Un texte signé Philippe Delvaux

- Terry Gilliam
Titres alternatifs : Brazil, Tideland, The Wholly family, Flying circus, Monty Python, The imaginarium of doctor Parnassus, Sacré Graal, Las Vegas Parano

BIFFF 2012Dossierentretiens

Terry Gilliam : interview

Terry Gilliam était l’invité d’honneur du Festival international du film fantastique de Bruxelles (BIFFF) 2012 et est venu y présenter son court métrage « The Wholly Family ». Rencontre avec Sueurs Froides.

Sueurs Froides : Comment avez-vous débuté les Monty Python ? Peut-on espérer une réunion ?

Terry Gilliam : Dans les ’70, l’Angleterre ne disposait que de trois chaines de télévision. Avec les autres futurs Python, nous avions précédemment réalisé des programmes pour enfants, ce qui nous conférait un peu d’expérience. John Cleese a alors eu l’opportunité de faire des shows pour la télé, ce qui nous a permis de lancer le FLYING CIRCUS. La liberté de ton vient de ce qu’à l’époque, il n’y avait pas de producteur exécutif ou d’autre intermédiaire pour brider votre travail. La BBC nous donnait un peu d’argent pour quelques épisodes et décidait ensuite si elle voulait ou non continuer.

Actuellement, les Monty Python n’ont plus de réelle activité. On se réunit de temps en temps… pour une bonne bouffe.
Je ne fais plus non plus d’animation comme à l’époque. Pixar et Aardman sont bien trop bons dans ce domaine pour que je m’y frotte encore avec mes petits papiers découpés.

A un moment, on a donné à Eric Idle, les droits pour qu’il adapte SACRÉ GRAAL en comédie musicale. A part lui, personne dans les Python n’y croyait, mais SPAMALOT fut un énorme succès. Eric est riche maintenant. (rire)

Sueurs Froides : Où en est votre projet d’adapter « De bons présages », le roman de Terry Pratchet et Neil Gaiman ?

Terry Gilliam : Il y a une bonne dizaine d’années, j’ai coécrit un traitement de « Good Omens » (« De bons présages », 1990) adapté de Terry Pratchet. Il se trouve quelque part dans les piles de manuscrits chez Paramount. Ce serait une bonne idée que de l’en ressortir. A l’époque, j’étais porté par le succès de 12 MONKEYS et mon adaptation aurait été portée par Johnny Depp et Robin Williams.

Mais Hollywood est trop stupide en voulant toujours simplifier à outrance, en réduisant à rien les bonnes idées. Ils ne veulent pas du nouveau ; pour eux, je devrais me contenter de filmer encore et encore ce que j’ai déjà fait et qui a fonctionné.

Sueurs Froides : A la place, vous avez donc enchainé sur LAS VEGAS PARANO…

Terry Gilliam : J’ai pris beaucoup de plaisir à tourner avec Johnny Depp. Lui et Benicio Del Toro étaient déjà impliqués dans le script avant que je n’arrive sur le projet. Quand j’ai reçu le traitement, j’ai accepté ce tournage à condition de pouvoir le réécrire. LAS VEGAS PARANO a bénéficié d’un budget de 18 millions de dollars et, quand il l’a découvert, le studio a voulu « m’aider » à améliorer le résultat.

La scène de la serveuse est cruciale. Elle se trouve dans le livre, mais les traitements précédents l’avaient supprimée. J’ai absolument tenu à la réintégrer car c’est le point de bascule qui fait jeter l’éponge au personnage.

Sueurs Froides : Comment votre court-métrage THE WHOLLY FAMILY est-il né ?

Terry Gilliam : THE WHOLLY FAMILY est un cadeau tombé du ciel. Une marque de pâtes italiennes finance des courts métrages et les distribue ensuite dans les salles de la péninsule. Ils sont donc venus à moi, mais au final mon film est légèrement plus long que leurs autres courts. Le tournage a duré à peine une semaine et c’était très fun à faire.

