Territoire de fièvre

Un texte signé Angélique Boloré

A sa grande surprise, Liza Angsthron est envoyée dans l’espace avec d’autres scientifiques par le doyen de l’université de province pour laquelle elle travaille. Docteur en zoologie, elle ne voit pas en quoi ses compétences pourraient être utiles à la mission. En effet, quels animaux peut-on bien rencontrer dans les recoins reculés et glacés de l’espace ?
En réalité, les savants de l’université de Santa-Catala ont par hasard fait une fabuleuse découverte : un être immense, recroquevillé sur lui-même et qui dérive, endormi, dans l’immensité spatiale.
Résoudre le mystère de cette bête générant sa propre atmosphère et gravité, hibernant dans le froid sidéral, aurait un retentissement fracassant pour le monde scientifique et redorerait le blason terni de l’université. Ainsi, cette découverte a été jalousement gardée. L’université a en secret envoyé trois cents éminents scientifiques pour étudier « la chose ». Un an après leur débarquement, Liza doit atterrir à la surface de l’animal, recueillir les données collectées par les scientifiques et repartir, seule, pour rapporter à l’administration de l’université les résultats et comptes-rendus des recherches menées par les équipes sur place.
A son arrivée, elle découvre un monde fantastique :
Le sol qu’elle foule de ses pieds est aussi élastique que sa propre peau.
Les poils s’apparentent à des forêts inextricables.
Et il faut monter sur les verrues pour élever son point de vue.
Face à ces paysages fantaisistes, l’héroïne en perçoit rapidement les dangers. La bête génère une chaleur d’étuve. Tout est visqueux, insaisissable. Les vêtements, la nourriture pourrissent sur place. Liza évolue dans un véritable cloaque puant.
Quand la bête sue, ce sont des vagues huileuses qui déferlent.
Quand la bête est fiévreuse à cause d’une blessure en train de suppurer, le sol-peau devient une véritable plaque chauffante qui littéralement cuit les hommes vivants.
Cette bête était une découverte scientifique merveilleuse, elle se révèle un pur cauchemar d’une effroyable perversité.

La peur diffuse qui irradiait à travers sa poitrine avait chassé l’écoeurement du premier contact avec la bête. A présent, la graisse, le bourbier de sébum et l’odeur de suint lui semblaient de peu d’importance. Elle pressa le pas, faisant naître d’impressionnants clapotis au sein de la rizière de poils. Elle songea qu’elle avait peut-être eu tort de se cacher. En fuyant le contact elle avait perdu l’occasion rêvée d’effectuer une jonction rapide… Oui, peut-être, mais elle n’en était pas vraiment certaine. Comment les autres l’auraient-ils accueillie ? Et ces armes d’os taillé qu’elle avait entrevues dans la musette de celui qui semblait faire office de chef : des tibias aiguisés comme des pieux, des omoplates au fil tranchant… Tout un arsenal d’ossements dont la provenance ne pouvait qu’être humaine puisque aucun animal ne vivait sur… l’animal !

Le décor est planté, il est à la hauteur de l’extravagante imagination de Serge Brussolo. Et ce bourbier ne pouvait naturellement pas se cantonner à des paysages fantastiques liés à la « bête ». Ce cloaque devait également gangrener le fond, c’est-à-dire les hommes, leur nature, leurs pensées, leurs valeurs.
Les êtres humains s’avèrent obligés de se nourrir de la chair de la bête. La viande de l’être extraordinaire leur transmet ses caractéristiques, ses maladies, ses cancers. Alors que les scientifiques se sont séparés pour mener des recherches bien déterminées, ancrant leur laboratoire dans différents secteurs, ils mutent et évoluent différemment. Certains deviennent des exaltés fous furieux, se prenant pour des globules blancs ou se créant des armures cannibales faites en tissus gastriques arrachés au corps de l’animal. D’autres, abâtardis, difformes, rampent… ou s’enterrent dans les plaies qu’ils créent, happant leurs proies depuis les lèvres graisseuses de peau d’où ils émergent tels des vers obscènes. L’être extraordinaire est moribond, la faute à ses parasites humains, bourreaux et victimes à la fois. Liza et quelques autres vont devoir mener une véritable course contre la montre et l’horreur pour tenter de rallier le point de rendez-vous avec les récupérateurs de l’université.

Territoire de Fièvre fait d’amusants parallèles avec par exemple les mythiques bêtes-montagnes d’Almoha (vues précédemment dans Sommeil de Sang) ainsi qu’avec le personnage du professeur Mikofsky qui apparaissait dans Les Semeurs d’abîme.
Serge Brussolo aborde dans Territoire de Fièvre plusieurs thèmes qui lui sont chers comme la mutation, l’absorption, la difformité, à la fois monstrueuse et fantastique, thème qu’il adore développer longuement en particulier dans ses écrits de la période Fleuve Noir des années 80.
Autre thème de prédilection de l’auteur : la dégénérescence. A travers la dégénérescence, qu’elle soit physique ou sociétale, il touche du doigt l’atroce et la folie. Ses personnages pillent, massacrent, dévorent, atteignent les sommets de l’horreur.
Tous ces sujets fascinent Serge Brussolo et lui permettent de livrer des histoires incroyables et magnifiques, d’être un auteur à part, extrême, repoussant et fascinant à la fois.
Territoire de fièvre se révèle être un poil en dessous d’autres titres comme Les Bêtes enracinées ou Les fœtus d’acier par exemple. Cette impression est peut-être due au fait que le lecteur a quelques difficultés à s’attacher aux personnages. Néanmoins, même un livre un peu plus faible que d’autres, ce que Serge Brussolo écrit reste, comme d’habitude, extraordinaire, fort et insoutenable intellectuellement.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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