The belle starr story

Un texte signé Philippe Delvaux

Myrabelle (Isabelle dans la VF, plus éloigné du patronyme historique qui est Myra Maybelle Starr), dit Belle Starr, est une jeune femme qui s’habille en homme, fume, boit, joue … et vit de ses rapines. La mise à prix de sa tête à hauteur de 15.000 dollars ne l’empêche pas de fréquenter les saloons où elle tient une attitude provocante à l’égard des hommes, cherchant à les surpasser. Aussi, quand un bandit de la trempe de Larry Blake la défie au poker, son sang ne fait-il qu’un tour. D’autant plus que, aussi beau garçon que macho, il ne la laisse pas indifférente. Au terme d’une coucherie s’instaure entre eux une relation d’attirance-haine qui structurera la suite des aventures de Belle.

La paternité de ce titre a longtemps prêté à controverse. Depuis toujours, l’Italie américanise les noms des réalisateurs de westerns, dans un souci commercial évident de pouvoir mieux les vendre à l’international. Il ne faisait dès lors aucun doute que le « Nathan Wich » du générique cachait un nom moins anglo-saxon. Les amateurs ont cherché et argumenté. Mais le mystère a longtemps persisté, nombre d’ouvrages spécialisés soit n’évoquent pas ce titre, non considéré comme de premier plan, soit n’ont pas cherché à percer le mystère… ou n’y sont pas parvenus. Alex Cox dans son « 10.000 ways to die » confesse n’avoir pas vu Belle Starr, l’Alain Petit de « 20 ans de western italien » fait l’impasse sur le film, Jean-François Giré dans son monumental « Il était une fois… le western européen » ne le traite que très brièvement et l’attribue à Piero Cristofani. C’est à nouveau Alain Petit, cette fois dans les bonus du dvd édité en 2016 par Artus, qui livrera la clé de l’énigme, se basant sur une interview donnée auparavant par l’acteur Robert Wood : quoique repris sur les fiches administratives du film, Piero Cristofani n’aurait que marginalement dirigé un métrage dont il fut rapidement évincé suite aux pressions d’Elsa Martinelli, insatisfaite de son travail. La réalisatrice Lina Wertmuller aurait alors repris le flambeau et dirigé la plus grande partie du film. A dire vrai, le lecteur italien ou anglophone connaissait déjà cette attribution depuis la parution chez Glittering Images en 2001 du 2e volume de « Western all italiana », ses auteurs indiquant alors se baser sur des déclarations de Lina Wertmuller elle-même.

Toujours dans les bonus du dvd Artus, Alain Petit précise que Belle Starr n’aurait à l’époque pas connu de sortie parisienne et que son exploitation aurait sans doute été cantonnée en province. L’indispensable Encyclo-ciné précise pour sa part la date de sortie française, le 5 avril 1973, soit bien longtemps après sa réalisation, et à une époque où le western transalpin a déjà entamé son irrémédiable déclin. Un titre d’exploitation francisé est même cité : L’HISTOIRE DE BELLE STARR. Le film refera ensuite surface sur support VHS. THE BELLE STARR STORY a également été distribué en Belgique (par la firme Elan), comme en atteste encore un dossier de presse conservé à la Cinémathèque royale belge. Nous ignorons cependant la date de cette exploitation.
THE BELLE STARR STORY est tourné en 1968, année qui marque l’apogée du western européen quantitativement parlant avec pas moins de 80 productions. On comprend, alors que le genre bat son plein depuis plusieurs années déjà, qu’émergent des tentatives de le renouveler.

