The addiction

Un texte signé Patrick Barras

USA - 1990 - Abel Ferrara
Interprètes : Lili Taylor, Christopher Walken, Annabella Sciorra, Edie Falco, Paul Calderon

Déjà en 1990, dans KING OF NEW YORK, Abel Ferrara nous avait fait plonger un orteil dans l’univers vampirique de manière métaphorique, grâce à une scène où de jeunes gangsters chinois traitaient leurs affaires réfugiés dans une salle obscure projetant le NOSFERATU de Murnau. Intéressant parallèle entre le vampire et ceux, montrés vêtus de noir, vivant comme des parasites au sein d’une ville gangrenée. On pouvait aussi s’enhardir à voir en Franck White/Christopher Walken un chasseur en croisade contre tout ce que « la grosse pomme » peut compter de suceurs de moelle et de sang, mais étant tout de même plus nuancé et surtout bien plus ambigu qu’un Van Helsing… Du moins, du point de vue des policiers qui le traquaient également, comme le symbole ultime de la vampirisation de la cité et de sa population par le milieu. Que penser aussi de ses femmes maitresses et gardes du corps qui l’entourent, tel Dracula en personne, dans des scènes nocturnes de toute beauté ?… Pas mal d’éléments de la mythologie semblaient bel et bien convoqués et réinvestis, à bien y regarder.

Dans THE ADDICTION, Ferrara nous immerge pleinement, cette fois-ci, dans une parabole sur le vampirisme.

Doctorante en philosophie, préoccupée par des questions tournant autour des notions de mal et de culpabilité, Kathleen (Lili Taylor) est abordée de manière étrange et impromptue par Casanova (Annabella Sciorra) qui finit par l’agresser et la mordre a cou, lui communiquant ainsi une irrépressible soif de sang qu’elle étanchera en agressant à son tour certains de ses proches et des quidams croisés au hasard. Du point de vue de la mythologie déjà citée, rien de plus classique de prime abord. Ce qui est loin d’être le cas concernant la parabole que nous délivre le réalisateur par la suite.

Si nous considérons la définition d’une parabole, THE ADDICTION possède la brièveté de ces courts récits. Nous sommes ici autour d’une heure et quart. De même, elle est censée nous délivrer un enseignement, une vérité ou encore une morale. Ce que Ferrara ne manque pas de faire. D’autant plus qu’en 1995 il sait parfaitement de quoi il parle quand il aborde le sujet des addictions dans lesquelles il macère lui-même ; et il ne faut pas être grand clerc pour entrevoir que les errances et les questionnements de Kathleen sont en fait à l’image des siens.

Pour tenter de résumer assez simplement le propos de ce qui semble bien être un film à thèse, l’addiction nous est montrée comme le corollaire de la part de mal qui nous habite tous et de la culpabilité qui en découle, avec un phénomène de boucle de ces éléments s’entretenant mutuellement dans l’âme et l’esprit de celui qui s’y adonne. Le sang se substituant ici de manière à peine voilée aux drogues dures comme en atteste la présence récurrente de seringues dans certaines scènes. Kathleen se livre d’ailleurs à ses premiers « repas » en utilisant ce moyen pour prélever le sang de ses victimes, quand on ne la voit pas clairement préparer un fix d’héroïne. Voilà pour le fond.

C’est par contre la forme qui risquera d’en décontenancer, pour ne pas dire d’en agacer, plus d’un. Les dialogues fréquemment ponctués de citations philosophiques empruntées à Heidegger ou Niezstche, entre autres, auraient particulièrement de quoi rebuter et orienter le film plus vers un pensum imposé au spectateur que vers un simple divertissement de genre, c’est certain. De même d’aucuns trouveront un rien complaisante l’insertion d’images d’archives présentant des charniers (Shoah, Vietnam, Bosnie…) auxquelles se confronte régulièrement l’héroïne, comme des échos de notre culpabilité collective d’occidentaux. Reste que tout cela n’est que la manifestation outrancière des démons qui torturent aussi bien Kathleen que semble-t-il Ferrara. Il est vrai qu’il y a dans ces deux éléments de quoi possiblement distiller un certain ennui et paradoxalement une impression de longueur au vu de la courte durée du métrage

Néanmoins, comment rester insensible à la beauté plastique de THE ADDICTION, en grande partie due à la photographie sublime de Ken Kelsch. Un travail du noir et blanc conférant un aspect presque graphique à des images rendant dignement hommage aux pièces maitresses de l’expressionnisme et appliquées à un New York qui se pare pour le coup d’une apparence proprement cauchemardesque. La première confrontation entre Kathleen et Casanova en est l’exemple le plus frappant. Ferrara n’omet cependant pas de parer son film d’attributs très contemporains, comme par exemple lors de déambulations nocturnes filmées à la manière d’un reportage en caméra portée et agrémentées de rap. C’est également le New York des paumés, marginaux et autres sans abris qui lui est cher qu’il met une fois de plus en scène, à mille lieues de tout décorum gothique.

Réalisé avec un budget très réduit, THE ADDICTION restera en fin de compte comme un des films les plus urgemment personnels de son auteur qui affirme lui-même : « On a fait ce film parce qu’on avait envie de le faire. Quincy Jones a dit : « Quand l’argent entre dans une pièce, Dieu en sort. » Ce film en est le parfait exemple. »


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse


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