Takeshis’

Un texte signé Michaël Guarné

Japon - 2005 - Takeshi Kitano
Interprètes : Takeshi Kitano, Susumu Terajima, Kotomi Kyono, Ren Osugi

Après avoir porté à l’écran sa propre vision du samouraï aveugle en 2003, le réalisateur de VIOLENT COP passe aussi bien derrière que devant la caméra pour sa dernière œuvre en date : TAKESHIS’, projet ambitieux dont les prémices remontent à une douzaine d’années, à savoir pendant le tournage de SONATINE. Nous avons affaire à un film burlesque doté d’une mise en scène torturée car elliptique, qu’on réservera avant tout aux inconditionnels du cinéaste tant les ‘private jokes’ et les autoréférences font bon ménage.
L’auteur de JUGATSU interprète donc un double rôle assez cocasse : on fait tout d’abord connaissance avec Beat Takeshi, célèbre personnalité du show-business qui ne tarde pas à croiser son sosie Kitano, une personne effacée aspirant à une carrière d’acteur qui travaille dans un “convini” (sorte d’épicerie) pour subsister. Suite à cette rencontre, ce dernier commence à faire des rêves (éveillés ?) étranges dans lesquels il s’imagine être le fameux Beat si connu à la télévision. Il devient alors de plus en plus difficile de séparer la réalité de ces passages oniriques…
TAKESHIS’ ou l’auto parodie poussée à son extrême. C’est ainsi que les violentes rixes entre yakuzas chères au réalisateur (on pense ici surtout à ANIKI, HANA-BI ou bien encore à SONATINE) surgissent de façon soudaine voire grossière. Une exagération volontaire qu’on retrouve également dans ces plans contemplatifs en bord de mer, un élément récurrent chez Kitano, principalement dans A SCENE AT THE SEA. Les allusions à ses films ne manquent donc pas. De nombreux cadrages et décors sont tout droit repris de ses œuvres antécédentes. Mais au-delà de tout ceci, c’est carrément les acteurs qui se moquent de leurs propres personnages. Ils sont un peu des caricatures d’eux-mêmes, ce qui est certainement accentué par le fait que les acteurs de TAKESHIS’, qui ont tous joué dans un ou plusieurs Kitano, incarnent là de multiples rôles. Ainsi Kotomi Kyono est à la fois la copine de Beat Takeshi et la voisine de Takeshi. Ren Osugi est quant à lui le manager de Takeshi mais également le chauffeur de taxi. Peu d’acteurs mais de nombreux rôles, ce qui joue certainement en la faveur de cette comédie enlevée. L’humour de situation et de répétition est bien entendu à l’honneur. Kitano se permet même quelques délires visuels qui rappellent son ovni GETTING ANY, monument d’humour nipponne en dessous de la ceinture (voire plus bas…). On pense notamment à ce plan où une charmante poitrine est évoquée par les deux platines d’un DJ et inversement…
TAKESHIS’, c’est aussi un peu la GROSSE FATIGUE du réalisateur nippon. Au-delà du côté comique, on ressent bien l’anxiété d’un homme face à son avenir, l’inquiétude et la peur devant un monde qui le dépasse, comme le laisse entendre le personnage de Kitano, si paumé et renfermé qu’il se prend pour son modèle : Beat. Ou quand Kitano rêve de devenir Kitano… Une attitude qu’on pourra qualifier de nombriliste ; car pour se permettre un tel exercice de style, ne faut-il pas avoir quelques soucis d’ego ?…
Quoi qu’il en soit, Kitano aura réussi son pari. Lui qui souhaitait que « les gens sortent de la séance en ne sachant pas que dire ni penser ». C’est effectivement ce sentiment d’être complètement largué qui prime à la première vision de ce TAKESHIS’. On est plongé dans l’imaginaire mouvementé d’un réalisateur surprenant, un peu comme dans certains Lynch tel que LOST HIGHWAY ou MULHOLLAND DRIVE.


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- Article rédigé par : Michaël Guarné

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