THE BELLE STARR STORY présente à ce titre un angle intéressant : faire d’une femme le héros de l’histoire. Le film populaire d’aventure, surtout dans ces années ’60 encore très machiste, est un genre masculin. Les femmes y sont le plus souvent réduites à un faire-valoir érotique, de petits rôles de potiches ou de conquêtes pour l’omnipotent et séduisant héros. Porteur de l’action, ce dernier est alors exclusivement masculin dans le péplum et très majoritairement dans les films de cape et d’épée ou d’aventure (un contre-exemple : ANGÉLIQUE, MARQUISE DES ANGES), ou dans les sous James Bond (ici, le contre-exemple serait le SUSPENSE AU CAIRE POUR A008 d’Umberto Lenzi, 1968). Le western, plus encore que d’autres genres, relègue la femme dans le meilleur des cas au rôle de la putain ou de l’artifice érotique. On soulignera donc cet exemple rare de contrepied. Rare mais non isolé : sans même mentionner le relativement récent BANDIDAS (2006), on connait de l’époque « classique » du western européen LES PÉTROLEUSES, et, par la grâce d’ARTE qui le programma jadis, le très rare LES SEPT MAGNIFIQUES. Alain Petit ou le volume2 de « Western All Italiana » vous livreront quelques autres titres. Mais on en retient que femmes et westerns se sont mal mêlés, aucun de ces films ne convainquant réellement.

BELLE STARR STORY, sans être inintéressant, ne fait pas non plus partie des incontournables.

Le scénario est vaguement basée sur une figure historique du banditisme américain – Belle Starr – dont les pérégrinations réelles sont délaissées au profit des aventures concoctées par un scénariste.

C’est également un exemple finalement peu courant où le western européen prend une figure historique américaine, la plupart d’entre eux, et spécialement les italiens, fonctionnant surtout sur des archétypes, des mythes, des allégories… Ceci, le peu d’entrain à filmer des femmes et l’échec des rares tentatives du genre explique pourquoi aucun western européen ne s’est par exemple attaché à Calamity Jane.

Hyper codé, le western européen est de surcroit écrasé dans ses représentation par l’imaginaire et l’imagerie mis en place par les productions espagnoles (un peu) et italiennes (bien plus) et dont les axes principaux sont narrativement la quête (soit d’un trésor, soit d’une vengeance), tandis que l’iconographie privilégie les paysages désertiques, les solitaires burinés, taciturnes et violents, les petites villes en déclin… toutes valeur en opposition à une société en construction figurée dans les westerns américains (du moins avant que le succès des italiens ne les force à se remettre en question). BELLE STARR dénote également par rapport à ce standard italien : outre l’héroïne, les personnages se montrent assez bavards, la quête du trésor (qui arrive fort tardivement) ou de la vengeance (le père ou l’amant) ne sont qu’accessoires, les éclats de violence restent parcimonieux.

A propos de la violence, les duels et fusillades sont moins nombreux et moins sanglants que dans nombre d’autres westerns de l’époque. Les méfaits du hors-la-loi Belle Starr sont plus évoqués que filmés, sauf un représentant de la loi abattu lors d’une poursuite et quelques comparses de Larry descendus (un peu bizarrement d’ailleurs puisque Belle souhaitait apprendre d’eux où trouver Larry Blacke, renseignements désormais difficile à recueillir). Mais la violence s’invite plus frontalement en fin de métrage, notamment lors d’une scène de torture, qui nous raccroche pour le coup au sadisme de nombre de productions italiennes. Un sadisme évoqué auparavant par le père de Belle, qui entend la faire obéir à coups de fouet.

Le personnage de Belle s’inscrit dans les idéaux féministes qui émergent et vont éclater pleinement dans la décennie suivante : rebelle à l’autorité, Belle l’est encore plus au patriarcat : elle se révolte contre son père qui veut la marier de force, contre son ami Cole qui, pris de désir, veut la violer, et plus généralement contre tous ceux qui entravent son chemin. Seule trouve grâce à ses yeux la servante de son père, qu’elle sauve de ses griffes, pour établir une relation teintée de lesbianisme latent. Toute la tension narrative tient cependant sur sa relation d’amour-haine à l’égard de Larry Blake, macho revendiqué, qu’elle hait tout en étant irrémédiablement attirée vers lui. Ce qui explique que l’histoire traine un peu à trouver un fil conducteur, les enjeux posé par Wertmuller devant composer avec les exigences commerciales attendues de ce genre de production. On se retrouve donc avec un scénario pas raté, mais partiellement bancal, où des bribes de passages obligés des westerns (l’attaque de la banque) se greffent sur un autre arc narratif centré sur la relation de Belle Starr aux autres, et singulièrement aux hommes. Réalisatrice, Lina Wertmuller a donc signé un scénario où on sent pondre des préoccupations non seulement féministes, mais aussi tout simplement féminines. Sur ce point, Belle Starr, trouve néanmoins un ancrage original.