Puisque j’étais sur place, je me suis dit qu’il fallait donner une touche italienne au projet. Frederico Fellini a donc été ici une de mes influences.

D’habitude, tourner est toujours difficile pour moi car mes ambitions dépassent souvent mon budget. Les courts métrages sont au contraire plus simples. Ils vont plus vite. C’est délassant.

Normalement, la carrière d’un réalisateur démarre sur des courts pour embrasser ensuite les longs… la mienne semble aller à rebours (rire).

Sueurs Froides : Depuis peu, on vous retrouve aussi sur Facebook…

Terry Gilliam : C’est une expérience pour THE WHOLLY FAMILY. Le film étant également distribué en location sur internet, le distributeur m’a demandé si je voulais créer une page Facebook pour voir si celle-ci pouvait attirer plus de monde à louer le film. Et l’expérience me plait. C’est donc bel et bien moi derrière cette page, et non une armada de communicateurs. Je peux y tester des idées, il se trouvera bien l’un ou l’autre fan pour émettre un commentaire pertinent, quelque chose qui va me faire réagir. J’ai pour l’instant (avril 2012) 75.000 fans et, que j’y sois actif ou pas, ce nombre grimpe régulièrement, d’ailleurs parfois même plus vite lorsque je reste inactif (rire).

Sueurs Froides : Dans toute votre carrière, quel serait le top 3 de vos films ? Et pourquoi ?

Terry Gilliam : Oh mon Dieu, c’est une question effrayante ! Mais elle se justifie parce que j’ai trois enfants, alors vous pouvez la poser. (Rires) Je ne peux m’empêcher de mentionner BRAZIL car ce film me colle à la peau. J’avais une idée très claire de ce qui me rendait dingue dans ce monde, je l’ai imaginé et j’en ai fait un film. Et il s’est avéré être resté pertinent !

Mais ceux que j’aime vraiment sont THE IMAGINARIUM OF DOCTOR PARNASSUS et TIDELAND.

THE IMAGINARIUM OF DOCTOR PARNASSUS est une des meilleures choses que j’ai faites. C’est en quelque sorte le film qui est le plus proche de mon point de vue sur le monde. C’est terrifiant d’une certaine façon car sa réalisation a été probablement la chose la plus magique et la plus formidable qui soit car Heath Legder venait de mourir et Johnny Depp, Colin Farrell et Jude Law sont venus à la rescousse. C’était comme un témoignage de pur respect et d’amour. C’est assez rare dans l’industrie du cinéma, ce qui le rend assez spécial. Et le fait est qu’en fin de compte, personne ne saurait jamais qu’il y avait eu une tragédie au cœur de ce film. C’est une bonne chose.

TIDELAND est tout simplement magique. Il m’offrait l’opportunité de devenir un moment une jeune fille, ce que je n’ai forcément jamais été ni jamais rêvé d’être. Ce n’est pas un fantasme, c’est plutôt drôle ! Je rapproche ça des Monty Python : mettre des robes et faire les imbéciles. Il y a une grande liberté à cet égard. Et, soudain, faire semblant d’être une fillette de neuf ans était libératoire parce que vous vous dites « Vas-y ! », et voilà que s’ouvre un monde magique. Donc, c’était amusant.

Ce sont donc ceux-là que je choisirais mais je regarde chacun de mes films différemment.

Sueurs Froides : Avez-vous déjà pensé livrer une suite ou une relecture de votre chef d’œuvre BRAZIL ?

Terry Gilliam : Non, BRAZIL était une réaction contre mon époque, mais je ne me vois pas faire BRAZIL maintenant car le monde est trop confus.

Sueurs Froides : Vos films ont souvent connu des problèmes de production. Le processus de production et de tournage restent-ils pour vous du domaine du plaisir ?

Terry Gilliam : Il y a des moments géniaux et d’autres merdiques. Mais je me rends compte que les limites budgétaires qui me sont imposées aboutissent à de bons résultats. L’obligation de contourner le manque de moyens m’oblige à penser à des solutions nouvelles, innovantes et dès lors intéressantes.

