, encore une fois, de notre malheureuse. Dans cette fuite qui traverse tout le film, Mitsuko cours moins pour une performance que pour sa survie. Cette mise en abyme nous ouvre à un champ nouveau qui verra TAG prendre une dimension « méta » convoquant la figure classique du rapport de la créature artistique à son créateur. Vient alors une révélation majeure qu’on se gardera de dévoiler ici, mais qui permet de donner sens à tout ce qui précède. Et ce rapport au créateur va encore s’exprimer à l’issue d’une séquence de caverne, qui exhibera la figure classique – et au demeurant déjà traitée par Sono Sion dans EXTE – du fantôme japonais féminin. Une caverne qui n’est pas sans évoquer celle de Platon, puisqu’elle permet in fine de changer de dimension et de révéler à l’héroïne sa nature réelle.

… Et c’est là que le bât blesse.

D’un côté, le scénario se réalise pleinement par le biais de cette révélation, et fait sens au dispositif qui a précédé. Mais d’un autre, la teneur du retournement de situation, quelque peu trivial, diminue la portée du film qui aurait peut-être gagné à garder en mystère ou à rester sur sa portée métaphorique première. Un petit bémol donc.

Au-delà de celui-ci, TAG se signale, comme toujours chez Sono Sion, par le soin apporté à la réalisation. On note quelques séquences très bien photographiées. En outre, les amateurs de petites culottes d’écolières seront aux anges, le fan service est de la partie (et pourra même se justifier par la révélation finale). Souvenirs pour qui se souvient de LOVE EXPOSURE, avec ses hilarantes séquences de prises de vue furtives d’entrejambes féminines.

Si le propos initial déroute un peu, notamment par le montage qui tend à perdre volontairement le spectateur pour lui faire partager la confusion de son personnage, il résonnera familièrement, avec ses raccords bizarres, aux habitués du cinéma d’un Bertrand Blier par exemple.

Pour conclure, si TAG ne se révèle pas un chef d’œuvre qui ont fait la réputation du réalisateur, il nous offre quand même un Sono Sion de bonne facture… oui, encore un ! Allez, finalement, on reste confiant pour les six autres.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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