On a indiqué plus haut des points de rupture par rapport aux canons du western italien. On peut en trouver d’autres : les paysages et la grammaire des plans. Bien que production italienne, BELLE STARR a été tourné en Yougoslavie et offre donc une géographie bien plus verte que ce à quoi nous sommes habitués. A l’époque cependant, le western allemand (dont le succès, via WINNETOU, a historiquement précédé de peu celui du transalpin), lui aussi régulièrement tourné en Yougoslavie, avait déjà habitué le public à ces paysages verdoyants.

La caméra et le cadrage privilégient les plans rapprochés et gros plans. On peut y trouver une justification commerciale : quand on dispose d’une actrice de la beauté d’Elsa Martinelli, il faut la filmer de près et lui consacrer un maximum de plans. Mais on peut aussi y voir une autre raison. Le western italien propose souvent un personnage mutique et impassible, dont la rigidité faciale appelle d’ailleurs parfois aussi au gros plan dans une logique de tension, ou simplement pour profiter d’une « gueule ». Mais ici, l’enjeu se situant plus sur la psyché de Belle Starr, les gros plans servent au contraire à capter les émotions, le langage du corps.

Lequel est parfaitement retranscrit par Elsa Martinelli, les acteurs masculins restant quant à eux cantonnés à des rôles plus archétypaux et classiques qui appellent moins à la composition des expressions.

Répétons-nous, en précisant, quand on dispose d’une actrice de la beauté d’Elsa Martinelli, il faut la déshabiller. Le western n’est pas un genre frontalement érotique (certes, il y a quelques tentatives de productions érotiques prenant les oripeaux (rouges ?) du western), mais il a sporadiquement inclus quelques séquences plus légères. Avec Elsa Martinelli – ancien mannequin – en tête d’affiche, il serait commercialement suicidaire de passer outre cette dimension. A côté de quelques scènes de coucheries (très sagement filmées), on voit donc la belle se baigner dans un lac. Les auteurs de « Western All’Italiana » ont même cru y voir sa poitrine. Sauf peu probable version plus dénudée que la copie dvd éditée par Artus, gageons qu’ils auront été victimes d’hallucinations, dues à un compréhensible enthousiasme à l’égard de la très belle actrice : si poitrine dénudée il y a, ses principaux attraits restent chastement couverts par ses bras. C’est bien dommage, on en conviendra. Pour le reste, l’érotisme découlera des scènes de sadisme, amorcées (son père à l’encontre de Belle) ou frontalement filmée (Larry soumis à la torture), ou encore de l’ambiguïté de la relation sous-jacente entre Belle et sa servante et amie Jessica.

Là où le bât blesse par contre, et c’est fort dommageable dans un western, c’est la crédibilité nulle d’Elsa Martinelli en hors-la-loi. Sa composition de dure-à-cuir laisse, il faut bien l’avouer, dubitatif. C’est LE problème majeur du film, et qui pourra en éloigner certains. La seule solution est d’appréhender cette composition au second degré, mais ce qui nous met alors en porte-à-faux avec l’intention non distanciée, de traiter de la relation aliénée d’une femme aux hommes. Sur ce point précis, mais qui n’a rien d’anecdotique, THE BELLE STARR STORY est un échec artistique.

Si vous chercher un western italien classique, passez votre chemin. Si la curiosité et l’ouverture d’esprit vous poussent à sortir des sentiers battus, BELLE STARR pourra vous satisfaire… sous réserve que vous passiez outre le problème de composition évoqué.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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