Sueurs Froides : Maintenant que vous êtes un réalisateur respecté, vous est-il encore difficile de recueillir des fonds pour tourner un nouveau film?

Terry Gilliam : Oui ! J’ai beau être respecté dans certains milieux comme les festivals cinématographiques, [les fonds de production proviennent quand même majoritairement d’] Hollywood. L’argent est placé là où se trouve le succès. Je ne suis donc en mesure de récolter des fonds que sur base du succès de mon dernier film en date, ou en engageant de grandes stars de cinéma. Je ne tiens pas les rênes. Mon seul pouvoir se limite à mettre sur la table un talent dont le nom est renommé. Le monde de la finance ne se soucie pas des réalisateurs, sauf si vous êtes Spielberg ou Cameron. Le reste d’entre nous ne comptons pas. Lorsque vous essayez d’obtenir un financement indépendant, vous faites des préventes dans tous les pays et la première chose que le financier potentiel demandera est « Qui jour dedans ? », jamais « Quel est le scénario ? ». C’est comme ça que ça marche. Rien n’a changé. Mais ce n’est pas grave, ce qui importe est de savoir qui sont nos amis.

Sueurs Froides : Vous restez une référence de la culture populaire puisqu’en avril 2012, Fluide Glacial a sorti un numéro spécial « Monty Python »…

Terry Gilliam : J’avais entendu parler de ce projet, mais je ne l’avais pas suivi de près. Je ne savais pas qu’il venait de sortir. Le rédacteur en chef actuel de Fluide glacial est l’ancien de la revue Brazil, c’est donc logique. Je sais qu’on y republie une ancienne BD publiée à l’époque dans Pilote.

Sueurs Froides : En tant que réalisateur, avez-vous un défaut que vous souhaiteriez voir disparaître?

Terry Gilliam : Je ne me soucie pas de cacher mes défauts. J’en ai plein et je suis fier de ceux-ci. Je n’ai rien à cacher. Je suis inutile, au fond! [rire] Je m’entoure de gens vraiment bons qui m’empêchent de tout faire foirer ! Je sais les choisir et ils s’accommodent de mes défaillances !
Je n’aime pas regarder mes films car, normalement, je vois les erreurs donc j’ai tendance à ne pas les regarder.

Sueurs Froides : Quelles qualités recherchez-vous dans vos films?

Terry Gilliam : Tout d’abord, s’assurer que l’idée de base est bonne : Suis-je en face de quelque chose d’important ou de vraiment intéressant ? Ensuite, réussir à exprimer ce que je veux dire et raconter l’histoire d’une façon à la fois limpide et qui me convienne.

Je me fiche par contre de l’effet que cela peut avoir sur les gens, car j’aime l’idée que chacun percevra le film différemment et qu’on se trouve donc face à un million d’effets différents. Ca me rend même en réalité vraiment heureux d’entendre les spectateurs me parler du film et de constater que leurs impressions diffèrent complètement de mes intentions. Pour moi, c’est alors vraiment réussi.
J’ai parfois le sentiment de ne pas toujours avoir vraiment le choix. Certaines idées semblent me posséder et je suis alors pendant un certain temps leur prisonnier ou leur victime, puis elles me laissent tranquille jusqu’à ce que je puisse les faire ressortir.

Sueurs Froides : Votre style est à la fois onirique, baroque, unique et parfois aussi controversé. Comment le défendriez-vous ?

Terry Gilliam : Comme je l’ai dit, prenez six personnes et vous obtiendrez autant de visions totalement différentes. Dès lors, pourquoi me limiterais-je à une vision « conforme » dans mes films. Au contraire, je ne veux pas me limiter à la réalité. Il existe tant de possibilités. Les contrastes sont particulièrement intéressants et je trouve que les extrêmes peuvent produire de la beauté.

Sueurs Froides : Quel est votre point du vue du cinéma actuel, notamment de l’irruption de la 3D et du règne des adaptations de comics ?

