Terreur en Plein Soleil

Un texte signé Patryck Ficini

France - 1958 - B.R. Bruss

« Je me rappelle la volupté que j’ai éprouvée la première fois que j’ai coupé les ailes d’un oiseau avec une paire de ciseaux. C’était un canari. (…) il est parti en piaillant sur ses petites pattes, agitant le moignons sanglants de ses ailes. Ensuite j’ai pris plaisir à le piquer avec une aiguille à tricoter, longtemps. » (P. 185)

Non ceci n’est pas un extrait des HORREURS DE SOPHIE, un « Gore » sordide du terrible tandem Eric Verteuil, mais bien une scène atroce en provenance directe d’un classique absolu de la collection « Angoisse », qui l’a précédée au Fleuve Noir.

B-R Bruss (1895-1979) fut assurément l’un des grands du Fleuve, à travers ses nombreux « Anticipation » et ses 9 « Angoisse » – dont certains titres eurent l’honneur de se voir réédités en Marabout, Horizons de l’Au-Delà et même Neo. NOUS AVONS TOUS PEUR, réellement angoissant, connut aussi une ressortie récente chez Baleine Noire en même temps que l’un des Agapit les plus célèbres (ECOLE DES MONSTRES) – une initiative hélas restée sans suite alors que le fan se prenait déjà à rêver que d’autres joyaux de « Angoisse » connussent le même sort.
B-R Bruss avait une haute opinion de la littérature fantastique puisqu’il s’exprimait ainsi :

« Quand les oeuvres de ce genre aux aspects multiples sont de bonne qualité, même si elles n’ont qu’un caractère de divertissement, elles provoquent dans le lecteur à qui elles ouvrent des portes insolites, un ébranlement plus durable, un remuement de zones plus secrètes, que ne le font celles qui se bornent à procéder de la vie et à la recopier » (in Midi Minuit Fantastique 18, 1967 – cité dans Les Cahiers pour la Littérature Populaire N°4, hiver 1985).

Rien d’étonnant donc à ce qu’il ait livré des oeuvres souvent d’une grande qualité littéraire. Bruss croyait en ce qu’il faisait et ne prenait pas son public de haut, loin s’en faut. Il est l’une de ces nombreuses preuves que littérature populaire et littérature intelligente font excellent ménage, pour qui en douterait encore. .
Un roman comme TERREUR EN PLEIN SOLEIL, fort apprécié du spécialiste Jacques Van Herp (Fiction 108), est un petit bijou de « Angoisse » qui décrit, à travers deux journaux intimes, la persécution et la déchéance d’un homme sans histoires, à la vie heureuse (la première phrase du roman est « Que pourrais-je demander d’autre à la vie ? »). Une persécution ourdie par un véritable Génie du Mal, une sorte de super-vilain, au sens marvelien du terme, mâtiné de tueur en série pour sa psychologie (son journal est édifiant, avec ses inévitables tortures d’animaux). Ce salopard intégral, dont l’identité en surprendra plus d’un, n’a d’autre but dans la vie que de faire le mal pour le mal, en y trouvant un plaisir fou.

« J’avais 13 ans lorsque je me suis rendu compte pour la première fois que j’avais le pouvoir de faire du mal, physiquement, aux êtres vivants, sans même avoir à les toucher. Ah ! ce fut une grande révélation, et ce jour-là j’ai commencé à m’admirer beaucoup. » (P. 186)

Il contraint ainsi le héros et certains de ses amis à s’enfoncer dans l’illégalité, juste pour les corrompre. Pour ce faire, il use de pouvoirs télépathiques. Il peut ordonner et même tuer à distance – ce dont il ne se prive pas, déclenchant même des catastrophes pour la seule satisfaction d’apporter la mort et le malheur aux innocents.
Ce personnage de psychopathe mégalo est fascinant, comme en témoigne son journal intime, l’inverse même de l’innocent Patrice qui lui aussi couche ses états d’âme sur le papier dans une peut-être trop longue première partie. Génie du Mal, comme dans les fumetti neri, super-vilain aux pouvoirs terrifiants, comme dans les comics américains, il restera un personnage inoubliable de la collection « Angoisse » du Fleuve Noir, et même de la littérature fantastique francophone.
A la fin, une police dépassée et meurtrie dans sa chair n’hésitera pas à tout faire pour le mettre hors d’état de nuire, quitte à le flinguer sans sommation pour cela. Comme dans un polar italien des seventies, type LA RANCON DE LA PEUR où Henry Silva descend le tueur fou incarnée par le génial Tomas Milian… sur un tas d’ordures.


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- Article rédigé par : Patryck Ficini

- Ses films préférés : Django, Keoma, Goldfinger, Frayeurs, L’Au-delà

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