Terry Gilliam : Il y a 30 ans, je rêvais de toutes ces adaptations de comics mais maintenant, je pense qu’il y en a trop. En outre, leur budget trop important tend à en simplifier les enjeux. Bref, comme vous l’entendez, je vais toujours à contre-courant de la mode de mon époque. (rire)
Même chose pour la 3D : ça nécessite trop de budget et en outre, la projection finale est souvent mauvaise, notamment du point de vue de la lumière.

Sueurs Froides : Vous avez fait votre débuts à l’opéra au London’s English National Opera en mai 2011 en dirigeant LA DAMNATION DE FAUST d’Hector Berlioz après avoir filmé un concert d’Arcade Fire. Quelle place donnez-vous à la musique dans votre vie ?

Terry Gilliam : Je vis par elle. Elle m’accompagne dès que je me lève le matin et que je vais jusqu’à mon studio. C’est comme traiter des frustrations d’un film, je vis à l’intérieur de la musique. C’est un endroit agréable où vivre! Et encore une fois, ma palette de goût ou mon intérêt pour la musique est incroyablement diversifié : de l’opéra – que j’aime moins regarder qu’écouter – à la musique tzigane roumaine en passant par le mariachi mexicain, Arcade Fire ou Tom Waits – je ne me lasse jamais de Tom Waits qui est mon héros -. Et je ne fais pas de distinction dans la musique. Le monde n’a jamais vécu dans une époque comme celle-ci, où toutes les musiques sont disponibles pour chacun d’entre nous à tout moment. Et en plus, c’est gratuit ! Grâce à Spotify! (Rires) Vous imaginez : tout au long de notre histoire, nous avons vécu dans un petit village musical et tout d’un coup, tout est là. Nous vivons dans l’époque la plus extraordinaire qui soit. Et je ne pense pas que les gens apprécient vraiment à quel point c’est spécial. En appuyant simplement sur un bouton, on peut revivre une interprétation qui a été réalisée dans les années 1930.

Mon préféré en ce moment, celui que j’écoute littéralement tous les matins, c’est Cliff “Ukelele Ike” Edwards. Vous ne le connaissez pas ? Moi non plus, je ne le connaissais pas mais Cliff Edwards a chanté « When you wish upon a star » dans le film PINOCCHIO sans avoir été crédité. Et « Give A Little Whistle », c’était aussi Cliff Edward. Il est tout simplement mon héros du moment. Olivia, la femme de George Harrison, et moi étions en train de dîner et nous avons commencé à parler du fait que je n’arrêtais pas de dire à George qu’il devrait faire un album avec les chansons de Hoagy Carmichael . Il chantait très bien Hoagy Carmichael, mais n’a jamais poussé plus loin. Nous avons alors commencé à parler de cet album et tout à coup elle me dit: « Je vais t’envoyer l’album de Cliff “Ukelele Ike” Edwards » et soudainement, je le reçois ! Voilà bien ce qui est si extraordinaire aujourd’hui, la rapidité, l’immédiateté de la communication : je peux dire quelque chose ou mettre cette musique sur ma page Facebook et aussitôt des milliers de gens vont commencer à l’écouter… Quand je serai de retour à Londres, je posterai immédiatement les liens. (Rires)

Sueurs Froides : Quels sont vos prochains projets ?

Terry Gilliam : Il y a toujours des projets. Mais je deviens superstitieux et ne veux donc pas trop en parler, tant d’entre eux s’effondrent au dernier moment.

Cependant, en septembre, vous pourrez découvrir à Anvers ma mise en scène de « La damnation de Faust » (Hector Berlioz). Je me suis en effet passionné pour l’opéra depuis quelques années.

[Cette mise en scène de La damnation de Faust a été créée à Londres le 6 mai 2011 avec l’opéra national Britannique]

Propos recueillis par Philippe Delvaux, Grégory Lécrivain et Claire Annovazzi et mis en forme par Philippe Delvaux

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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